Une
leçon de vie
On sait que Jérémie a été le
grand prophète dont la vie tragique est marquée
par l’événement qui coupe en deux l’histoire
de l’ancien Israël : avant et après la
date de -587, cette date qui est celle de la prise
de Jérusalem, de l’incendie du Temple, de la
déportation de la population…
Dans la suite de l’histoire, rien ne sera plus comme
avant. Le désespoir est alors grand. Dans les années
qui suivent cette date terrible, nous voyons une population
décimée, sans état (la monarchie disparaît),
sans indépendance (les étrangers imposeront
leur loi), sans assurance quant à son avenir.
On comprend la réaction de déportés
qui refusent la leçon : « Il vous est arrivé cela
parce que vos pères ont péché »,
leur dit-on. Sommes-nous responsables des fautes de nos pères
? De là ce dicton ironique : « Les pères
ont mangé des raisins verts et les fils ont les dents
agacées ».
C’est cette ironie que critiquera, plus
tard, en Babylonie, un prophète déporté:
«
Aussi vrai que je suis vivant, oracle du Seigneur YHWH, vous
n’aurez plus à user de ce dicton en Israël.
Voici, toutes les vies sont à moi. La personne qui
pèche, c’est elle qui mourra ». Ezekiel
18, 3 et 4
Cependant, peu avant la catastrophe (largement
annoncée),
se place cet épisode de la vie du prophète
Jérémie :
«
Parcourez les rues de Jérusalem, regardez donc et
constatez, cherchez sur ses places si vous trouvez un homme,
un seul qui pratique la justice, qui recherche la vérité,
et je lui pardonnerai ». Jérémie 5,1
Le sort de Jérusalem et celui de tout un peuple sont
liés au comportement individuel des personnes. Le
prophète cherche un homme… et ne le trouve pas
On pense à Diogène qui –lanterne allumée
en plein jour- disait également : « je cherche
un homme ». Est-ce un autre homme que le prophète
cherchait ? Ce n’est pas certain. Un homme accompli
est rare, en tous temps et en tous lieux.
Il appartient à tous de chercher cet homme-là –lequel
pourrait justement être appelé « prophète ».
Mais si le prophète est, certes, du côté de
la justice et de la vérité, cependant, la majorité ne
porte pas le même rêve. C’est le drame
des prophètes, en tous temps.
Rappelons que le « prophète » biblique –malgré un
usage courant- n’est pas celui qui prédit l’avenir,
mais celui dont la parole éclaire le présent.
Il est celui qui « parle devant » (Source du
mot français : le grec, « pro-phêmi » qui
signifie « je parle devant ») le peuple pour
lui déclarer ce qui se passe réellement et
ce qui va se passer s’il ne change pas de manière
d’agir, au-delà des paroles rassurantes et des
attitudes affichées …. Parole actuelle
Que notre lecture ne soit pas de ces études
pour lesquelles la lecture du texte est une sorte d’archéologie.
C’est ce à quoi se résument trop souvent
les lectures savantes. Un peu d’ethnographie, de philologie,
de grammaire comparée, d’étude des sources,
d’histoire de la formation du texte… Lecture
est faite ! Mais une étude n’est pas une lecture.
Clairement : l’essentiel est ce que
le texte me dit, aujourd’hui. Et non ce qu’il
disait, autrefois, à ceux
qui vivaient une réalité différente.
Il n’est d’ailleurs pas d’autre parole
que cette « Parole actuelle » Des mots peuvent,
certes, prendre sa place (parfois, sous le nom d’étude…),
mais nous avons alors changé de registre : par un
changement de masque, l’histoire aurait alors pris
la place du présent.
De fait, une réponse est appelée
par une question.
Sans question : le « sens » disparaît.
Dans une perspective traditionnelle, ce qu’on appelle « sens » est
ce qui éclaire ma situation présente. Pas de
sens sans saveur. Et la réponse est aux couleurs de
la question.
Transposons le dit jérémien à la
situation actuelle. Où donc est la justice ? Nous
le savons : la puissance ne donne pas d’avoir raison.
Etre fort n’est pas être juste. La grande Babylonie
(le « nouvel
empire » babylonien, qui prit la suite de la redoutable
Assyrie) a disparu depuis longtemps. Mais les paroles d’un
prophète –membre d’un petit peuple, alors écrasé-
ont traversé les siècles.
Dans ce monde violent, c’est aussi l’illustration
d’un fait souvent oublié : les armes n’ont
pas de pouvoir sur la vérité. Gagner la guerre,
n’est pas gagner la paix. Les puissants de l’heure
oublient toujours cela.
L’exigence de justice est inscrite au cœur de
la démarche humaine. Sans désir de justice,
aucun monde humain ne subsiste longtemps. Ce qui est vrai
au plan individuel, est également vrai au plan de
toute communauté humaine (famille, tribu ou nation).
Ce monde peut-il subsister tel que nous le
connaissons ? Fortes paroles et vertueux discours n’édifient
pas la justice. Certains rêvent d’une organisation
unifiée du monde en un grand marché unique.
Dans cette voie, une Europe libérale serait un pas
en avant ! Vers quelle sorte d’Europe ?
Le problème est que la plus grande partie de ce monde
est composée de pauvres, voire de miséreux.
En sorte que peu nombreux, sur la terre, sont ceux qui pensent
pouvoir tirer profit de ce « néo-libéralisme » (autrefois
qualifié de capitalisme) et de cette « démocratie
de marché » propice aux affaires. Même
les pays « riches » connaissent leurs propres
zones de détresse.
«
Améliorez vos voies et vos agissements et je vous
ferai demeurer en ce lieu…». Jérémie
7,3
Les armes, comme les richesses, sont destinées à passer.
Une époque n’est riche que de ses prophètes.
Aujourd’hui comme hier…
Jacques Chopineau, Genappe le 12 mars 2005 |