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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Le père des croyants
- L'ami de Dieu
- Dieu entend

 

   

 

 

 

 

 

(1) Leitwortstil in der Erzählung des Pentateuchs (dans : Martin Buber et Franz Rosenzweig : Die Schrift und ihre Verdeutschung, Berlin 1936, p 211ss). La date peut sembler ancienne, mais l’article cité est un exposé de 1927. De fait, une telle observation serait encore largement nouvelle aujourd’hui !

 

 


Note sur le « père Abraham »

 

 

Le père des croyants

Abraham est le « père des croyants », pour tous les croyants monothéistes (juifs, chrétiens et musulmans). Ces trois monothéismes coulent de la même source.

L’Islam se veut d’ailleurs être la « religion d’Abraham » (« millat ‘Ibrahim »). Abraham est alors le modèle du véritable croyant, totalement soumis à Dieu (Hanîf) et il est aussi un ancêtre, par Ismaël, du prophète de l’Islam. Dans cette perspective –et au-delà des religions historiques (avant Moïse, avant Jésus….)- la religion d’Abraham est celle de l’humain primordial et aussi celle dont l’Islam se veut être la restauration.

L'ami de Dieu

L’histoire biblique d’Abraham (ou plutôt les histoires bibliques sur Abraham –car l’histoire qui intéresse les historiens serait ici un recueil d’anecdotes non significatives, si même elles pouvaient être prouvées !) est un texte organisée en un cycle de sept révélations.

Il n’est pas dans notre propos ici de montrer l’organisation de ces récits -cela a d’ailleurs déjà été fait par ce grand lecteur qu’était Martin Buber (1). Rappelons seulement que la culmination de ces sept révélations est le texte superbe de Genèse 22. Un texte que l’on s’obstine à appeler le « sacrifice d’Isaac » et qui est, justement, le contraire d’un sacrifice, puisque c’est le récit d’une substitution au sacrifice (un bélier au lieu d’un être humain). La terminologie juive est certainement préférable : le « ligotage » (‘aqêda) d’Isaac.

D’ailleurs, le lecteur (ou l’auditeur) sait, dès le premier verset (Cf Genèse 22,1), qu’il s’agit d’une épreuve, et non d’un sacrifice. Seul Abraham, dans le texte, est censé ne pas le savoir. Son obéissance n’en est que plus évidente.

Le terme de « sacrifice » vient d’une interprétation chrétienne ancienne (patristique) qui a voulu voir dans ce texte une figure du sacrifice du Christ –mais ceci est autre histoire…

« C’est ainsi que fut accomplie l’Ecriture qui dit :
Abraham crut à Dieu, et cela lui fut compté comme justice,
et qu’il fut appelé ami de Dieu »

Jacques 2,23

Plusieurs textes bibliques reprennent ce qualificatif d’ « ami » :

« Mais toi, Israël, mon serviteur,
Jacob, que j’ai choisi,
descendance d’Abraham, mon ami »

Esaie 41,8

Certes, il ne suffit pas de dire : « Nous avons Abraham pour père ». Comme si ce rappel était, en soi, suffisant. Viendrait alors ce rappel :

« … de ces pierres, Dieu peut susciter des enfants à Abraham »
Luc 3,8

Le jeu de sons qui sous-tend cette parole est particulièrement fort en hébreu (ben = fils ; eben = pierre) ou encore en araméen (la langue de Jésus).
L’invocation de la part du riche au « père Abraham » (cf Luc 16,24 et 16,30) reçoit d’Abraham cette réponse :

« Ils ont Moïse et les prophètes : qu’ils les écoutent ! »
Luc 16,29

Il est vain de se réclamer d’Abraham pour tenter de justifier des comportements injustes. Vain aussi de penser que des siècles de recherche et de réflexion, nous auraient rendus plus dignes ou plus soucieux de vérité.

C’était l’opinion d’un étudiant qui pensait que nous en savons plus sur Dieu, aujourd’hui, qu’Abraham l’ancien. Réponse du professeur –en forme de question : « Vous croyez que nous en savons plus sur Dieu, qu’Abraham, l’ami de Dieu ? » La réponse est de tous les temps.

Dieu entend   

Un autre texte est souvent passé sous silence –comme si la mauvaise image de l’Islam, diffusée par les médias et véhiculée par l’ignorance du public au sujet de la religion islamique, faisait oublier les sources communes des monothéismes. Cela changera, certes, mais cette image fausse est, aujourd’hui, souvent régnante.

Les textes coraniques sur Abraham sont nombreux. Le sujet mériterait bien d’être, à nouveau, abordé pour lui-même. Mais il faut rappeler que, selon la Bible, Ismaël (l’autre fils d’Abraham) est –lui aussi- l’objet de cette promesse d’une descendance nombreuse :

« Le messager du Seigneur la trouva près d’une source dans le désert, celle qui est sur le chemin de Shour. Il dit : Hagar, servante de Saraï, d’où viens-tu et où vas-tu ? Elle répondit : Je me suis enfuie pour échapper à Saraï, ma maîtresse. Le messager du Seigneur lui dit : Retourne chez ta maîtresse et laisse-toi affliger par elle. Le messager du Seigneur lui dit : Je multiplierai ta descendance ; on ne pourra pas la compter, tant elle sera nombreuse. Le messager du Seigneur lui dit : Te voici enceinte ; tu vas mettre au monde un fils, et tu l’appelleras du nom d’Ismaël, car le Seigneur t’a entendue dans ton affliction ». Genèse 16, 7-10

Le nom « Ismaël » (en hébreu « Yichme’êl » ; en arabe « Isma’îl ») signifie : « Dieu entend ». Un cri entendu n’est jamais vain. Ton cri n’est pas vain, Hagar.

On peut comprendre que l’Islam, dans toute sa riche tradition, fasse une grande place à Ismaël. L’actualité –avec son cortège de violences- nous ferait-elle oublier que les musulmans sont également « fils d’Abraham » ?
Le terme de « fils » est un terme de relation qui indique une paternité symbolique commune. Nous avons tous le même père, lors même que nous sommes des frères différents.

Cette parenté est éclairante, même si les réalités quotidiennes, ici et là, semblent la démentir. Un cri n’est vain que s’il n’est pas entendu. Aujourd’hui, le cri des palestiniens sera-t-il entendu en Europe ?

Jacques Chopineau, Genappe, le 21 octobre 2004