1.
Introduction : le livre de la Genèse dans l'ensemble
biblique
Les lignes qui suivent
n’ont pas de but apologétique. Il est temps de
lire la Bible hors de toute approche confessionnelle ou dogmatique.
Mais une approche purement philologique ou historique serait
également bornée. L’exégèse
historico-critique remplace souvent le texte par l’histoire
du texte –voire l’histoire de la formation (réelle
ou supposée) du texte. C’est ce que Péguy
appelait : La méthode de la grande ceinture
par laquelle on vise à
savoir tout sur ce qui est autour du texte, mais peu ou rien
sur le texte lui-même.
Textes « religieux »
ou non, l’important est dans la lecture et dans le plaisir
qu’elle donne. C’est le lecteur qui est situé
historiquement, non le texte dont l’auteur est mort
depuis longtemps. Sans plaisir actuel, il n’y a ni lecture
ni lecteur. De quel texte parle-t-on alors ? Il y a du
plaisir à lire la Bible et le plaisir passe parfois
loin des sentiers battus.
La Bible n’est
pas un livre. C’est une bibliothèque… La
bibliothèque d’un peuple qui a choisi de réunir
ces livres-là et non d’autres, et de conserver,
puis de transmettre cette collection formée de trois grands ensembles :
1
- Le Pentateuque (les 5 « livres de Moïse »,
ou la Thora)
2 - Les Prophètes -« premiers prophètes »
(ces livres que nous appelons « historiques »)
et « derniers prophètes », c’est
à dire les « Trois grands » et
les « 12 petits prophètes ».
3 - Les Ecrits « saints » ou agiographes.
Mais l’ordre
de nos traduction suit souvent l’ordre des Bibles grecques
et latines. De là, une disposition différente
des livres. Ainsi, nous plaçons Daniel au nombre des
grands prophètes, lesquels sont alors quatre et non
plus trois. Le genre littéraire de Daniel (apocalypse)
est cependant tout différent …..
Dès lors,
pourquoi ce nom : « la » Bible ?
Le latin Biblia procède du grec ta biblia (= les livres). C’était un pluriel neutre :
« Les livres » (saints). Mais Biblia
a été compris
comme un féminin singulier. De là, dans la plupart
des langues européennes : La Bible, die Bibel,
la Biblia etc…
C’est par un
tel avatar lexical que la Bible est couramment tenue pour
un livre. En fait, il s’agit d’un rassemblement
d’écrits de genres littéraires différents
et d’époques différentes. Le tout a été
réuni à une époque tardive, après
des siècles de transmission orale et de compilations
d’âges différents. La langue a également évolué au cours
des siècles, mais la langue de traduction porte la
marque d’une seule époque : celle qui l’a
vu naître.
Le livre de la Genèse
-le premier livre du Pentateuque- ne fait pas exception. Essentiellement
narratif dans la forme, il se construit en 12 sections narratives
(ce découpage traditionnel en 12 sections est plus
conforme au contenu du livre que les 50 chapitres de nos traductions).
Les deux premières
de ces sections n’ont rien d’historique au sens
moderne. Il s’agit d’une réflexion profonde
sur l’homme et le monde de l’homme. Les sages
qui ont mis ces tex.tes en forme ont utilisé, de façon
originale, des traditions diverses -parfois fort anciennes.
C’est formellement cette première
partie que l’on nomme : «Les origines »,
ou « l’histoire
des origines », c’est à dire
l’ensemble formé des onze premiers chapitres
du livre (2 « sections » dans le découpage
traditionnel : la section du Commencement et la section
de Noé).
Remarquons que le
mot « histoire » ne désigne pas
l’histoire des historiens. Rien ici n’est chronologique,
même si la disposition de l’ensemble des récits
résulte d’une mise en forme narrative.
En fait, une histoire
(ou plutôt « des » histoires)
ne commence(ent) qu’au chapitre 12 (Section : « Va-pour-toi »)
avec les récits sur Abraham et les autres patriarches.
Des récits très organisés et rédigés
à la lumière d’une longue « histoire »
-celle d’un peuple.
Ainsi, le récit
du déluge trouve un modèle antérieur
dans la fameuse « épopée de Gilgamesh ».
Une source utilisée en conformité avec l’axiomatique
religieuse (monothéiste) de l’ancien Israël.
Par contre, le récit du jardin (Genèse 3) n’a
pas de parallèle connu. La succession : création
du monde/ création de l’homme/ Jardin/ meurtre
d’Abel/ Généalogie/ Déluge/ Récit
de la ville et de la tour est une mise en forme qui répond
à une intention. Les scribes metteurs en forme sont
des sages. Leurs méthodes doivent être apprises
par les modernes (non toujours sages !) que nous sommes.
De fait, tous ces textes comportent des matériaux de
diverses époques, mais relèvent d’un plan
global original. qui procède d’une réflexion
sur l’homme. C’est aujourd’hui que l’homme
sexué, au sein d’un monde de violences, voit
tout retour à un « jardin » impossible.
C’est aujourd’hui qu’il doit travailler
durement. Aujourd’hui que toute « langue
commune » est perdue…..
Chacun de ces textes
contient un enseignement sur l’homme de tous les temps.
Remarquons qu’il jamais question, dans ce début,
d’Israël : il s’agit de tout homme qui
est ici fils d’Adam et de Caïn, mais aussi -comme
le notera plus tard l’évangile de Luc- fils de
Dieu (Luc 3,38). Violences et meurtres parsèment l’histoire
de cet Adam (= « genre humain »), mais
aussi, toujours, une évolution possible par laquelle
cet homme-fils-d’homme pourra s’ouvrir à
une réalité différente. Aux religions
d’en montrer le chemin -ce qu’elles n’ont
pas toujours fait !
Le premier de ces récits
(celui de la création du monde) est relativement tardif
dans la forme actuelle. Plus récent, en tout cas, que
le récit qui lui fait suite (celui de la création
de l’homme). Cependant, l’organisation de ce récit
introductif à l’ensemble de la Bible est construit
très rigoureusement. Tous les éléments
de ce texte sont l’objet d’une organisation minutieuse.
Tout ici est pesé et compté : expressions,
lettres et mots. Tout est figuré et symbolique.
Jacques Chopineau,
Genappe le 10 juin 2003
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