Un
prophète paysan
Amos est un des plus anciens
prophètes connus –parmi
ceux dont les paroles ont été transmises par
le texte biblique (les « prophètes écrivains »).
Nous sommes encore à l’époque des deux
règnes (Israël au nord et Juda au sud). Fracture
qui a commencé dès la mort du roi Salomon.
Et c’est aussi la
première fois qu’un
homme du sud fait éclater son indignation au nord.
Prophète au rude langage ! Aucun, peut-être,
n’est allé aussi loin dans la critique radicale
des ornières dans lesquelles s’enlise une
religion. Un appel à la tradition véritable,
contre une tradition-répétition alliée
du pouvoir. Un prophète –malgré l’usage
courant du terme- n’est pas un homme proche de l’avenir,
mais un homme proche de Dieu. Non un « prédicteur »,
mais un voyant qui –comme tel- plonge un regard acéré dans
le présent et dans l’avenir.
Cependant, Amos
n’est pas un prophète qui ferait
profession de prophétisme. C’est un paysan
(éleveur
de bétail), indigné par les comportements
des puissants de l’Israël du nord, aux temps
de Jéroboam
II (vers 780-740 avant notre ère). La liberté de
ton d’Amos nous étonne encore aujourd’hui
En
cette époque de paix et de prospérité,
l’injustice (laquelle est toujours « sociale »)
fait que les riches deviennent plus riches et les pauvres
plus pauvres. Le phénomène est bien connu
: prolétarisation des campagnes et concentration
du capital dans les villes où de riches propriétaires
(non travailleurs de la terre) touchent les bénéfices
produits par ceux qui travaillent pour eux.
En sorte
que les anciens propriétaires des terres
qu’ils travaillaient sont devenus, au fil du
temps (mauvaises récoltes aidant, partages
dus aux héritages
etc…), des travailleurs sur des terres qui
ne leur appartiennent plus.
La religion mosaïque
ancienne devrait cependant être
garante du respect de la justice. Mais religion
et pouvoir se tiennent la main. D’autant
que le roi (suivant en cela l’exemple donné par
Jéroboam ben
Nevat, le premier roi de l’Israël du
nord) a toujours favorisé le culte national –fortement
démarqué de
celui de Jérusalem. Il a donc favorisé les
anciens sanctuaires (Dan, Bethel…) par opposition à cette
Jérusalem qui est la capitale du royaume
du sud.
C’est qu’Amos va fustiger violemment.
Le paysan du sud deviendra, pour un temps, prophète.
Ecoutons ces paroles d’une actualité étonnante.
La justice est la même
partout
«
Contre trois péchés
de… et
de quatre, je ne me raviserai pas »
Amos
I,3-6-9-11-13 et II, 1-4-6
Trois et quatre sont sept
: image habituelle de la totalité dans
la littérature de cette époque. Ces « péchés » dénoncés
sont ceux commis par Damas, Gaza, Askelon, Tyr, Edom,
Moab, Juda, Israël… Tous les peuples sont
pécheurs
et Dieu porte le souci de tous ces peuples. Il n’est
pas d’échappatoire à cette exigence
universelle de justice
Rudesse du prophète lorsqu’il
dénonce
l’opulence des riches et de leurs épouses.
Réalisme
dans le fond et rudesse dans la forme :
«
Écoutez cette parole, vaches de Bachane
qui êtes sur la montagne de Samarie,
qui opprimez les pauvres,
qui maltraitez les indigents,
qui dites à vos seigneurs :
Apporte à boire ! »
Amos IV,1
Les « vaches » de
Bachane sont ces femmes riches qui n’ont que le souci
de leur bien-être.
La terre d’Amos est loin
de cette contrée verdoyante
du nord (le pays de Bachane) où le bétail
est réputé. Dans la bouche d’un éleveur,
l’image des plantureuses « vaches de
Bachane » prend
toute sa saveur.
«
Le Guilgal sera déporté (Galoh yiglè Guigal) »
Amos V,5
Amos connaît la force de la parole. Ici le « jeu » (proprement
intraduisible) se fonde sur la parenté (purement phonétique)
entre « Guilgal » (Galilée)
et le verbe « GLH » (déporter) dans une construction
typique de la langue hébraïque (infinitif + verbe conjugué).
Comme si l’on disait, en français : « Pour être
déportée,
certes, Guilgal sera déportée », mais avec
un inimitable jeu sur les sonorités !
Ce n’est pas
la seule fois qu’Amos use du pouvoir expressif de la
parole. Nous avons rappelé ailleurs le « jeu » sonore
sur « été » et « fin »
(cf « promenade
au jardin des racines hébraïques »).
Il « joue » encore
sur le rythme de la « qinah » (élégie
mortuaire, de rythme 3 + 2), pour célébrer
la mort d’un peuple
Le rythme propre à ce chant mortuaire est bien connu
des auditeurs, mais ce qui est chanté ici serait notre
propre mort ! Ces paroles ont dû sembler terribles aux auditeurs
de l’époque !
«
Elle est tombée, la vierge Israël
Elle ne se relèvera plus »
Amos V,1
Où est la vérité ?
«
Ecoutez cette parole qu’a dite YHWH contre vous, fils d’Israël,
contre toute la famille que j’ai fait monter du pays d’Egypte
en disant :
Je n’ai connu que vous de toutes les familles du
sol,
c’est
pourquoi je sévirai contre vous à cause
de toutes vos fautes »
Amos III,1
Cette élection n’est pas un privilège
! Manifestement, le paysan Amos est aussi un théologien
lucide et bien informé de l’histoire
ancienne. Ce qui lui fait prononcer ces paroles terribles
contre la religiosité usuelle
:
« Malheur à ceux qui désirent
le jour de YHWH
A quoi bon, pour vous, le jour de YHWH
Il est ténèbres et non lumière !
C’est comme un homme qui fuit de devant le lion et l’ours
le rencontre
Ou qui, entré à la maison, appuie sa main contre
le mur
Et le serpent le mord !
…
Je hais, je méprise vos fêtes
Et je ne prends pas plaisir à vos réunions
…
Ecarte d’auprès de moi le tapage de tes chants
…
Mais que le jugement coule comme de l’eau
Et la justice comme un torrent intarissable !
Est-ce que sacrifices et oblations
Vous m’avez présentés dans le désert,
Pendant quarante ans, ô Maison d’Israël ? »
Amos V, 18-25
Dans la bouche du prophète,
la religion n’est pas une simple coutume,
ni une manière de penser, mais une manière
d’agir.
Je ne suis pas prophète
!
Un prêtre du sanctuaire
national de Bethel… prend
normalement le parti des autorités dont dépend
sa situation –en l’occurrence,
le pouvoir royal. Son apostrophe est donc compréhensible.
Il s’en
prend à ce diseur venu du sud, qui ose critiquer
les institutions du nord –critiques
dont il avertit le roi avant d’apostropher
le prophète :
«
Voyant, va-t-en ! Enfuis-toi au pays de Juda
mange ton pain, là-bas
et là-bas prophétise !
Mais à Bethel tu ne continueras plus de prophétiser,
Car c’est un sanctuaire de roi
Et c’est une Maison de royaume ».
Amos VII,12-13
La réponse d’Amos est claire :
«
Je ne suis pas prophète
et je ne suis pas fils de prophète,
car je suis un bouvier
et un pinceur de sycomores.
Mais YHWH m’a pris
De derrière le petit bétail
Et YHWH m’a dit :
Va, prophétise à mon peuple, Israël ! »
Amos VII, 14-15
La suite des paroles d’Amos
est terrible pour le grand-prêtre. Tout
lecteur le constatera. Le mensonge peut
faire mal aujourd’hui, mais il
n’a pas d’avenir.
L’expression
: « Un « pinceur de sycomores » peut étonner.
En ce pays sec, toutes les ressources
doivent utilisées pour nourrir
le bétail : y compris le petit
fruit de cette espèce de sycomore.
Un éleveur comme Amos utilise
cette technique par laquelle les petits
fruits –incisés-
mûriront plus vite et fourniront
une meilleure nourriture pour le bétail.
Mais l’essentiel n’est pas
ici dans la technique, mais dans la fonction.
Et une parole fondamentale ou prophétique
peut venir d’un paysan-éleveur.
Mais la justice n’est pas une conformité établie
: elle doit être
cherchée. C’est une exigence,
non un acquis. Comme on cherche une parole
perdue :
«
Voici que des jours viennent -oracle du Seigneur YHWH-
où j’enverrai la faim dans le pays,
non pas une faim de pain
ni une soif d’eau,
mais celle d’entendre les paroles de YHWH »
Amos VIII,11
Dans beaucoup de pays,
aujourd’hui, les
paroles d’Amos seraient d’une
terrible actualité. Et là aussi,
les dieux (car les « dieux » sont
des pouvoirs) nommés OMC
ou FMI ont leurs partisans et leurs
défenseurs.
Ce sont, peut-être, les mêmes « dieux » qui
sont aujourd’hui
combattus par les anti-OGM. ou
les altermondialistes. De ce vieux
combat,
sans fin, pour la justice, Amos
est un témoin.
Jacques Chopineau,
Genappe le 22 août 2004 |