5. Le grand déluge
Dans le plan de l’histoire dite « des
origines », le déluge vient à la
place que les rédacteurs de cet ensemble lui ont donné.
Pour eux, la création obéit à un plan,
un projet. Ici, la cause du grand déluge est que :
Dieu vit que la terre était pervertie, car tous s’étaient
pervertis sur la terre… (Genèse
6,12)
L’eau va recouvrir tout cela en effaçant
toute vie animale et humaine sur la terre. Mais l’essentiel
est la création d’un nouvel ordre du monde. Pour
cela, un homme et sa famille traverseront le déluge.
Noé, sa femme, ses trois fils et leurs femmes :
en tout huit personnes (cf Genèse 7,13). Par analogie
avec le huitième jour, c’est à dire le
premier jour de la nouvelle semaine. Ce symbolisme sera perçu
beaucoup plus tard par l’auteur de l’épître
de Pierre : … lorsque temporisait la patience de Dieu, aux jours de Noé
construisant l’arche dans laquelle peu, c’est
à dire huit âmes, furent sauvées à
travers l’eau… (1 Pierre
3,20)
Le chiffre est ici perçu comme significatif
d’un nouvel ordre du monde (d’une nouvelle « semaine »)
à la suite d’un usage symbolique ancien (cf Genèse
8,10 ; Lévitique 12,3 ; 14,10 ; 15,14.29
… comme dans le Nouveau Testament : Luc 9,28 ; Jean 20,26…).
… il n’a pas épargné l’ancien
monde, mais il a épargné le huitième
homme, Noé… (2
Pierre 2,5)
Un texte ne se borne pas à l’histoire
des relectures qui en ont été faites. Il les
rend possibles, cependant. D’un point de vue littéraire,
le récit du déluge se compose de 8 éléments
dont chacun possède des propres insistances, répétitions
et « jeux de mots ». Ce qui suit en
donnera une idée :
1 - Ouverture (6,9-12) :
Texte bref qui introduit à l’ensemble du récit.
La racine shahat (« corrompre »)
est employée trois fois - ce qui est une manière
habituelle d’exprimer l’insistance sur un terme
central (ici la raison qui motive la décision de faire
venir le déluge).
2 - « Fais une arche »
(6,13-22) :
Dans ce passage, le rédacteur joue sur le verbe « faire »
(sept fois). On lit également sept fois le mot « arche »
(vv. 14-14-15-16-16-22-22).
3 - Tous entrent dans l’arche
(7,1-16) :
C’est ici la racine « entrer »
qui est reprise sept fois (vv. 1-7-9-13-15-16-16).
4 - Les eaux dominent… (7,17-24) :
Tout le passage exprime la violence des éléments
qui se déchaînent « sur la terre »
(expression qui se lit sept fois vv. 17-17-18-19-21-21-24).
La racine GBR
(« dominer ») revient quatre fois (vv.
18-19-20-24). Manière de marquer l’insistance
sur un terme central.
D’autre part, l’absence d’un
nom est également significative : dans ce passage
tout nom divin est absent. Dieu est occulté aussi longtemps
que dure la tourmente et que les eaux dominent sur la terre…
5 - L’apaisement (8,1-14) :
La finale souligne que, maintenant, « la terre
est sèche ». C’est d’ailleurs
l’expression « la terre » qui
est répétée sept fois (vv. 1-3-7-9-11-13-14).
Pour aboutir à ce comput, « la terre »
est remplacée par « le sol »
(vv. 8 et 13).
L’apaisement est encore exprimé
par un jeu sur la racine NWH (« se
reposer ») qui est celle même d’où
provient le nom de Noé :
vv. 1-6-11-13 Noé
v. 4 l’arche
se reposa
v. 9 lieu
de repos
De plus, les verbes qui expriment le recul et l’apaisement
des eaux, abondent dans ce paragraphe (vv. 1-2-3 etc…).
6 - La sortie de l’arche
(8,15-22) :
Le terme qui est repris de façon significative est
le verbe « sortir » (16-17-16-19). Cette
quadruple reprise est une manière habituelle de marquer
l’insistance…
7 - La bénédiction
(vv. 9,1-17) :
Le texte veut montrer comment la bénédiction
de Dieu garantit l’ordre du monde post-diluvien (cf
Genèse 1,28). Le sacrifice offert aux dieux, dans l’épopée
de Gilgamesh, est évidemment tout différent,
là où les dieux s’assemblent « comme
des mouches » afin de respirer l’odeur du
sacrifice. L’axiomatique religieuse de l’ancien
Israël exclut tout polythéisme.
8 - L’alliance (vv. 9,8-17) :
C’est le couronnement du récit. Dans ce paragraphe,
on lit sept fois le mot « alliance »
(vv. 9-11-12-13-15-16-17). On lit également sept fois
« la terre » (vv. 10-10-11-13-14-16-17).
Notons encore trois fois « le déluge »
- mot qui se lit sept fois dans l’ensemble du récit.
Ainsi s’organisent
les huit parties du récit. Il ne fait pas de doute
que cette organisation résulte d’une activité
rédactionnelle aux règles précises. Une
insistance est notée par une répétition
signicative. Souvent quatre reprises dans un contexte bref
(deux ou trois versets) ou bien septuple occurrence d’un
terme essentiel dans le cadre d’un paragraphe. Place
au lecteur attentif !
Jacques Chopineau,
Genappe, 19 juin 2003
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