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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

 

 

   


Genèse.
Les premiers chapitres de la Bible…

 

 

5. Le grand déluge

Dans le plan de l’histoire dite « des origines », le déluge vient à la place que les rédacteurs de cet ensemble lui ont donné. Pour eux, la création obéit à un plan, un projet. Ici, la cause du grand déluge est que : Dieu vit que la terre était pervertie, car tous s’étaient pervertis sur la terre… (Genèse 6,12)

L’eau va recouvrir tout cela en effaçant toute vie animale et humaine sur la terre. Mais l’essentiel est la création d’un nouvel ordre du monde. Pour cela, un homme et sa famille traverseront le déluge. Noé, sa femme, ses trois fils et leurs femmes : en tout huit personnes (cf Genèse 7,13). Par analogie avec le huitième jour, c’est à dire le premier jour de la nouvelle semaine. Ce symbolisme sera perçu beaucoup plus tard par l’auteur de l’épître de Pierre : … lorsque temporisait la patience de Dieu, aux jours de Noé construisant l’arche dans laquelle peu, c’est à dire huit âmes, furent sauvées à travers l’eau… (1 Pierre 3,20)

Le chiffre est ici perçu comme significatif d’un nouvel ordre du monde (d’une nouvelle « semaine ») à la suite d’un usage symbolique ancien (cf Genèse 8,10 ; Lévitique 12,3 ; 14,10 ; 15,14.29 … comme dans le Nouveau Testament : Luc 9,28 ;  Jean 20,26…).
… il n’a pas épargné l’ancien monde, mais il a épargné le huitième homme, Noé… (2 Pierre 2,5)

Un texte ne se borne pas à l’histoire des relectures qui en ont été faites. Il les rend possibles, cependant. D’un point de vue littéraire, le récit du déluge se compose de 8 éléments dont chacun possède des propres insistances, répétitions et « jeux de mots ». Ce qui suit en donnera une idée :

   1 - Ouverture (6,9-12) :
Texte bref qui introduit à l’ensemble du récit. La racine shahat (« corrompre ») est employée trois fois - ce qui est une manière habituelle d’exprimer l’insistance sur un terme central (ici la raison qui motive la décision de faire venir le déluge).

   2 - « Fais une arche » (6,13-22) :
Dans ce passage, le rédacteur joue sur le verbe « faire » (sept fois). On lit également sept fois le mot « arche » (vv. 14-14-15-16-16-22-22).

   3 - Tous entrent dans l’arche (7,1-16) :
C’est ici la racine « entrer » qui est reprise sept fois (vv. 1-7-9-13-15-16-16).

   4 - Les eaux dominent… (7,17-24) :
Tout le passage exprime la violence des éléments qui se déchaînent « sur la terre » (expression qui se lit sept fois vv. 17-17-18-19-21-21-24).

La racine GBR (« dominer ») revient quatre fois (vv. 18-19-20-24). Manière de marquer l’insistance sur un terme central.

D’autre part, l’absence d’un nom est également significative : dans ce passage tout nom divin est absent. Dieu est occulté aussi longtemps que dure la tourmente et que les eaux dominent sur la terre…

   5 - L’apaisement (8,1-14) :
La finale souligne que, maintenant, « la terre est sèche ». C’est d’ailleurs l’expression « la terre » qui est répétée sept fois (vv. 1-3-7-9-11-13-14). Pour aboutir à ce comput, « la terre » est remplacée par « le sol » (vv. 8 et 13).

L’apaisement est encore exprimé par un jeu sur la racine NWH (« se reposer ») qui est celle même d’où provient le nom de Noé :
vv. 1-6-11-13 Noé
v. 4   l’arche se reposa
v. 9   lieu de repos
De plus, les verbes qui expriment le recul et l’apaisement des eaux, abondent dans ce paragraphe (vv. 1-2-3 etc…).

   6 - La sortie de l’arche (8,15-22) :
Le terme qui est repris de façon significative est le verbe « sortir » (16-17-16-19). Cette quadruple reprise est une manière habituelle de marquer l’insistance…

   7 - La bénédiction (vv. 9,1-17) :
Le texte veut montrer comment la bénédiction de Dieu garantit l’ordre du monde post-diluvien (cf Genèse 1,28). Le sacrifice offert aux dieux, dans l’épopée de Gilgamesh, est évidemment tout différent, là où les dieux s’assemblent « comme des mouches » afin de respirer l’odeur du sacrifice. L’axiomatique religieuse de l’ancien Israël exclut tout polythéisme.

   8 - L’alliance (vv. 9,8-17) :
C’est le couronnement du récit. Dans ce paragraphe, on lit sept fois le mot « alliance » (vv. 9-11-12-13-15-16-17). On lit également sept fois « la terre » (vv. 10-10-11-13-14-16-17).

Notons encore trois fois « le déluge » - mot qui se lit sept fois dans l’ensemble du récit. 

Ainsi s’organisent les huit parties du récit. Il ne fait pas de doute que cette organisation résulte d’une activité rédactionnelle aux règles précises. Une insistance est notée par une répétition signicative. Souvent quatre reprises dans un contexte bref (deux ou trois versets) ou bien septuple occurrence d’un terme essentiel dans le cadre d’un paragraphe. Place au lecteur attentif !

Jacques Chopineau, Genappe, 19 juin 2003