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 Bible et liberté



    Jacques Chopineau

 

- Introduction

- Une traduction devenue habituelle

- Le discours de la sagesse

- Le verbe et l’agneau

- Conclusions

 

 

   

 


Une parole des origines

 

 

Introduction

Le monde fut créé « par la parole ». Expression souvent redite, mais peu comprise. Dans notre culture, la parole est souvent analogue à un mot. Et dans notre monde marchand, la parole (non écrite) est parfois un simple argument de vente qui n’engage pas trop le vendeur. Les mots font partie de l’emballage.

Dès lors, la création par la parole risque d’être un énoncé incompréhensible. Cependant, dans le langage biblique, la parole véritable est l’expression de la puissance de celui qui la profère. Et si celui qui la profère est Dieu, alors cette parole est une irruption de la réalité divine :

« Il dit et cela est »
Psaume 33,9

Et –pour les chrétiens- cette « parole » divine, identique au « verbe » divin, identique à un « logos » éternel, est incarnée en la personne de Jésus.
C’est donc une personne qui « est », depuis toujours, depuis le
« commencement », cette « parole » -ou ce « verbe »…
Un non-théologien s’y perdrait, si du moins il se souciait de ces définitions anciennes.

Tentons de revenir aux textes originaux par delà les siècles de théologie dogmatique et de définitions savantes. L’entreprise est, sans doute, difficile, mais incontournable. Souvent, en effet, les mots eux-mêmes sont la source des idées que l’on pense qu’ils énoncent. L’écueil est alors de prendre les mots pour des réalités (par « hypostatisation »).

Cette « parole » des origines, pourtant, n’est pas simplement l’élément d’un discours : un mot. C’est de puissance qu’il s’agit, non de vocabulaire.

Une traduction devenue habituelle   

« Au commencement », « au principe » était le « logos », le « verbum »,
le « verbe », la « parole »…. Ainsi commence le prologue de l’Evangile de Jean. Le premier mot (« archê ») est –en grec- une reprise du début du récit biblique de la création (Genèse 1,1). Comme souvent, le texte de l’Evangile fait écho au texte de la Bible hébraïque.
Le « principe » ou le « commencement » est le même ici et là.

Le premier mot de la Bible est une énigme. Ce premier mot : « Be-ré’shyt » est généralement traduit par « au commencement », bien qu’il n’y ait pas d’article dans le texte hébreu. « En commencement » ou « par commencement » seraient plus justes grammaticalement, mais nous éloigneraient du sens devenu « canonique ».

Notons que le mot « ré’shyt » dérive de « ro’sh » (tête) et peut être traduit non seulement par « commencement », mais aussi bien par « principe » ou « en-tête ». C’est d’ailleurs ainsi que l’entendait la vieille traduction latine (« in principio»).

D’autre part, la particule « be- » signifie « dans » ou « par ». Le sens instrumental « par le moyen de » est courant en arabe, mais moins fréquent en hébreu. Pour autant, cet usage est fréquent en hébreu ancien.

De fait, peu de mots ont suscité autant de commentaires que ce mot « be-ré’shyt » que les traductions rendent mal. Pourquoi cet usage devenu courant : « Au commencement » ? C’est qu’on a vu dans ce verset un commencement absolu et non une construction circonstancielle : « Au commencement de l’acte créateur de Dieu… ou : « Lorsque Dieu commença de créer le monde… ».

Rachi, le grand commentateur médiéval, écrit sur ce sujet des remarques essentielles. Un autre grand commentateur (Ibn Ezra) avait clairement vu le problème. D’autres ensuite ont bien vu que la traduction habituelle ne tient pas compte de l’usage linguistique.

Il reste que les anciennes versions (grecque d’abord) et la vocalisation (plus tardive) des scribes « massorètes » supposent un commencement absolu (une création « ex nihilo «, c’est à dire : « à partir de rien »). Une certaine théologie l’a emporté sur la grammaire.

Dans cette perspective, la création « à partir de rien » l’a emporté sur une organisation d’un chaos primitif qui aboutit à un monde humain. Rien ne pouvait exister avant ce « commencement ». Pourtant :

« L’esprit de Dieu planait sur les eaux »
(Genèse 1,2 ).

Il y avait donc de l’eau. Quand fut-elle créée ? Rachi (encore lui !) avait bien vu le problème : « De ce verset… il faut conclure que les eaux ont existé avant la terre… ».

Si l’on s’en tient au sens littéral (obvie) du texte biblique : c’est évident. Mais la « tradition » a occulté ce point.

Le discours de la sagesse   

Les sources anciennes (tant le « midrache » que les commentaires médiévaux) rapprochent ce « ré’shyt » du texte de Proverbes 8,22. Dans ce passage (un discours de la Sagesse), le terme est employé dans le sens courant de « commencement »

Ce « commencement » est le même que celui dont la Sagesse dit qu’il était avec Dieu dès le commencement du monde. Dans le texte du livre des Proverbes, la sagesse parle ainsi d’elle-même :

« YHWH m’a créée, principe (ré’shyt) de sa voie »
Proverbes 8,22

Nous voyons là une source de l’identification : « ré’shyt » = « commencement » = « sagesse »…. À quoi on peut ajouter : = « Thora » (voir l’interprétation classique du « Midrache rabba », où Dieu regarde dans la Thora … afin de créer le monde –avec sagesse).

Il s’agit d’une vieille équivalence : Thora-sagesse. Que les modernes ne s’étonnent pas. L’ancienne littérature religieuse ne fait pas d’une vue profonde une formule ou un « dogme » à répéter. Ce que le texte donne à voir est lié, directement, à la seule sagesse du lecteur.

Le verbe et l’agneau   

Le verbe (logos = verbum, en Jean 1,1) est aussi « l’agneau de Dieu »
(« amnos tou Theou », Jean 1,36). À s’en tenir au grec, il n’y a pas de rapport entre ces deux mots différents : « logos » et « amnos ». Pourtant, la source est la même !

Il faut se souvenir que l’auteur du prologue johannique connaît les Ecritures anciennes et les langues (hébreu et araméen) de ces Ecritures. Mais le grec est alors la langue la plus répandue. Tout doit être écrit en grec afin de pouvoir être diffusé hors de Palestine. Souvent, pourtant, le texte grec de l’évangile laisse transparaître une expression originelle sémitique (non forcément un texte original « traduit », mais une pensée associative
familière …).

L’agneau de Dieu réfère au peuple d’Israël en Esaïe :

« …. Comme un agneau (hébreu : « sè ») qui est traîné à l’abattage »
Esaïe 53,7

Ce qui est normalement traduit par le Targûm (nom de la vieille traduction araméenne) « ‘imra d’elaha » (l’agneau de Dieu).

Notons que l’autre mot hébreu possible (« talè » ) n’apparaît pas dans le texte d’Esaïe 53, mais ce terme apparaît seulement dans le targûm d’un texte ésaïen tout différent :

« Le loup et l’agneau paîtront ensemble »
Esaïe 65,25.

En araméen, l’article est post-posé. Ainsi, le «’imar » (agneau) devient
« ‘imra » (l’agneau). Mais dès lors, le mot araméen est homophone (non homographe !) du mot hébreu « ‘imra » (parole).

En sorte que la « parole » et l’ »agneau » sont des homonymes –si l’on s’en tient à l’hébreu et à l’araméen. A l’inverse, les mots grecs « amnos »
(« agneau ») et « logos » (« verbe »….) n’ont rien à voir entre eux.

L’auteur du prologue johannique connaît ces langues sémitiques que sont la langue des écritures sacrées (l’hébreu) et la langue usuelle (araméenne) qui est aussi celle de la traduction targoumique. Jésus, de même, parlait l’araméen (dialecte galiléen), tout en connaissant la langue originale des Ecritures. L’auteur du prologue appartient au même milieu culturel.

Conclusions   

Le « commencement » (le « principe ») qui était auprès de Dieu est la Thora (lecture juive), la sagesse (lecture juive d’abord, chrétienne ensuite), le « logos » (lecture chrétienne) identique à la personne même du Christ (cf prologue de l’évangile de Jean).

Rien d’étonnant si les kabbalistes chrétiens de la Renaissance ont voulu lire, dans les versets du texte hébreu de Genèse 1,1-5 , une allusion au « fils ». Pour cela, ils liront dans les 52 mots de ce texte une désignation du « fils » qui se dit en hébreu : « Ben » (écrit BN, valeur numérique 52).
Quoiqu’il en soit, pendant des siècles, la doctrine a été élaborée à l’aide de notions et de concepts aujourd’hui incompréhensibles. Au point qu’il est pratiquement impossible aux croyants actuels de se demander quel est le sens des mots qu’ils reçoivent « par tradition ».

C’est là un des nombreux points qui font que les églises officielles se vident parce qu’on ne comprend plus leur langage. Dans le même temps, certaines « sectes » font le plein. Une réflexion critique n’est jamais celle du grand nombre.

Il n’y a pas d’échappatoire au retour –à frais nouveaux- au texte original et à sa traduction en langue usuelle –par delà les définitions élaborées au cours des siècles. Le texte ici choisi n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres…

Dans ce cas particulier, la définition de ce « verbe » (« logos ») qui était au commencement, est un problème qui touche à la nature même du Seigneur de l’église. Attention cependant à ne pas se figurer deux dieux (un « Père » et un « fils ») ou à faire de la Trinité une sorte de trithéisme !

Il est vrai que les définitions sous-jacentes relèvent d’une philosophie étrangère à notre temps. Pourtant, ce sont ces définitions qui commandent –dans la nuit du secret- la « réflexion » des chrétiens d’aujourd’hui. Pour combien de temps encore ?

Jacques Chopineau, Genappe, 7 juin 2005