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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Un peu d’histoire

- Au-delà du fleuve

- Le prophète au nom inconnu

- Actualité de Malachie

 

   


Malachie, le messager

 

 

Un peu d’histoire

Deux mots d’histoire pour ce livret peu connu. Ce petit livre -« tardif »- est un appendice aux écrits qui –dans la mise en forme finale de ces textes- fait suite aux parties tardives du livre de Zacharie. Ecrit à Jérusalem, à l’époque perse, après la restauration qui a suivi le retour d’une partie du peuple dans sa terre. Contemporain d’Esdras et de Néhémie…

La première année de ce retour est l’édit de Cyrus (-538). L’activité des prophètes Aggée et Zacharie, à Jérusalem, marque le début de la restauration et précède la reconstruction du Temple. L’activité de Malachie est à placer, probablement, cinquante ou soixante ans plus tard, dans une Jérusalem au Temple enfin reconstruit. Le livret n’est pas daté. Cependant, la Judée est gouvernée par un « pèHa » (un « pacha » !), mot qui désigne –en hébreu, comme en araméen- un satrape. D’autre part, le Temple est reconstruit (cf 1,10 ; 3,1). Nous sommes donc, non seulement à l’époque perse, mais encore –dans tous les cas- après 515.

Il n’est plus d’indépendance politique. Le domaine du Temple, au cœur de la Judée, est une petite partie de la grande satrapie de Transeuphratène. Il n’y a pas de roi, puisque le pouvoir politique est perse. À Jérusalem, cependant, le grand-prêtre –chef du corps sacerdotal jérusalémite- va peu à peu, réunir en sa main, tous les pouvoirs locaux -civils et religieux.

Certes, le pouvoir sacerdotal n’a cessé de croître depuis qu’une police du Temple a été instaurée –dès avant l’exil (cf Jérémie 20). Au début de la « restauration » post-exilique, Zacharie parle encore (dans la première partie de son livre) d’un grand-prêtre (Josué) et d’un descendant davidique dont le nom hébraïsé « Zorobabel » signifie « semence de Babylone ».
Mais ensuite, Zorobabel disparaît –sans qu’on apprenne la cause de cette disparition. Dans la situation nouvelle, les prêtres seuls seront des « anges-envoyés » (cf Malachie 2,7).

Au-delà du fleuve    

Dans la langue administrative de l’époque (l’araméen), la satrapie portait le nom de « ‘avar nehara » -« au-delà du fleuve », ce fleuve n’étant pas le Jourdain, mais l’Euphrate. D’où le nom grec de « Transeuphratène » par lequel nous désignons cette satrapie de l’empire perse.

Pour les perses qui dominaient un immense empire : cet « au-delà du fleuve » désignait donc ces provinces lointaines où l’on parlait des langues sémitiques. L’usage de l’araméen dans toutes les chancelleries des satrapies permettait aux perses dominants, mais à la culture différente, d’administrer ce vaste empire.

L’hébreu cependant n’est utilisé qu’en Judée et dans les lointaines diasporas juives. Ce point permet de placer dans son contexte ce verset :

« Car du lever du soleil à son coucher, mon nom est grand parmi les nations» Malachie 1,11

En effet, dans tout l’empire, des communautés juives, établies au loin, invoquent le même Dieu qu’à Jérusalem. La petite Judée est –quant à elle- comme perdue au milieu des « nations ». C’est ce qui sera le point de départ du livret de Jonas : un « prophète » envoyé aux gens de Ninive ! Et ces païens se convertiront !

Dans le monde nouveau, le temps est loin où une nation (Israël), gouvernée par un roi, pouvait ignorer les autres peuples et les autres religions.

Ce verset de Malachie selon lequel, en tous lieux de la terre, le nom de Dieu est invoqué est caractéristique. Ce qui, autrefois, eut été compris comme un insupportable syncrétisme, devient une prise de conscience nouvelle. On ne peut d’ailleurs exclure qu’un monothéiste strict comme Malachie ait considéré que tout culte rendu au Dieu local, en tous lieux de la terre, ne soit, en fin de compte, un culte adressé à un seul Dieu unique….

D’autant que –dans la terminologie administrative de l’époque (araméenne), le Dieu local ou les dieux locaux soient toujours appelés :

« Dieu(x) des cieux » (‘elohayya di-chemayya)

Quel que soit le nom local de cette divinité, sa résidence est « céleste » : ce qui, d’ailleurs, ne signifie pas toujours au dessus des nuages –comme une compréhension littérale (et superficielle) le suggèrerait.

Le prophète au nom inconnu    

Ce prophète n’a pas de nom connu. On a voulu voir en lui : Un ange, un envoyé… Dans le langage de la Bible, les habitants des mondes célestes sont parfois envoyés sur la terre des hommes pour faire connaître une volonté divine. De là, le mot « envoyé » ou « messager » (mal’akh) qui a été traduit par « ange », en grec ou en latin (1). En effet, « mal’akhi » n’est pas un nom propre, mais un nom commun.
Le nom de ce prophète provient du texte :

« Voici que j’envoie mon messager (« mal’akhi ») devant moi »
Malachie 3,1

Dans le livre, ce « messager » engage une série de discussions avec ses contemporains, lesquels ont tendance à penser que c’est en vain qu’on sert Dieu (3,14) et qui ne font pas de différence claire entre justes et méchants (3,18).

Toutes les négligences critiquées par le prophète viennent de l’histoire. La réinstallation dans le pays n’a certes pas été facile, après l’exil et le retour dans une terre dévastée. Et il faut se souvenir que Babel, responsable des anciens malheurs, n’a pas été détruite, mais qu’elle est un grand centre commercial et une des résidences de la cour persane. C’est là une réalité qui semble contredire toute « rétribution » -malgré d’anciennes prophéties.

En fait, la religion coutumière –après bien des vicissitudes- est devenue douteuse aux yeux d’un grand nombre. Le culte sacrificiel est une pratique habituelle, mais non une préoccupation majeure.
De là, ces critiques du prophète contre les pratiques sacrificielles négligées (1,8 ; 1,12 ; 1,13 ; 2,17 …). De là aussi ce rappel (qui contient un reproche) :

« N’avons-nous pas tous un seul père ? »
Malachie 2,10

Le terme de « père » réfère à une relation particulière. Relation de respect et d’obéissance. Or :

« Le fils honore le père et l’esclave son maître,
mais si je suis un père : où donc est mon honneur ?
et si je suis un maître : où donc est ma crainte ? »

Malachie 1,6

Rien n’est pire que de voir une vraie crainte révérencielle remplacée par un conformisme social. On pense à ce verset d’Esaïe qui déjà dénonçait une religion devenue : « un commandement d’hommes, appris » (Esaïe 29,13). Vieux quiproquo…

Actualité de Malachie    

Dans son contexte historique, Malachie tranche avec les prophètes anciens. En particulier, le temps n’est plus où le prophète était une sorte de contre-pouvoir qui –seul- osait s’opposer au roi : il n’y a plus de roi.

Et plus qu’une suite d’oracles prophétiques, le texte de Malachie s’en prend à la religion coutumière de son temps, dans des discussions argumentées. Le temps n’est plus aux oracles, car il n’y aurait plus de foule pour les entendre. On n’imagine pas Bossuet prêchant dans une église vide. C’est pourtant le cas de beaucoup de prêtres, aujourd’hui.

L’analogie avec le monde chrétien est frappante. Les chrétiens aussi vivent
« au-delà du fleuve », dans une lointaine satrapie. Autrefois au centre du monde ; aujourd’hui parcelle d’une humanité de plus en plus nombreuse. Et eux aussi –parfois- doutent de détenir une « vérité » inconnue des autres mortels. Les déclarations officielles et les grandes manifestations bien médiatisées n’y changeront rien ! Le doute ou l’indifférence sont largement dominants.

Le christianisme est comme noyé dans un monde immense. Il n’intéresse qu’une petite partie de l’humanité et même : il devient minoritaire là où, cependant, il était jadis la religion dominante.

Mais ce qui peut apparaître comme une perte, est aussi une ouverture extraordinaire et un approfondissement possible. À la condition de prendre conscience du fait que le même Dieu (quel qu’en soit le nom) est connu dans tout le grand empire humain.

Le doute, cependant, est aujourd’hui une condition de l’approfondissement.
La croyance militante est une carapace d’un autre âge. De même, les particularismes religieux –s’ils prétendent à l’exclusivité- sont une naïveté.
Il ne s’agit pas de syncrétisme, mais de respect de chemins différents, ici et là. Et beaucoup de chemins se croisent, dans notre occident actuel.

Notre tradition désigne le chemin de ceux en qui nous reconnaissons nos ancêtres. Mais toute tradition doit être apprise. En ce domaine, il n’est pas de transmission par simple hérédité. On ne peut approfondir que ce qu’on connaît. Et ce qu’on connaît, seulement, nous transforme. Il ne s’agit pas de changer de religion, mais de changer notre regard sur nous-même.

« N’avons-nous pas tous un même Père ? »

Jacques Chopineau, Genappe, le 15 septembre 2004

(1) Il convient de rappeler que ce mot hébreu est identique au mot arabe pour « ange » (malâk). Ces anges ont pour fonction de surveiller les humains : ce sont des « veilleurs » (en araméen comme en arabe). L’important ici n’est pas la réalité matérielle, mais la signification : la vision (en profondeur) plutôt que la vue (en surface).