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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Dieu unique

- Croyance et politique

 

   


Un Dieu unique ?

 

 

Dieu unique

« Écoute Israël, YHWH est notre Dieu, YHWH est un »
Deutéronome 6,4

C’est le début d’un texte bien connu par toute la tradition juive. Le « chma’ Israël » (« Écoute Israël ») est dans toutes les mémoires -juives d’abord, chrétiennes ensuite.

Et c’est ce même texte qui est cité dans l’évangile (Marc 12,29 et parallèles). Jésus le juif ne pouvait évidemment pas l’ignorer. L’Evangile est clair, mais dans la suite de l’histoire, les définitions se compliquent. Les premiers chrétiens ne connaissaient pas encore une doctrine de la trinité -laquelle brouille un peu cette perspective monothéiste.

Trinité, certes, n’est pas trithéisme ! Les chrétiens sont des monothéistes. Mais leurs mots pour le dire sont compliqués. Si compliqués que seul celui a étudié la philosophie ancienne, peut en comprendre les termes. Dans le cas contraire, il est voué à répéter des énoncés qu’il ne comprend pas.

Evidemment, on peut dire cela de beaucoup d’énoncés théologiques chrétiens. Sans une certaine familiarité avec la philosophie grecque ancienne et sans connaissance du formidable édifice dogmatique élaboré (en général en latin) au cours des siècles, le langage de la théologie est incompréhensible. Un moderne est voué à répéter des énoncés mystérieux –et ces « mystères » sont le vêtement de ce qu’il appelle sa « foi ».

En réalité, beaucoup de chrétiens sont, aujourd’hui, dans la situation d’unitariens de fait, sans pour autant adhérer à (ni même avoir connaissance de) ces affirmation unitariennes qui –malgré les persécutions- ont traversé l’histoire du christianisme. Persécutés tant par les catholiques que par les protestants, les chrétiens unitariens ont toujours rappelé que le christianisme primitif n’a jamais été identique à ce qu’il devenu à partir du quatrième siècle.

Jésus n’a jamais dit qu’il était Dieu. « Fils » est un terme de relation. Voilà un homme qui était tellement transparent à Dieu, qu’en regardant à travers lui, c’est Dieu qu’on voyait. Les définitions postérieures sont des subtilités philosophiques devenues, avec le temps, vénérables, ici et là.

Il fut un temps où le refus d’adhérer aux définitions du passé entraînait l’emprisonnement et la mort (Michel Servet a -comme beaucoup d’autres- connu le bûcher pour avoir eu une définition différente de l’unicité de Dieu). Aujourd’hui encore, il est mal considéré d’exprimer un désaccord sur les définitions des premiers conciles. Le vocabulaire d’une philosophie ancienne est le support obligé de la vérité chrétienne intangible.

Et la trinité n’est pas seule en cause. Que dire des deux natures ? Et du Filioque ? Et, plus tard, de cette « transubstantation » dont la définition supposait une philosophie dite « réaliste » (par opposition à « nominaliste ») -un langage dont presque personne, aujourd’hui, ne comprend plus les termes. Des pans entiers de la théologie sont tombés, non dans l’hostilité, mais dans une indifférence silencieuse généralisée –ou bien, parfois, dans un conformisme doctrinal d’autant plus ferme qu’il est ignorant de l’histoire.

D’autre part, cependant, il ne faudrait pas (comme certains unitariens) faire une sorte de fixation sur la doctrine de la trinité. On peut, certes, comprendre ces chrétiens -au vu d’une histoire souvent tragique- mais nombreuses sont les définitions, souvent répétées qui sont, aujourd’hui, devenues incompréhensibles.

Croyance et politique   

À l’opposé de ces définitions incompréhensibles pour un grand nombre, l’Islam est parfaitement clair. On peut même penser qu’un apport essentiel de l’Islam est son insistance sur ce point. Quel que soit leur langage, toutes les religions de l’Europe qui se construit sont replacées devant cette affirmation fondamentale : Dieu est UN.

Certes, le judaïsme a toujours professé ce point, mais les christianismes sont parfois tentés de noyer ce rappel dans un arsenal des définitions mal comprises. Rappelons que dans ce monde changeant, rien n’est univoque ni éternel. Il y a toujours un bien et un mal, un pour et un contre, un vrai et un faux. Seul Dieu est -incompréhensiblement- UN.

La confession de foi musulmane (la « chahâda ») comporte deux énoncés (trois pour les chi’ites). Le premier énoncé insiste fortement sur l’unicité de Dieu : « Pas de divinité, sauf Dieu ». Tout monothéiste pourrait souscrire à cette affirmation. La suite de la « chahâda » est propre aux seuls musulmans. Restons un instant sur cette première partie : que signifie-t-elle ?

Pour faire bref, disons que rien en ce monde n’est divin, sauf Dieu. Ce qui signifie que ni pouvoir, ni richesse, ni drapeau, ni rien … ne doit être adoré en tant que Dieu. Non pas que ces réalités ne puissent (en un temps et en un lieu) répondre à une nécessité, mais rien de tout cela n’est divin.

Il serait naïf de penser que cette affirmation n’a pas de conséquence sur le plan politique. Prenons ici le mot « politique » en son sens étymologique :
la « polis » est la cité –c'est-à-dire le lieu de vie de tous ses habitants. Dans cette « polis », les dieux sont des pouvoirs. Et tous les pouvoirs fonctionnent comme des dieux. Il faut choisir lequel, dans la pratique, nous voulons servir.

Aux chrétiens, on peut rappeler ici cette parole fameuse de Jésus à qui on demandait s’il fallait ou non payer l’impôt à César. La réponse est éclairante. Après s’être fait montrer une pièce de monnaie qui portait l’effigie de César :

« Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ?
Ils répondent : de César.
Alors il leur dit :
Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »

Matthieu 22,20

La pièce qui porte l’effigie de César appartient à César. Mais l’homme est à l’image de Dieu et ne peut donc appartenir à un autre pouvoir. Par destination, il appartient à Dieu seul. Tout ce qui -au nom d’un autre pouvoir- heurte, entache, méprise, maltraite cet humain s’oppose à Dieu. Dans notre monde violent, les conséquences proprement politiques d’une telle affirmation sont nombreuses. À notre monde marchand, il faut rappeler que l’homme n’est pas une marchandise.

Naturellement, les croyants ne sont pas les seuls à manifester un tel respect de l’humain. Une particularité européenne porte sur le « vivre ensemble » de populations différentes. Cette grande « polis » est celle de tous. Les uns ont une conviction religieuse (il en est plusieurs….) ; les autres n’en ont pas (agnostiques ou athées). Il importe seulement que tous se respectent. Religieux ou non, l’humain est au centre. Telle est la source de tous les humanismes.

Une religion est un chemin d’évolution. De l’humain vers le plus humain. Mais nulle exclusive n’est ici à sa place. Comme le rappelle une parole coranique :

« Si ton Seigneur l’avait voulu, tous les habitants de la terre auraient cru.
Est-ce à toi de contraindre les hommes à être croyants ? ».

Sourate 10, verset 99

Jacques Chopineau, Genappe le 15 décembre 2004