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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Le juste éprouvé

- D’où vient la sagesse ?

 

   


Job

 

 

Le juste éprouvé

La Bible est une bibliothèque. Elle intègre des textes divers, d’époques différentes et de genres littéraires différents. Parmi ces genres : l’écrit de sagesse. Le livre de Job est un de ceux-là.

Naturellement, il est des modèles littéraires. Bien avant le livre de Job, « La complainte du juste désespéré » est un classique de la littérature babylonienne. En fait, depuis le commencement du monde, cette question est vivante : Pourquoi le juste est-il, parfois, victime de l’injustice ? Vieille question, plusieurs fois reprises dans la Bible, et que Job ne découvre certes pas, mais qu’il illustre de manière grandiose.

Cette grande figure du juste éprouvé par des épreuves terribles a traversé les siècles. Juifs et chrétiens connaissent cette aventure. Mais Job est également mentionné dans le texte coranique (cf Coran 21,84).

La particularité du livre de Job est son approche originale de ce vieux problème, dans le contexte religieux de la vieille religion mosaïque. De longs poèmes, écrits dans une langue difficile, mais dans une forme superbe (et souvent rebelle à la traduction !). Pourtant, prologue (1,1 à 2,13) et épilogue (42,7-17) sont écrits en une prose simple et vivante, comme s’il s’agissait d’un récit raconté sur la place du village, par un conteur populaire.

Une question souvent posée est de savoir si les poèmes sont ou non plus anciens que l’histoire racontée. Les deux opinions ont été savamment défendues, mais elles n’ont guère d’intérêt ici.

Dans tous les cas, prologue et épilogue fournissent un cadre narratif aux poèmes.

Le point de départ narratif est une entrevue entre Dieu et le satan (toujours avec l’article : il s’agit d’une fonction, non pas d’un nom de personne). De fait, ce n’est que plus tard que « Satan » deviendra le nom d’une figure personnelle, opposée à Dieu. Ici, le satan est un personnage serviteur, certes de haut rang, mais serviteur. Un ennemi de l’homme, mais non un ennemi de Dieu ! Dans une perspective monothéiste : il n’a pas d’ennemi de Dieu.

Sous les traits d’un monarque oriental, Dieu convoque, ses ministres et conseillers et –voyant parmi eux « le satan » -une sorte de chef de la police, de retour de son habituelle tournée d’inspection sur la terre des hommes- lui pose la question :

« As-tu remarqué Job, mon serviteur ?
Il n’y a personne comme lui sur la terre ;
c’est un homme intègre et droit,
qui craint Dieu et s’écarte du mal »

Job 1,8

La réponse du satan contient le point de départ de tout ce qui va suivre. Il ne peut contredire le roi, mais il peut poser une question : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? »

Ce « est-ce pour rien ? » (ou « est-ce gratis ? ») est le commencement de tout le drame. Le satan insinue que si Job est fidèle, c’est qu’il tout intérêt à être fidèle : « Toi, Dieu, tu lui as tout donné : richesses, honneurs et bonheurs. Mais qu’il perde tout cela et tu verras s’il persiste longtemps dans cette attitude ».

Le pari est tenu : le souverain accepte que Job soit éprouvé. Seule limite : que sa vie soit épargnée. Le « mal » sera, en fait, une épreuve. C’est ainsi que Job va perdre, tour à tour, ses richesses, ses enfants, sa santé…. Mais jamais son exceptionnelle confiance en Dieu :

« En tout cela, Job ne pécha pas…»
Job 1,22 et 2,10

Le cadre est posé : les poèmes commencent (chapitre 3). Plaintes de Job et arguments de ses amis vont alterner dans les chapitres qui suivent. Ce sera un long débat sur ce qu’on appelle classiquement « la rétribution ». Si Job est puni, c’est qu’il a péché ! Dieu serait-il injuste ? Propos courants, mais absurdes et souvent énoncés ou dénoncés dans la Bible (voir, par exemple, Psaume 44,18).

Dieu n’est pas un céleste père fouettard qui récompense les bons et punit les méchants ! Mais « son soleil brille sur les justes et sur les injustes » (Matthieu 5,45).

Aux discours de ses amis, Job ne peut qu’opposer sa bonne foi et son incompréhension.

D’où vient la sagesse ?

Un autre écrit de sagesse (Qohelet = l’Ecclésiaste) insiste fortement sur le caractère éphémère de la vie humaine. C’est dans ce cadre étroit que l’homme s’efforce de découvrir une sagesse qui n’est pas à la mesure de ce qu’il peut véritablement connaître (cf « Terrible Qohelet »).

Mais Job connaît cette limitation humaine :

« Le sort de l’homme sur la terre n’est-il pas celui d’un soldat ?
Et ses jours ceux d’un salarié ?
Comme l’esclave aspire à l’ombre,
Comme le salarié espère son salaire,
Moi, j’ai pour patrimoine des mois de malheur…»

Job 7,1-2

Et encore :

« Car nous sommes d’hier et nous ne savons rien,
Nos jours sur la terre ne sont qu’une ombre…»

Job 8,9

Dès lors que l’homme n’est presque rien : comment pourrait-il contester son créateur ? Ce serait joindre l’inutilité à l’absurdité. Sans doute est-ce là une pensée très étrangère à l’homme moderne. Mais on ne peut, autrement, comprendre la pensée du livre de Job.

Le sage connaît ses limites (cf Job 40,4 ; 42,5).
Ce qui lui reste n’est que sa propre sagesse. Le livre est rempli de paroles de cette sagesse biblique –laquelle est empirique et rarement spéculative.

Parmi les discours qui se succèdent, le chapitre 28 semble sortir du cadre. De fait, on ne sait pas qui parle : Job ou l’un de ses amis ? Dans tous les cas, il s’agit d’un hymne à la sagesse, ou plutôt sur le commencement de la sagesse.

L’image développée est celle de l’homme qui accomplit des tours de force pour trouver des trésors : argent, or, fer, pierres précieuses…. Cet homme inventif ouvre la terre pour l’explorer, la sonder.

Mais vient la question :

« Et la sagesse d’où vient-elle ?
Où est le gisement de l’intelligence…»

Job 28,12

Pas de réponse à cela. Même la mer et l’abîme n’en connaissent pas le chemin. Même les oiseaux du ciel et même la mort ne peuvent la connaître (cf 28,21). Dieu seul connaît le chemin et le gisement. Quant à l’homme : il n’en connaît rien.

Finalement :

« La crainte du Seigneur : voilà la sagesse
et fuir le mal : voilà l’intelligence »

Job 28,28

C’est pourquoi, dans la suite, les fidèles d’une religion seront couramment appelés, en hébreu, les « craignants Dieu » (« yir’é elohim »). Une religion n’est pas d’abord une manière de penser ou de parler, mais une manière d’agir. Le premier pas est cette « crainte », sans laquelle toute suite serait illusoire (1).

Inversement, nos actions sont souvent motivées par d’autres « craintes » (qui sont des peurs) : crainte des pouvoirs, crainte de la pauvreté, crainte de souffrir (dans sa chair, dans sa carrière, dans sa situation etc…). Et pratiquement, ces craintes ont priorité sur ce que le livre de Job nomme « crainte de Dieu ». Qui craindre en premier ? Il faudra choisir ! Dis-moi quelle est ta crainte : je te dirai quelle est ta sagesse.

Jacques Chopineau, Genappe le 2 septembre 2004

(1) « Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de Dieu ». C’est là un rappel courant en hébreu et en arabe. Rappelons qu’il s’agit de crainte révérencielle, et non de peur.