Un
peu d’histoire
Deux mots d’histoire
pour ce livret peu connu. Ce petit livre -« tardif »-
est un appendice aux écrits
qui –dans la mise en forme finale de ces textes- fait
suite aux parties tardives du livre de Zacharie. Ecrit à Jérusalem, à l’époque
perse, après la restauration qui a suivi le retour
d’une partie du peuple dans sa terre. Contemporain
d’Esdras et de Néhémie…
La première année de ce retour
est l’édit
de Cyrus (-538). L’activité des prophètes
Aggée et Zacharie, à Jérusalem, marque
le début de la restauration et précède
la reconstruction du Temple. L’activité de Malachie
est à placer, probablement, cinquante ou soixante
ans plus tard, dans une Jérusalem au Temple enfin
reconstruit. Le livret n’est pas daté. Cependant, la Judée
est gouvernée par un « pèHa » (un « pacha » !),
mot qui désigne –en hébreu, comme en
araméen- un satrape. D’autre part, le Temple
est reconstruit (cf 1,10 ; 3,1). Nous sommes donc, non seulement à l’époque
perse, mais encore –dans tous les cas- après
515.
Il n’est plus d’indépendance
politique. Le domaine du Temple, au cœur de la Judée,
est une petite partie de la grande satrapie de Transeuphratène.
Il n’y a pas de roi, puisque le pouvoir politique est
perse.
À Jérusalem, cependant, le grand-prêtre –chef
du corps sacerdotal jérusalémite- va peu à peu,
réunir en sa main, tous les pouvoirs locaux -civils
et religieux.
Certes, le pouvoir sacerdotal n’a cessé de croître
depuis qu’une police du Temple a été instaurée –dès
avant l’exil (cf Jérémie 20). Au début
de la « restauration » post-exilique, Zacharie
parle encore (dans la première partie de son livre)
d’un grand-prêtre (Josué) et d’un
descendant davidique dont le nom hébraïsé « Zorobabel » signifie « semence
de Babylone ».
Mais ensuite, Zorobabel disparaît –sans
qu’on apprenne la cause de cette disparition. Dans
la situation nouvelle, les prêtres seuls seront des « anges-envoyés » (cf
Malachie 2,7).
Au-delà du fleuve
Dans la langue administrative de l’époque (l’araméen),
la satrapie portait le nom de « ‘avar nehara » -« au-delà du
fleuve », ce fleuve n’étant pas le Jourdain,
mais l’Euphrate. D’où le nom grec de « Transeuphratène » par
lequel nous désignons cette satrapie de l’empire
perse.
Pour les perses qui dominaient un immense
empire : cet « au-delà du
fleuve » désignait donc ces provinces lointaines
où l’on parlait des langues sémitiques.
L’usage de l’araméen dans toutes les chancelleries
des satrapies permettait aux perses dominants, mais à la
culture différente, d’administrer ce vaste empire.
L’hébreu cependant n’est utilisé qu’en
Judée et dans les lointaines diasporas juives. Ce
point permet de placer dans son contexte ce verset :
«
Car du lever du soleil à son coucher, mon nom est
grand parmi les nations» Malachie
1,11
En effet, dans tout l’empire, des communautés
juives, établies au loin, invoquent le même
Dieu qu’à Jérusalem. La petite Judée
est –quant à elle- comme perdue au milieu des « nations ».
C’est ce qui sera le point de départ du livret
de Jonas : un « prophète » envoyé aux
gens de Ninive ! Et ces païens se convertiront !
Dans le monde nouveau, le temps est loin où une nation
(Israël), gouvernée par un roi, pouvait ignorer
les autres peuples et les autres religions.
Ce verset de Malachie selon lequel, en tous
lieux de la terre, le nom de Dieu est invoqué est caractéristique.
Ce qui, autrefois, eut été compris comme un
insupportable syncrétisme, devient une prise de conscience
nouvelle. On ne peut d’ailleurs exclure qu’un
monothéiste strict comme Malachie ait considéré que
tout culte rendu au Dieu local, en tous lieux de la terre,
ne soit, en fin de compte, un culte adressé à un
seul Dieu unique….
D’autant que –dans la terminologie administrative
de l’époque (araméenne), le Dieu local
ou les dieux locaux soient toujours appelés :
« Dieu(x)
des cieux » (‘elohayya di-chemayya)
Quel que
soit le nom local de cette divinité, sa résidence
est « céleste » : ce qui, d’ailleurs,
ne signifie pas toujours au dessus des nuages –comme
une compréhension littérale (et superficielle)
le suggèrerait. Le prophète au nom inconnu
Ce prophète n’a pas de nom connu. On a voulu
voir en lui : Un ange, un envoyé… Dans le langage
de la Bible, les habitants des mondes célestes sont
parfois envoyés sur la terre des hommes pour faire
connaître une volonté divine. De là,
le mot « envoyé » ou « messager » (mal’akh)
qui a été traduit par « ange »,
en grec ou en latin (1).
En effet, « mal’akhi » n’est pas
un nom propre, mais un nom commun.
Le nom de ce prophète
provient du texte :
«
Voici que j’envoie mon messager (« mal’akhi »)
devant moi »
Malachie 3,1
Dans le livre, ce « messager » engage une série
de discussions avec ses contemporains, lesquels ont tendance à penser
que c’est en vain qu’on sert Dieu (3,14) et qui
ne font pas de différence claire entre justes et méchants
(3,18).
Toutes les négligences critiquées par le prophète
viennent de l’histoire. La réinstallation dans
le pays n’a certes pas été facile, après
l’exil et le retour dans une terre dévastée.
Et il faut se souvenir que Babel, responsable des anciens
malheurs, n’a pas été détruite,
mais qu’elle est un grand centre commercial et une
des résidences de la cour persane. C’est là une
réalité qui semble contredire toute « rétribution » -malgré d’anciennes
prophéties.
En fait, la religion coutumière –après
bien des vicissitudes- est devenue douteuse aux yeux d’un
grand nombre. Le culte sacrificiel est une pratique habituelle,
mais non une préoccupation majeure.
De là,
ces critiques du prophète contre les pratiques sacrificielles
négligées (1,8 ; 1,12 ; 1,13 ; 2,17 …).
De là aussi ce rappel (qui contient un reproche) :
«
N’avons-nous pas tous un seul père ? »
Malachie 2,10
Le terme de « père » réfère à une
relation particulière. Relation de respect et d’obéissance.
Or :
«
Le fils honore le père et l’esclave son maître,
mais si je suis un père : où donc est mon honneur
?
et si je suis un maître : où donc est ma crainte
? »
Malachie 1,6
Rien n’est pire que de voir une vraie
crainte révérencielle
remplacée par un conformisme social. On pense à ce
verset d’Esaïe qui déjà dénonçait
une religion devenue : « un commandement d’hommes,
appris » (Esaïe 29,13). Vieux quiproquo…
Actualité de
Malachie
Dans son contexte historique, Malachie tranche
avec les prophètes
anciens. En particulier, le temps n’est plus où le
prophète était une sorte de contre-pouvoir
qui –seul- osait s’opposer au roi : il n’y
a plus de roi.
Et plus qu’une suite d’oracles prophétiques,
le texte de Malachie s’en prend à la religion
coutumière de son temps, dans des discussions argumentées.
Le temps n’est plus aux oracles, car il n’y aurait
plus de foule pour les entendre. On n’imagine pas Bossuet
prêchant dans une église vide. C’est pourtant
le cas de beaucoup de prêtres, aujourd’hui.
L’analogie avec le monde chrétien est frappante.
Les chrétiens aussi vivent « au-delà du
fleuve », dans une lointaine satrapie. Autrefois au
centre du monde ; aujourd’hui parcelle d’une
humanité de plus en plus nombreuse. Et eux aussi –parfois-
doutent de détenir une « vérité » inconnue
des autres mortels. Les déclarations officielles et
les grandes manifestations bien médiatisées
n’y changeront rien ! Le doute ou l’indifférence
sont largement dominants.
Le christianisme est comme noyé dans un monde immense.
Il n’intéresse qu’une petite partie de
l’humanité et même : il devient minoritaire
là où, cependant, il était jadis la
religion dominante.
Mais ce qui peut apparaître comme une
perte, est aussi une ouverture extraordinaire et un approfondissement
possible.
À la condition de prendre conscience du fait que le même
Dieu (quel qu’en soit le nom) est connu dans tout le
grand empire humain.
Le doute, cependant, est aujourd’hui une condition
de l’approfondissement.
La croyance militante est une
carapace d’un autre âge. De même, les particularismes
religieux –s’ils prétendent à l’exclusivité-
sont une naïveté.
Il ne s’agit pas de syncrétisme,
mais de respect de chemins différents, ici et là.
Et beaucoup de chemins se croisent, dans notre occident actuel.
Notre tradition désigne le chemin de ceux en qui nous
reconnaissons nos ancêtres. Mais toute tradition doit être
apprise. En ce domaine, il n’est pas de transmission
par simple hérédité. On ne peut approfondir
que ce qu’on connaît. Et ce qu’on connaît,
seulement, nous transforme. Il ne s’agit pas de changer
de religion, mais de changer notre regard sur nous-même.
«
N’avons-nous pas tous un même Père ? »
Jacques Chopineau, Genappe, le 15 septembre
2004
(1)
Il convient de rappeler que ce mot hébreu est identique au mot arabe
pour « ange » (malâk). Ces anges ont pour fonction de surveiller
les humains : ce sont des « veilleurs » (en araméen comme
en arabe). L’important ici n’est pas la réalité matérielle,
mais la signification : la vision (en profondeur) plutôt que la vue (en
surface). |