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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

Jonas :

- La colombe, la ville, l’épée…

- La colombe du déluge

 

   


Le triple nom d’un prophète

 

 

Jonas : La colombe, la ville, l’épée…

Existe-t-il un personnage historique connu sous le nom de Jonas ?
Oui et non : tout dépend de quoi l’on parle. Bien sûr, le livret nous réfère au nom d’un prophète très ancien (Cf II Rois 14,25). Un prophète, d’ailleurs, sur lequel on ne sait rien, mais qui a existé à une époque où Ninive était la capitale de l’empire assyrien. Plusieurs siècles ont passé depuis cette époque lointaine. Le nom du prophète Jonas –nom donné, bien après le retour de l’exil babylonien- est ce qui nous occupe ici.

C’est au-delà de l’histoire qu’il convient de chercher ce que ce nom évoque. La vérité du récit biblique déborde largement toute exactitude de type historique. La « vérité » d’un récit biblique est dans ce qu’il me donne à voir et à comprendre. Dans ma lecture, donc. La vérité est cela seulement qui transforme ma compréhension.

Il faut se rappeler que, pour l’auteur du livret de Jonas, les Ecritures anciennes sont présentes aujourd’hui, comme en tous les temps. Elles sont le miroir des réalités actuelles et donnent de les comprendre. Les Ecritures anciennes sont aussi un grand répertoire dans lequel tout lecteur peut puiser pour déchiffrer le présent. C’est ce qui est fait dans le livret, de multiples manières. Bornons-nous ici au nom du « prophète » : un nom symbolique.

Le mot « yona » (le nom hébreu de Jonas) est non seulement un nom propre, mais aussi un nom commun (« yona» = colombe ») et un qualificatif (participe féminin du verbe YaNaH = « être violent », « opprimer »). Cette dernière forme homonyme du nom propre Jonas se lit quatre fois dans le texte biblique. Le terme « yona » qualifie la colère de Dieu (Jérémie 25,38), l’épée mandée par Dieu contre l’Egypte (Jérémie 46,16) et contre Babylone (Jérémie 50,16)

Ce participe (employé comme adjectif qualificatif) qualifie aussi la ville de Jérusalem (la ville appelée « colombe ») en Sophonie (1). La désignation n’est pas nouvelle (Cf Osée 7,11 ; 11,11 ; Psaume 68,14 ; cp Cantique 2,14), mais suppose, pour être comprise, un grand entraînement à la relecture des textes anciens.

N’en déplaise aux savants exégètes modernes, les arguments puisés dans l’histoire ou dans l’exactitude grammaticale sont ici de peu de poids. Le lecteur est invité à une compréhension profonde et les termes du récit ne sont que les degrés de ce grand escalier qui mène à la compréhension.

La colombe du déluge    

Jonas (Yona) est aussi un nom propre : celui du prophète « auteur » du livret qui porte ce nom. C’est d’ailleurs le seul des prophètes bibliques dits
« écrivains » (les 3 « grands » et les 12 « mineurs ») qui soit cité dans le texte coranique. Et c’est un prophète dont l’iconographie chrétienne a abondamment illustré les aventures, au fil des siècles.

Dans le récit biblique (Genèse 8,11), une colombe ( yona) annonce la fin du grand déluge. Sur la terre enfin sèche, la colombe est le signe d’un monde nouveau -pour une humanité qui commence. La fiction narrative du livret de Jonas est à lire symboliquement. Le prophète « colombe » annonce la naissance d’un monde marqué par cette « repentance » ouverte à tous, même à la païenne Ninive. Ce « retour » (en hébreu : techouva) est la metanoia des chrétiens ou encore le « retour » (à Dieu) des musulmans.

Le lecteur du livret de Jonas est ainsi invité à découvrir, à travers un « jeu » complexe d’associations et de réminiscences, un enseignement de l’ancien prophétisme sur la repentance et sur la miséricorde divine. Le texte abonde de relectures (principalement des livres des Psaumes, d’Osée et de Jérémie).

De fait, le récit (la fiction narrative) n’est que le vêtement d’une relecture profonde de l’histoire de Jérusalem à la lumière de la situation présente qui est celle de la domination perse –et, donc, du grand éclatement que cela signifie.

C’est là une nouvelle vision du monde, à une époque où l’ancien Israël est éclaté en multiples diasporas lointaines. Jérusalem est toujours un centre religieux, mais non plus la capitale d’un royaume indépendant. Du coup, l’ancienne religion nationale est perçue sous un jour nouveau.

L’épée destructrice fut en un temps celle de Jérusalem (et de nos jours ?), puis ce fut celle de Ninive et de la puissance assyrienne. Ensuite, ce fut celle de Babylone. C’est aujourd’hui (à l’époque de Jonas) celle du grand empire perse. Ces violences, en leur temps, ont signifié, la mort pour la petite Judée.

Le prophète Yona annonce la fin de cette logique de domination. Même Ninive –l’antique capitale de la terrible Assyrie- se convertit ! La colombe « yona » avalée par le grand poisson est analogue au petit Israël captif du grand empire. Comme Jonas, Israël a été avalé (cf Osée 8,8). Mais, de ce fait, le Nom de Dieu est connu par les nations lointaines (cf Malachie 1,11).

Dans le récit biblique, la capitale du grand empire (symboliquement : Ninive) écoute la voix du prophète. Le nom de la ville est d’autant plus symbolique que –dans l’ancienne écriture cunéiforme en usage pour noter la langue des assyriens et des babyloniens- le nom de Ninive comporte la figure d’un poisson dans une ville. Ce grand poisson a « avalé » le prophète…

La colombe (comme celle du déluge) est le signe visible du monde nouveau qui s’ouvre alors aux yeux des contemporains. Et de nos jours ?

Jacques Chopineau, Genappe, le 7 octobre 2004

(1) La traduction de la Bible du rabbinat (en accord avec plusieurs interprétations anciennes) pour le texte de Sophonie 3,1 est : « Hélas, elle est salie et souillée, la ville (étourdie) comme une colombe ». Les anciennes versions grecque et latine faisaient une interprétation analogue. Seule la version syriaque lit : « La ville de Jonas », non –comme on l’a dit- par erreur et « contre toute grammaire », mais par une interprétation qui suppose une relecture profonde (non la seule, certes !).

Lire aussi, du même auteur : "La colombe avalée"