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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Décrypter la réalité

- Quelques exemples

- Sagesse

 

   


Sagesse des Proverbes

 

 

Décrypter la réalité

Comme beaucoup de proverbes, les proverbes bibliques sont une manière de décrypter la réalité. Ce sont des concentrés de sagesse sous une forme facilement mémorisable. De là, l’usage parfois de rimes ou d’assonances, mais aussi d’images empruntées à la réalité quotidienne. L’important est de donner à voir, à comprendre. Dans un dit de sagesse, l’essentiel est la sagesse. Mais la forme est un support essentiel.

D’autre part, un « machal » peut aussi être développé sous forme d’histoire significative, de parabole. C’est pourquoi le terme de « proverbe » ne rend pas tout à fait le mot hébreu « machal » (1). La vieille traduction grecque des Septante traduit : « comparaisons ». Ce qui met l’accent sur un aspect important : la comparaison entre deux sphères de la réalité

« Nuages et vent, mais pas de pluie
tel est l’homme qui se vante d’un présent trompeur »

Proverbes 25,14

Similitude entre un état du ciel et une situation vécue. La deuxième ligne du
« proverbe » dit quel est le point d’application de l’observation. Ce n’est pas toujours nécessaire.

« Vient l’insolence ; viendra la honte »
Proverbes 11,2

Ici, c’est une similitude sonore entre « zadôn » (insolence) et « qalôn » (honte). A une relation purement phonétique se superpose une réalité expérimentale.

Quelques exemples   

Il faut savoir utiliser les proverbes –alors même qu’ils pourraient sembler contraires à une logique superficielle :

« C’est la bénédiction de YHWH qui enrichit
et le labeur qui l’accompagne n’ajoute rien »

Proverbes 10,22

Mais cependant, dans le même chapitre, un autre proverbe vante le travail :

« Une paume flasque rend pauvre
mais la main des diligents enrichit »

Proverbes 10,4

Contradiction ? Non, mais à untel –qui s’épuise au travail- il faut rappeler que le travail n’est pas une fin en soi. Par contre, à celui qui ne fait rien, il faut vanter la vertu du travail.

Semblable est le conseil de répondre (ou de ne pas répondre) à l’insensé, selon ces deux dits opposés, en Proverbes 26,4 et 26,5. Dans tous les cas, il faut savoir à qui on s’adresse et à quel moment on le fait. Le propre de la sagesse est de savoir reconnaître le moment convenable. Comme le rappelle un autre proverbe :

« Une ronce poussée dans la main d’un ivrogne
tel est un proverbe dans la bouche des insensés »

Proverbes 26,9

Plusieurs proverbes décrivent le paresseux :

« La porte tourne sur ses gongs
et le paresseux sur son lit »

Proverbes 26,14

« Le paresseux plonge sa main dans le plat
et ne la ramène pas à sa bouche »

Proverbes 19,24

« Le paresseux dit : Il y a un lion dans la rue
Au milieu des rues, je serai tué »

Proverbes 22,13

En fait, il n’y a pas de lion dans la rue. C’est juste un prétexte pour ne pas sortir. Parfois, le proverbe énonce une vérité générale (mais non banale !) :

« La justice élève une nation… »
Proverbes 14,34

Ce n’est pas une simple manière de parler. La justice élève une nation ; l’injustice la détruit. On n’a jamais fondé une paix durable sur la domination. Plusieurs puissants actuels pourraient méditer cette sentence.

« Le riche et le pauvre se rencontrent :
YHWH les a fait tous les deux »

Proverbes 22,2

S’il arrive qu’ils se rencontrent : que riches et pauvres sachent qu’ils ont la même origine. Ce sont, tous deux, des humains responsables de ce qui leur a été donné. L’auditeur du proverbe est appelé à réaliser, malgré les apparences, cette communauté fondamentale. Les Proverbes reviennent souvent sur cette relation difficile entre riches et pauvres (cf Proverbes 17,5 ; 18,11 ; 18,23 ; 29,13… ).

Dans tous les cas, chacun se doit d’avoir un lieu. Le malheur serait de n’en pas avoir :

« Comme un passereau erre loin de son nid
ainsi erre l’homme loin de son lieu »

Proverbes 27,8

Traditionnellement, ce « lieu » est Dieu lui-même car, selon un dit talmudique: « Il est le lieu du monde, mais le monde n’est pas son lieu ». On devine ici que des dits de sagesse peuvent être ouverts sur bien des relectures et interprétations.

Sagesse   

La sagesse, cependant, n’est pas toujours visible. Il est des signes cachés au premier regard. Ainsi, pour le lecteur attentif, ces mots auxquels est attachée une valeur numérique.

Le livre des proverbes est appelé en hébreu : « michlé chlomoh » “Proverbes de Salomon”. Salomon, le sage par excellence, est censé avoir dit 3000 proverbes (I Rois 5,12). Nous sommes loin des 375 proverbes « de Salomon », contenus dans le livre (10,1 à 22,16 –Les prologues et épilogues ont une origine différente). Or, il se trouve que ce nombre de 375 est également la valeur numérique du nom de Salomon ! Mais ce n’est pas tout. Et ce nouveau rapprochement paraîtra évident à tout hébraïsant (et cela est, certes, voulu par les rédacteurs) : avec l’article, le mot traduit par « proverbe » (ha-machal) a la même valeur numérique que le nom de Salomon le sage. Ce sont d’ailleurs les mêmes lettres, dans un ordre différent (ch + l + m + h = 300 + 30 + 40 + 5 = h + m + ch + l = 5 + 40 + 300 + 30 = 375).

Dans les deux cas, les rédacteurs du livre ont utilisé ces équivalences parce qu’ils les jugeaient significatives. Mais seul un lecteur attentif (et informé !) peut percevoir ces « jeux ». C’est que la sagesse a bien des demeures et suscite bien des approches différentes. Le proverbe est certes une porte, mais la maison compte beaucoup de portes.

« Sagesses a bâti sa maison
elle a taillé ses sept piliers »

Proverbes 9,1

Noter que « sagesses » est au pluriel, mais que le verbe est au singulier. On a voulu voir , dans cet emploi du pluriel, une personnification de « Dame Sagesse » et un pluriel « de majesté » . On peut aussi y voir une désignation symbolique : allusion au fait que toutes les sagesses du monde bâtissent une même maison . En fin de compte, pourtant :

« À l’homme sont les projets du cœur
Mais de YHWH la réponse de la langue »

Proverbes 16,1 (2)

C’est là une constante de la sagesse proverbiale (cf Proverbes 14,12 ; 15,11 ; 16,2 ; 16,9 ; 16,25). L’homme n’est pas maître de son chemin. Il reste que :

« C’est une lumière de YHWH que le souffle de l’homme
explorant toutes les chambres des entrailles »

Proverbes 20,27

Ce « souffle » (ou : « âme ») explore tous les recoins de l’homme intérieur. Pas de sagesse sans intériorité.

Jacques Chopineau, Genappe le 7 septembre 2004

(1) Par contre le mot arabe « mathal » est exactement le même.
Les « mechalim » hébreux ou les « ‘amthâl » arabes se rapportent à la même réalité : Proverbes, exemples ou paraboles…
(2) On pense à ce dit, courant en plusieurs langues occidentales :
« L’homme propose ; Dieu dispose ». De même en arabe : « Al-insân yudabbir ; Allah yuqaddir ». La même idée revient plusieurs fois dans le texte biblique (cf Proverbes 19,21 ; 20,24 ; 21,2.31).