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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Une leçon de vie

- Parole actuelle

 

   


Je cherche un homme

 

 

Une leçon de vie

On sait que Jérémie a été le grand prophète dont la vie tragique est marquée par l’événement qui coupe en deux l’histoire de l’ancien Israël : avant et après la date de -587, cette date qui est celle de la prise de Jérusalem, de l’incendie du Temple, de la déportation de la population…

Dans la suite de l’histoire, rien ne sera plus comme avant. Le désespoir est alors grand. Dans les années qui suivent cette date terrible, nous voyons une population décimée, sans état (la monarchie disparaît), sans indépendance (les étrangers imposeront leur loi), sans assurance quant à son avenir.

On comprend la réaction de déportés qui refusent la leçon : « Il vous est arrivé cela parce que vos pères ont péché », leur dit-on. Sommes-nous responsables des fautes de nos pères ? De là ce dicton ironique : « Les pères ont mangé des raisins verts et les fils ont les dents agacées ».

C’est cette ironie que critiquera, plus tard, en Babylonie, un prophète déporté:

« Aussi vrai que je suis vivant, oracle du Seigneur YHWH, vous n’aurez plus à user de ce dicton en Israël. Voici, toutes les vies sont à moi. La personne qui pèche, c’est elle qui mourra ». Ezekiel 18, 3 et 4

Cependant, peu avant la catastrophe (largement annoncée), se place cet épisode de la vie du prophète Jérémie :

« Parcourez les rues de Jérusalem, regardez donc et constatez, cherchez sur ses places si vous trouvez un homme, un seul qui pratique la justice, qui recherche la vérité, et je lui pardonnerai ». Jérémie 5,1

Le sort de Jérusalem et celui de tout un peuple sont liés au comportement individuel des personnes. Le prophète cherche un homme… et ne le trouve pas

On pense à Diogène qui –lanterne allumée en plein jour- disait également :
« je cherche un homme ». Est-ce un autre homme que le prophète cherchait ? Ce n’est pas certain. Un homme accompli est rare, en tous temps et en tous lieux.

Il appartient à tous de chercher cet homme-là –lequel pourrait justement être appelé « prophète ». Mais si le prophète est, certes, du côté de la justice et de la vérité, cependant, la majorité ne porte pas le même rêve. C’est le drame des prophètes, en tous temps.

Rappelons que le « prophète » biblique –malgré un usage courant- n’est pas celui qui prédit l’avenir, mais celui dont la parole éclaire le présent. Il est celui qui « parle devant » (Source du mot français : le grec, « pro-phêmi » qui signifie « je parle devant ») le peuple pour lui déclarer ce qui se passe réellement et ce qui va se passer s’il ne change pas de manière d’agir, au-delà des paroles rassurantes et des attitudes affichées ….

Parole actuelle   

Que notre lecture ne soit pas de ces études pour lesquelles la lecture du texte est une sorte d’archéologie. C’est ce à quoi se résument trop souvent les lectures savantes. Un peu d’ethnographie, de philologie, de grammaire comparée, d’étude des sources, d’histoire de la formation du texte… Lecture est faite ! Mais une étude n’est pas une lecture.

Clairement : l’essentiel est ce que le texte me dit, aujourd’hui. Et non ce qu’il disait, autrefois, à ceux qui vivaient une réalité différente. Il n’est d’ailleurs pas d’autre parole que cette « Parole actuelle » Des mots peuvent, certes, prendre sa place (parfois, sous le nom d’étude…), mais nous avons alors changé de registre : par un changement de masque, l’histoire aurait alors pris la place du présent.

De fait, une réponse est appelée par une question.
Sans question : le « sens » disparaît. Dans une perspective traditionnelle, ce qu’on appelle « sens » est ce qui éclaire ma situation présente. Pas de sens sans saveur. Et la réponse est aux couleurs de la question.

Transposons le dit jérémien à la situation actuelle. Où donc est la justice ? Nous le savons : la puissance ne donne pas d’avoir raison. Etre fort n’est pas être juste. La grande Babylonie (le « nouvel empire » babylonien, qui prit la suite de la redoutable Assyrie) a disparu depuis longtemps. Mais les paroles d’un prophète –membre d’un petit peuple, alors écrasé- ont traversé les siècles.

Dans ce monde violent, c’est aussi l’illustration d’un fait souvent oublié : les armes n’ont pas de pouvoir sur la vérité. Gagner la guerre, n’est pas gagner la paix. Les puissants de l’heure oublient toujours cela.

L’exigence de justice est inscrite au cœur de la démarche humaine. Sans désir de justice, aucun monde humain ne subsiste longtemps. Ce qui est vrai au plan individuel, est également vrai au plan de toute communauté humaine (famille, tribu ou nation).

Ce monde peut-il subsister tel que nous le connaissons ? Fortes paroles et vertueux discours n’édifient pas la justice. Certains rêvent d’une organisation unifiée du monde en un grand marché unique. Dans cette voie, une Europe libérale serait un pas en avant ! Vers quelle sorte d’Europe ?

Le problème est que la plus grande partie de ce monde est composée de pauvres, voire de miséreux. En sorte que peu nombreux, sur la terre, sont ceux qui pensent pouvoir tirer profit de ce « néo-libéralisme » (autrefois qualifié de capitalisme) et de cette « démocratie de marché » propice aux affaires. Même les pays « riches » connaissent leurs propres zones de détresse.

« Améliorez vos voies et vos agissements et je vous ferai demeurer en ce lieu…». Jérémie 7,3

Les armes, comme les richesses, sont destinées à passer. Une époque n’est riche que de ses prophètes. Aujourd’hui comme hier…

Jacques Chopineau, Genappe le 12 mars 2005