Le père des croyants
Abraham est le « père des croyants »,
pour tous les croyants monothéistes (juifs, chrétiens
et musulmans). Ces trois monothéismes coulent de la
même source. L’Islam se veut d’ailleurs être la « religion
d’Abraham » (« millat ‘Ibrahim »).
Abraham est alors le modèle du véritable croyant,
totalement soumis à Dieu (Hanîf) et il est aussi
un ancêtre, par Ismaël, du prophète de
l’Islam. Dans cette perspective –et au-delà des
religions historiques (avant Moïse, avant Jésus….)-
la religion d’Abraham est celle de l’humain primordial
et aussi celle dont l’Islam se veut être la restauration.
L'ami de Dieu L’histoire biblique d’Abraham (ou plutôt
les histoires bibliques sur Abraham –car l’histoire
qui intéresse les historiens serait ici un recueil
d’anecdotes non significatives, si même elles
pouvaient être prouvées !) est un texte organisée
en un cycle de sept révélations.
Il n’est pas dans notre propos ici de
montrer l’organisation
de ces récits -cela a d’ailleurs déjà été fait
par ce grand lecteur qu’était Martin Buber (1).
Rappelons seulement que la culmination de ces sept révélations
est le texte superbe de Genèse 22. Un texte que l’on
s’obstine à appeler le « sacrifice d’Isaac » et
qui est, justement, le contraire d’un sacrifice, puisque
c’est le récit d’une substitution au sacrifice
(un bélier au lieu d’un être humain).
La terminologie juive est certainement préférable
: le « ligotage » (‘aqêda) d’Isaac.
D’ailleurs, le lecteur (ou l’auditeur) sait,
dès le premier verset (Cf Genèse 22,1), qu’il
s’agit d’une épreuve, et non d’un
sacrifice. Seul Abraham, dans le texte, est censé ne
pas le savoir. Son obéissance n’en est que plus évidente.
Le terme de « sacrifice » vient d’une interprétation
chrétienne ancienne (patristique) qui a voulu voir
dans ce texte une figure du sacrifice du Christ –mais
ceci est autre histoire…
«
C’est ainsi que fut accomplie l’Ecriture qui
dit :
Abraham crut à Dieu, et cela lui fut compté comme
justice,
et qu’il fut appelé ami de Dieu »
Jacques 2,23
Plusieurs textes bibliques reprennent ce qualificatif
d’ « ami » :
«
Mais toi, Israël, mon serviteur,
Jacob, que j’ai choisi,
descendance d’Abraham, mon ami »
Esaie 41,8
Certes, il ne suffit pas de dire : « Nous avons Abraham pour père ».
Comme si ce rappel était, en soi, suffisant. Viendrait alors ce rappel
:
« … de ces pierres, Dieu peut susciter des enfants à Abraham »
Luc 3,8
Le jeu de sons qui sous-tend cette parole
est particulièrement fort en
hébreu (ben = fils ; eben = pierre) ou encore en araméen (la langue
de Jésus).
L’invocation de la part du riche au « père Abraham » (cf
Luc 16,24 et 16,30) reçoit d’Abraham cette réponse :
«
Ils ont Moïse et les prophètes : qu’ils les écoutent
! »
Luc 16,29
Il est vain
de se réclamer d’Abraham pour tenter de justifier des
comportements injustes. Vain aussi de penser que des siècles de recherche
et de réflexion, nous auraient rendus plus dignes ou plus soucieux de
vérité.
C’était l’opinion d’un étudiant
qui pensait que nous en savons plus sur Dieu, aujourd’hui,
qu’Abraham l’ancien.
Réponse du professeur –en forme de question : « Vous
croyez que nous en savons plus sur Dieu, qu’Abraham, l’ami
de Dieu ? » La réponse est de tous les temps.
Dieu entend Un autre texte est souvent passé sous silence –comme si la mauvaise
image de l’Islam, diffusée par les médias et véhiculée
par l’ignorance du public au sujet de la religion islamique, faisait oublier
les sources communes des monothéismes. Cela changera, certes, mais cette
image fausse est, aujourd’hui, souvent régnante.
Les textes coraniques sur Abraham sont nombreux.
Le sujet mériterait bien
d’être, à nouveau, abordé pour lui-même. Mais
il faut rappeler que, selon la Bible, Ismaël (l’autre fils d’Abraham)
est –lui aussi- l’objet de cette promesse d’une descendance
nombreuse :
«
Le messager du Seigneur la trouva près d’une
source dans le désert,
celle qui est sur le chemin de Shour. Il dit : Hagar, servante
de Saraï,
d’où viens-tu et où vas-tu ? Elle répondit
: Je me suis enfuie pour échapper à Saraï,
ma maîtresse. Le
messager du Seigneur lui dit : Retourne chez ta maîtresse
et laisse-toi affliger par elle. Le messager du Seigneur
lui dit : Je multiplierai ta descendance
; on ne pourra pas la compter, tant elle sera nombreuse.
Le messager du Seigneur lui dit : Te voici enceinte ; tu
vas mettre au monde un fils, et tu l’appelleras
du nom d’Ismaël, car le Seigneur t’a entendue
dans ton affliction ». Genèse 16, 7-10
Le nom « Ismaël » (en hébreu « Yichme’êl » ;
en arabe « Isma’îl ») signifie : « Dieu
entend ».
Un cri entendu n’est jamais vain. Ton cri n’est
pas vain, Hagar.
On peut comprendre que l’Islam, dans
toute sa riche tradition, fasse une grande place à Ismaël.
L’actualité –avec son cortège
de violences- nous ferait-elle oublier que les musulmans
sont également « fils
d’Abraham » ?
Le terme de « fils » est
un terme de relation qui indique une paternité symbolique
commune. Nous avons tous le même
père, lors même que nous sommes des frères
différents.
Cette parenté est éclairante, même si les réalités
quotidiennes, ici et là, semblent la démentir. Un cri n’est
vain que s’il n’est pas entendu. Aujourd’hui,
le cri des palestiniens sera-t-il entendu en Europe ?
Jacques Chopineau, Genappe, le 21 octobre
2004 |