L’illusion
du lieu
Le prophète Jérémie dénonce
-dans ces paroles fameuses- l’attachement à un
Temple destiné à être détruit.
Discours terrible et paroles qui paraissent scandaleuses
au moment
où l’ennemi babylonien approche et où la
population vient chercher refuge en un lieu où Dieu
est censé résider. Quel autre secours attendre
?
L’armée nationale ne peut (après
Meggiddo en -609 et après la mort du roi Josias) arrêter
cette invasion. Le seul secours attendu est celui de Dieu
: Il ne permettra pas que Sa résidence (son Temple)
tombe aux mains de l’ennemi. D’autant qu’un
siège et la prise de la ville sont une perspective épouvantable:
la population a toutes les raisons d’être effrayée.
C’est en ces circonstances que résonnent les
paroles du prophète :
« Écoutez cette parole de YHWH, vous tous, judéens
qui entrez par ces portes pour vous prosterner devant YHWH.
Ainsi a parlé YHWH des armées, Dieu d’Israël
: Améliorez vos voies et vos agissements et je vous
ferai demeurer en ce lieu. Ne vous fiez pas aux paroles de
mensonge : Temple de YHWH, temple de YHWH, temple de YHWH… Ce
lieu-ci ! Mais si vous améliorez vos voies et vos
agissements, si vous pratiquez la justice entre un homme
et son prochain, si vous n’opprimez pas l’hôte,
l’orphelin, la veuve, si vous vous ne répandez
pas le sang innocent en ce lieu, si vous n’allez pas à la
suite des autres dieux pour votre malheur, alors je vous
ferai demeurer en ce lieu, dans le pays que j’ai donné à vos
pères…… ». Jérémie 7, 2-7
Sans commenter tout ce texte, relevons que « je
vous ferai demeurer » peut être lu (mêmes consonnes)
: « je résiderai avec vous ».
C’est
d’ailleurs ainsi que Saint Jérôme (qui
lisait un texte hébreu non vocalisé) l’avait
compris (« Et habitabo vobiscum in loco isto »).
D’autre part, l’expression : « Ce
lieu-ci » (verset
4) veut traduire ce qui est certainement une abréviation
(HMH = « ha-maqom ha-zè » = « ce
lieu-ci »). Il est d’autres hypothèses,
mais celle-ci semble la plus probable.
Dans tous les cas, ce qui est en cause est
qu’un temple
(même le prestigieux Temple de Salomon) n’est
pas le lieu obligé de la présence de Dieu.
La présence de Dieu est liée au comportement
du peuple. Sont visés les comportements, et non les
lieux. Les cœurs, et non les pierres.
Plus tard, Ezekiel, l’ancien prêtre déporté en
Babylonie, verra la « gloire » (de Dieu) quitter
le Temple de Jérusalem et voyager vers Babylone. Loin
d’être lié à un seul lieu, Dieu
est partout où Il est adoré. Certes, bien d’autres
textes bibliques le rappellent, mais ici les circonstances
font que les paroles de Jérémie sont choquantes –voire
scandaleuses.
D’ailleurs, le récit prosaïque qui rapporte
le même événement (Cf Jérémie
26) est parfaitement clair. Les autorités de l’époque
jugent ces paroles démoralisatrices et le prophète échappe
de peu à la mort.
Certes, ce n’est pas la première fois que le
caractère relatif (et symbolique) du lieu est rappelé.
Dans un tout autre contexte, un texte esaïen le rappelle
:
«
Ainsi a dit YHWH : Le ciel est mon trône
et la terre l’escabeau de mes pieds
quelle maison me bâtiriez-vous donc ? »
Esaïe 66,1 (texte cité en Actes 7,49)
Et aujourd’hui
?
Dépassons le côté historique de l’événement.
Ce qui est ici rapporté (en Jérémie
7) contient un enseignement qui transcende les temps et les
cultures. Les hommes de tous les temps, les fidèles
de toutes les religions, pensent que leur Dieu est lié à un
lieu (un sanctuaire, une doctrine, des usages spécifiques).
Installés dans ses certitudes (baptisées « religion »),
le peuple croyant espère que les choses changeront,
sans que lui-même change.
Le cadre particulier du discours de Jérémie
rend cette fausse assurance nécessaire pour une population
menacée. Mais la question est de tous les temps :
Dieu est-Il lié à un lieu ?
«
Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu ? »
I Corinthiens 3,16
Certes, toutes les religions sont attachées à tel
sanctuaire ou à telle pratique. Et tous les lieux
ne sont pas les mêmes et toutes les pratiques ne sont
identiques.
Cependant, même dans le cas de la pratique universelle
en Islam (usage, certes, très respectable et chargé de
sens) de la direction de la prière, la texte coranique
rappelle clairement ce qui est essentiel :
«
La piété ne consiste pas à tourner votre
face vers l’Orient ou l’Occident, mais la piété c’est
(l’état de) celui qui croit en Dieu, au dernier
jour, aux anges, au Livre et aux prophéties, qui donne
sa richesse bien qu’il l’aime, aux proches, aux
orphelins, aux pauvres, aux voyageurs et aux mendiants, aux
esclaves, qui accomplit les prières et fait l’aumône … ». Sourate II, 177 (1)
Ni les pierres du Temple, ni la direction
de la prière
ne sont –de soi- l’essentiel. Les symboles ne
sont pas des lois, mais des indications. Non des contraintes,
mais des rappels porteurs de sens. Le doigt qui montre la
lune, n’est pas sur la lune. Il ne suffit pas de désigner
pour être ce qu’on désigne. Dans le réalisme
de la religion musulmane, une foi qui ne se manifesterait
pas en œuvres concrètes serait de l’hypocrisie.
Sans doute peut-on dire cela de toute religion. C’est
aussi ce Jérémie rappelle dans son discours
du Temple. Et aujourd’hui ?
Jacques Chopineau, Genappe
le 6 décembre 2004
(1) Verset 177 dans
l’édition égyptienne
ainsi que dans les éditions publiées au Liban
et en Arabie séoudite. Mais c’est le verset
172 dans l’édition de Flügel. On conserve
ici la numérotation traditionnelle. |