Dieu
unique
«
Écoute Israël, YHWH est notre Dieu, YHWH est
un »
Deutéronome 6,4
C’est le début d’un texte bien connu par
toute la tradition juive. Le « chma’ Israël » (« Écoute
Israël ») est dans toutes les mémoires
-juives d’abord, chrétiennes ensuite.
Et c’est ce même texte qui est cité dans
l’évangile (Marc 12,29 et parallèles).
Jésus le juif ne pouvait évidemment pas l’ignorer.
L’Evangile est clair, mais dans la suite de l’histoire,
les définitions se compliquent. Les premiers chrétiens
ne connaissaient pas encore une doctrine de la trinité -laquelle
brouille un peu cette perspective monothéiste.
Trinité, certes, n’est pas trithéisme
! Les chrétiens sont des monothéistes. Mais
leurs mots pour le dire sont compliqués. Si compliqués
que seul celui a étudié la philosophie ancienne,
peut en comprendre les termes. Dans le cas contraire, il
est voué à répéter des énoncés
qu’il ne comprend pas.
Evidemment, on peut dire cela de beaucoup
d’énoncés
théologiques chrétiens. Sans une certaine familiarité avec
la philosophie grecque ancienne et sans connaissance du formidable édifice
dogmatique élaboré (en général
en latin) au cours des siècles, le langage de la théologie
est incompréhensible. Un moderne est voué à répéter
des énoncés mystérieux –et ces « mystères » sont
le vêtement de ce qu’il appelle sa « foi ».
En réalité, beaucoup de chrétiens sont,
aujourd’hui, dans la situation d’unitariens de
fait, sans pour autant adhérer à (ni même
avoir connaissance de) ces affirmation unitariennes qui –malgré les
persécutions- ont traversé l’histoire
du christianisme. Persécutés tant par les catholiques
que par les protestants, les chrétiens unitariens
ont toujours rappelé que le christianisme primitif
n’a jamais été identique à ce
qu’il devenu à partir du quatrième siècle.
Jésus n’a jamais dit qu’il était
Dieu. « Fils » est un terme de relation. Voilà un
homme qui était tellement transparent à Dieu,
qu’en regardant à travers lui, c’est Dieu
qu’on voyait. Les définitions postérieures
sont des subtilités philosophiques devenues, avec
le temps, vénérables, ici et là.
Il fut un temps où le refus d’adhérer
aux définitions du passé entraînait
l’emprisonnement et la mort (Michel Servet a -comme
beaucoup d’autres- connu le bûcher pour avoir
eu une définition différente de l’unicité de
Dieu). Aujourd’hui encore, il est mal considéré d’exprimer
un désaccord sur les définitions des premiers
conciles. Le vocabulaire d’une philosophie ancienne
est le support obligé de la vérité chrétienne
intangible.
Et la trinité n’est pas seule en cause. Que
dire des deux natures ? Et du Filioque ? Et, plus tard, de
cette « transubstantation » dont la définition
supposait une philosophie dite « réaliste » (par
opposition à « nominaliste ») -un langage
dont presque personne, aujourd’hui, ne comprend plus
les termes. Des pans entiers de la théologie sont
tombés, non dans l’hostilité, mais dans
une indifférence silencieuse généralisée –ou
bien, parfois, dans un conformisme doctrinal d’autant
plus ferme qu’il est ignorant de l’histoire.
D’autre part, cependant, il ne faudrait pas (comme
certains unitariens) faire une sorte de fixation sur la doctrine
de la trinité. On peut, certes, comprendre ces chrétiens
-au vu d’une histoire souvent tragique- mais nombreuses
sont les définitions, souvent répétées
qui sont, aujourd’hui, devenues incompréhensibles.
Croyance et politique
À
l’opposé de ces définitions incompréhensibles
pour un grand nombre, l’Islam est parfaitement clair.
On peut même penser qu’un apport essentiel de
l’Islam est son insistance sur ce point. Quel que soit
leur langage, toutes les religions de l’Europe qui
se construit sont replacées devant cette affirmation
fondamentale : Dieu est UN.
Certes, le judaïsme a toujours professé ce point,
mais les christianismes sont parfois tentés de noyer
ce rappel dans un arsenal des définitions mal comprises.
Rappelons que dans ce monde changeant, rien n’est univoque
ni éternel. Il y a toujours un bien et un mal, un
pour et un contre, un vrai et un faux. Seul Dieu est -incompréhensiblement-
UN.
La confession de foi musulmane (la « chahâda »)
comporte deux énoncés (trois pour les chi’ites).
Le premier énoncé insiste fortement sur l’unicité de
Dieu : « Pas de divinité, sauf Dieu ».
Tout monothéiste pourrait souscrire à cette
affirmation. La suite de la « chahâda » est
propre aux seuls musulmans. Restons un instant sur cette
première partie : que signifie-t-elle ?
Pour faire bref, disons que rien en ce monde
n’est
divin, sauf Dieu. Ce qui signifie que ni pouvoir, ni richesse,
ni drapeau, ni rien … ne doit être adoré en
tant que Dieu. Non pas que ces réalités ne
puissent (en un temps et en un lieu) répondre à une
nécessité, mais rien de tout cela n’est
divin.
Il serait naïf de penser que cette affirmation n’a
pas de conséquence sur le plan politique. Prenons
ici le mot « politique » en son sens étymologique
:
la « polis » est la cité –c'est-à-dire
le lieu de vie de tous ses habitants. Dans cette « polis »,
les dieux sont des pouvoirs. Et tous les pouvoirs fonctionnent
comme des dieux. Il faut choisir lequel, dans la pratique,
nous voulons servir.
Aux chrétiens, on peut rappeler ici
cette parole fameuse de Jésus à qui on demandait
s’il fallait
ou non payer l’impôt à César. La
réponse est éclairante. Après s’être
fait montrer une pièce de monnaie qui portait l’effigie
de César :
« Cette
effigie et cette inscription, de qui sont-elles ?
Ils
répondent : de César.
Alors il leur dit :
Rendez
donc à César ce qui est à César,
et à Dieu ce qui est à Dieu »
Matthieu 22,20
La pièce qui porte l’effigie de César
appartient à César. Mais l’homme est à l’image
de Dieu et ne peut donc appartenir à un autre pouvoir.
Par destination, il appartient à Dieu seul. Tout ce
qui -au nom d’un autre pouvoir- heurte, entache, méprise,
maltraite cet humain s’oppose à Dieu. Dans notre
monde violent, les conséquences proprement politiques
d’une telle affirmation sont nombreuses. À notre
monde marchand, il faut rappeler que l’homme n’est
pas une marchandise.
Naturellement, les croyants ne sont pas les
seuls à manifester
un tel respect de l’humain. Une particularité européenne
porte sur le « vivre ensemble » de populations
différentes. Cette grande « polis » est
celle de tous. Les uns ont une conviction religieuse (il
en est plusieurs….) ; les autres n’en ont pas
(agnostiques ou athées). Il importe seulement que
tous se respectent. Religieux ou non, l’humain est
au centre. Telle est la source de tous les humanismes.
Une religion est un chemin d’évolution. De l’humain
vers le plus humain. Mais nulle exclusive n’est ici à sa
place. Comme le rappelle une parole coranique :
«
Si ton Seigneur l’avait voulu, tous les habitants de
la terre auraient cru.
Est-ce à toi de contraindre
les hommes à être croyants ? ».
Sourate 10, verset 99
Jacques Chopineau, Genappe le 15 décembre 2004 |