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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- L’illusion du lieu

- Et aujourd’hui ?

 

   


Le discours du Temple

 

 

L’illusion du lieu

Le prophète Jérémie dénonce -dans ces paroles fameuses- l’attachement à un Temple destiné à être détruit. Discours terrible et paroles qui paraissent scandaleuses au moment où l’ennemi babylonien approche et où la population vient chercher refuge en un lieu où Dieu est censé résider. Quel autre secours attendre ?

L’armée nationale ne peut (après Meggiddo en -609 et après la mort du roi Josias) arrêter cette invasion. Le seul secours attendu est celui de Dieu : Il ne permettra pas que Sa résidence (son Temple) tombe aux mains de l’ennemi. D’autant qu’un siège et la prise de la ville sont une perspective épouvantable: la population a toutes les raisons d’être effrayée.
C’est en ces circonstances que résonnent les paroles du prophète :

« Écoutez cette parole de YHWH, vous tous, judéens qui entrez par ces portes pour vous prosterner devant YHWH. Ainsi a parlé YHWH des armées, Dieu d’Israël : Améliorez vos voies et vos agissements et je vous ferai demeurer en ce lieu. Ne vous fiez pas aux paroles de mensonge : Temple de YHWH, temple de YHWH, temple de YHWH… Ce lieu-ci ! Mais si vous améliorez vos voies et vos agissements, si vous pratiquez la justice entre un homme et son prochain, si vous n’opprimez pas l’hôte, l’orphelin, la veuve, si vous vous ne répandez pas le sang innocent en ce lieu, si vous n’allez pas à la suite des autres dieux pour votre malheur, alors je vous ferai demeurer en ce lieu, dans le pays que j’ai donné à vos pères…… ». Jérémie 7, 2-7

Sans commenter tout ce texte, relevons que « je vous ferai demeurer » peut être lu (mêmes consonnes) : « je résiderai avec vous ».
C’est d’ailleurs ainsi que Saint Jérôme (qui lisait un texte hébreu non vocalisé) l’avait compris (« Et habitabo vobiscum in loco isto »).

D’autre part, l’expression : « Ce lieu-ci » (verset 4) veut traduire ce qui est certainement une abréviation (HMH = « ha-maqom ha-zè » = « ce lieu-ci »). Il est d’autres hypothèses, mais celle-ci semble la plus probable.

Dans tous les cas, ce qui est en cause est qu’un temple (même le prestigieux Temple de Salomon) n’est pas le lieu obligé de la présence de Dieu. La présence de Dieu est liée au comportement du peuple. Sont visés les comportements, et non les lieux. Les cœurs, et non les pierres.

Plus tard, Ezekiel, l’ancien prêtre déporté en Babylonie, verra la « gloire » (de Dieu) quitter le Temple de Jérusalem et voyager vers Babylone. Loin d’être lié à un seul lieu, Dieu est partout où Il est adoré. Certes, bien d’autres textes bibliques le rappellent, mais ici les circonstances font que les paroles de Jérémie sont choquantes –voire scandaleuses.

D’ailleurs, le récit prosaïque qui rapporte le même événement (Cf Jérémie 26) est parfaitement clair. Les autorités de l’époque jugent ces paroles démoralisatrices et le prophète échappe de peu à la mort.

Certes, ce n’est pas la première fois que le caractère relatif (et symbolique) du lieu est rappelé. Dans un tout autre contexte, un texte esaïen le rappelle :

« Ainsi a dit YHWH : Le ciel est mon trône
et la terre l’escabeau de mes pieds
quelle maison me bâtiriez-vous donc ? »

Esaïe 66,1 (texte cité en Actes 7,49)

Et aujourd’hui ?    

Dépassons le côté historique de l’événement. Ce qui est ici rapporté (en Jérémie 7) contient un enseignement qui transcende les temps et les cultures. Les hommes de tous les temps, les fidèles de toutes les religions, pensent que leur Dieu est lié à un lieu (un sanctuaire, une doctrine, des usages spécifiques). Installés dans ses certitudes (baptisées « religion »), le peuple croyant espère que les choses changeront, sans que lui-même change.

Le cadre particulier du discours de Jérémie rend cette fausse assurance nécessaire pour une population menacée. Mais la question est de tous les temps : Dieu est-Il lié à un lieu ?

« Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu ? »
I Corinthiens 3,16

Certes, toutes les religions sont attachées à tel sanctuaire ou à telle pratique. Et tous les lieux ne sont pas les mêmes et toutes les pratiques ne sont identiques.

Cependant, même dans le cas de la pratique universelle en Islam (usage, certes, très respectable et chargé de sens) de la direction de la prière, la texte coranique rappelle clairement ce qui est essentiel :

« La piété ne consiste pas à tourner votre face vers l’Orient ou l’Occident, mais la piété c’est (l’état de) celui qui croit en Dieu, au dernier jour, aux anges, au Livre et aux prophéties, qui donne sa richesse bien qu’il l’aime, aux proches, aux orphelins, aux pauvres, aux voyageurs et aux mendiants, aux esclaves, qui accomplit les prières et fait l’aumône … ». Sourate II, 177 (1)

Ni les pierres du Temple, ni la direction de la prière ne sont –de soi- l’essentiel. Les symboles ne sont pas des lois, mais des indications. Non des contraintes, mais des rappels porteurs de sens. Le doigt qui montre la lune, n’est pas sur la lune. Il ne suffit pas de désigner pour être ce qu’on désigne. Dans le réalisme de la religion musulmane, une foi qui ne se manifesterait pas en œuvres concrètes serait de l’hypocrisie. Sans doute peut-on dire cela de toute religion. C’est aussi ce Jérémie rappelle dans son discours du Temple. Et aujourd’hui ?

Jacques Chopineau, Genappe le 6 décembre 2004

(1) Verset 177 dans l’édition égyptienne ainsi que dans les éditions publiées au Liban et en Arabie séoudite. Mais c’est le verset 172 dans l’édition de Flügel. On conserve ici la numérotation traditionnelle.