Décrypter
la réalité
Comme beaucoup de proverbes, les proverbes
bibliques sont une manière de décrypter la
réalité.
Ce sont des concentrés de sagesse sous une forme facilement
mémorisable. De là, l’usage parfois de
rimes ou d’assonances, mais aussi d’images empruntées à la
réalité quotidienne. L’important est
de donner à voir, à comprendre. Dans un dit
de sagesse, l’essentiel est la sagesse. Mais la forme
est un support essentiel.
D’autre part, un « machal » peut
aussi être
développé sous forme d’histoire significative,
de parabole. C’est pourquoi le terme de « proverbe » ne
rend pas tout à fait le mot hébreu « machal » (1).
La vieille traduction grecque des Septante traduit : « comparaisons ».
Ce qui met l’accent sur un aspect important : la comparaison
entre deux sphères de la réalité
« Nuages
et vent, mais pas de pluie
tel est l’homme qui se vante d’un présent
trompeur »
Proverbes 25,14
Similitude entre un état du ciel et
une situation vécue. La deuxième ligne du « proverbe » dit
quel est le point d’application de l’observation.
Ce n’est pas toujours nécessaire.
«
Vient l’insolence ; viendra la honte »
Proverbes 11,2
Ici, c’est une similitude sonore entre « zadôn » (insolence)
et « qalôn » (honte). A une relation purement
phonétique se superpose une réalité expérimentale.
Quelques exemples
Il faut savoir utiliser les
proverbes –alors même
qu’ils pourraient sembler contraires à une logique
superficielle :
«
C’est la bénédiction de YHWH qui enrichit
et le labeur qui l’accompagne n’ajoute rien »
Proverbes 10,22
Mais cependant, dans le même chapitre,
un autre proverbe vante le travail :
« Une
paume flasque rend pauvre
mais la main des diligents enrichit »
Proverbes 10,4
Contradiction ? Non, mais à untel –qui
s’épuise
au travail- il faut rappeler que le travail n’est pas
une fin en soi. Par contre, à celui qui ne fait rien,
il faut vanter la vertu du travail.
Semblable est le conseil
de répondre (ou de ne pas
répondre) à l’insensé, selon ces
deux dits opposés, en Proverbes 26,4 et 26,5. Dans
tous les cas, il faut savoir à qui on s’adresse
et à quel moment on le fait. Le propre de la sagesse
est de savoir reconnaître le moment convenable. Comme
le rappelle un autre proverbe :
«
Une ronce poussée dans la main d’un ivrogne
tel est un proverbe dans la bouche des insensés »
Proverbes 26,9
Plusieurs proverbes décrivent le paresseux
:
« La
porte tourne sur ses gongs
et le paresseux sur son lit »
Proverbes 26,14
« Le paresseux plonge sa main
dans le plat
et ne la ramène pas à sa bouche »
Proverbes 19,24
« Le paresseux dit : Il y a un
lion dans la rue
Au milieu des rues, je serai tué »
Proverbes 22,13
En fait, il n’y a pas de lion dans la
rue. C’est
juste un prétexte pour ne pas sortir. Parfois, le
proverbe énonce une vérité générale
(mais non banale !) :
«
La justice élève une nation… »
Proverbes 14,34
Ce n’est pas une simple manière
de parler. La justice élève une nation ; l’injustice
la détruit. On n’a jamais fondé une paix
durable sur la domination. Plusieurs puissants actuels pourraient
méditer cette sentence.
« Le
riche et le pauvre se rencontrent :
YHWH les a fait tous les deux »
Proverbes 22,2
S’il arrive qu’ils se rencontrent
: que riches et pauvres sachent qu’ils ont la même
origine. Ce sont, tous deux, des humains responsables de
ce qui leur
a été donné. L’auditeur du proverbe
est appelé à réaliser, malgré les
apparences, cette communauté fondamentale. Les Proverbes
reviennent souvent sur cette relation difficile entre riches
et pauvres (cf Proverbes 17,5 ; 18,11 ; 18,23
; 29,13… ).
Dans tous les cas, chacun se doit d’avoir
un lieu. Le malheur serait de n’en pas avoir :
« Comme
un passereau erre loin de son nid
ainsi erre l’homme loin de son lieu »
Proverbes 27,8
Traditionnellement, ce « lieu » est
Dieu lui-même
car, selon un dit talmudique: « Il est le lieu du
monde, mais le monde n’est pas son lieu ». On
devine ici que des dits de sagesse peuvent être ouverts
sur bien des relectures et interprétations.
Sagesse
La sagesse, cependant, n’est pas
toujours visible. Il est des signes cachés au premier
regard. Ainsi, pour le lecteur attentif, ces mots auxquels
est attachée
une valeur numérique.
Le livre des proverbes est appelé en
hébreu
: « michlé chlomoh » “Proverbes
de Salomon”. Salomon, le sage par excellence, est
censé avoir dit 3000 proverbes (I Rois 5,12). Nous
sommes loin des 375 proverbes « de Salomon »,
contenus dans le livre (10,1 à 22,16 –Les prologues
et épilogues ont une origine différente). Or,
il se trouve que ce nombre de 375 est également la
valeur numérique du nom de Salomon ! Mais ce n’est
pas tout. Et ce nouveau rapprochement paraîtra évident à tout
hébraïsant (et cela est, certes, voulu par les
rédacteurs) : avec l’article, le mot traduit
par « proverbe » (ha-machal) a la même
valeur numérique que le nom de Salomon le sage. Ce
sont d’ailleurs les mêmes lettres, dans un ordre
différent (ch + l + m + h = 300 + 30 + 40 + 5 = h
+ m + ch + l = 5 + 40 + 300 + 30 = 375).
Dans les deux cas,
les rédacteurs du livre ont utilisé ces équivalences
parce qu’ils les jugeaient significatives. Mais seul
un lecteur attentif (et informé !) peut percevoir
ces « jeux ». C’est que la sagesse a bien
des demeures et suscite bien des approches différentes.
Le proverbe est certes une porte, mais la maison compte beaucoup
de portes.
«
Sagesses a bâti sa maison
elle a taillé ses sept piliers »
Proverbes 9,1
Noter que « sagesses » est au pluriel,
mais que le verbe est au singulier. On a voulu voir , dans
cet emploi
du pluriel, une personnification de « Dame Sagesse » et
un pluriel « de majesté » . On peut aussi
y voir une désignation symbolique : allusion au fait
que toutes les sagesses du monde bâtissent une même
maison . En fin de compte, pourtant :
« À l’homme sont les projets du cœur
Mais de YHWH la réponse de la langue »
Proverbes 16,1 (2)
C’est là une constante de
la sagesse proverbiale (cf Proverbes 14,12 ; 15,11 ; 16,2
; 16,9 ; 16,25). L’homme
n’est pas maître de son chemin. Il reste que
:
«
C’est une lumière de YHWH que le souffle de
l’homme
explorant toutes les chambres des entrailles »
Proverbes 20,27
Ce « souffle » (ou : « âme »)
explore tous les recoins de l’homme intérieur.
Pas de sagesse sans intériorité.
Jacques Chopineau,
Genappe le 7 septembre 2004
(1) Par
contre le mot arabe « mathal » est
exactement le même.
Les « mechalim » hébreux
ou les « ‘amthâl » arabes se rapportent à la
même réalité : Proverbes, exemples ou
paraboles…
(2) On pense à ce dit, courant en plusieurs langues
occidentales : « L’homme propose ; Dieu dispose ».
De même en arabe : « Al-insân yudabbir
; Allah yuqaddir ». La même idée revient
plusieurs fois dans le texte biblique (cf Proverbes 19,21
; 20,24 ; 21,2.31). |