CORRESPONDANCE UNITARIENNE    octobre 2005

Les monuments à Michel Servet

Actualités
unitariennes


n° 48

“ J’oublierai bien volontiers toutes choses
qui ne toucheront que mon particulier
soit d’injures soit d’outrages,
pourvu qu’en ce qui touche la Gloire de Dieu et le repos public
il puisse y avoir sûreté ”
Testament de l’amiral Gaspard de Coligny
(converti au calvinisme en 1559, assassiné à la Saint-Barthélemy en 1572)
cité lors du culte dirigé par Florence Taubmann aux Journées du protestantisme libéral,
organisées à Agde par E&L les 18-19 octobre 2003

Les monuments à Michel servet
ou comment la tolérance devient parfois intolérance,
compte-rendu du livre de Valentine Zubert
Les conflits de la tolérance. Michel Servet entre mémoire et histoire, Paris, Champion, 2004, 640 p.
par Bernard Reymond

paru dans Le Protestant de mai 2005, n° 5, p. 4,
sous le titre Les monuments à la mémoire de Michel Servet, ou la tolérance à hue et à dia.

"(…) Le point de départ en est, bien sûr, la stèle "expiatoire" érigées en 1903 à Genève-Champel, là même où Servet périt sur le bûcher avec l'assentiment de Calvin. Mai il y a aussi les monuments d'Annemasse (1908, détruit en 1942 et ré-inauguré en 1960), de Paris (1908) et de Valence (1911). En très bonne historienne, Valentine Zuber suit à la trace (…) l'histoire de ces quatre monuments qui, chacun, doivent leur existence à des circonstances, des intentions et même à des idéologies bien différentes. Celui de Champel a été voulu par des "fils reconnaissants et respectueux de Calvin", en particulier par le calvinologue Emile Doumergue, pour laver si possible sa mémoire de ce forfait en lui trouvant pour excuse d'avoir participé à "une erreur qui fut celle de son siècle". Ce libellé disculpant, qui figure sur la stèle en question, a été d'emblée jugé insuffisant par de nombreux protestants qui voient dans la condamnation de Servet non seulement une erreur de son temps, mais bel et bien une erreur, voire ne faute, de Calvin lui-même, inconséquent avec les exigences de la Réforme. Mais surtout, cette manière atténuante de dire a été vivement prise à partie, l'année même de l'inauguration, par les milieux de la libre-pensée qui y ont vu une hypocrisie manifeste et, à leurs yeux, bien protestante et genevoise.

Le monument d'Annemasse, lui, fut délibérément, à l'époque, une réponse des libres-penseurs à la stèle de Champel. Ils auraient voulu l'installer à Genève même, mais la ville le refusa et Auguste Dide, un ancien pasteur qui en voulait à Genève et au protestantisme dans son ensemble, profita de la constellation politique locale annemassienne pour le faire accepter dans cette ville, en passant complètement sous silence les préoccupations proprement religieuses de Servet. A noter toutefois que, lors de la ré-inauguration de 1960, toute animosité envers Genève et le protestantisme avaient disparu.
Le monument de Paris a une origine qui prête davantage à confusion : il a été voulu par le polémiste Henri Rochefort, représentant d'une Droite à la fois nationaliste, antisémite, anti-protestante et libre-penseuse. Cette connotation du monument a été oubliée et les libres-penseurs parisiens, probablement faute de mieux, ont l'habitude de se rassembler une fois par année devant lui pour entendre quelques discours assaisonnés de l'agressivité anticléricale qui les caractérise.

Valence est la ville où Servet exerça la médecine comme un véritable sacerdoce (…) Le monument de valence a été dans l'ensemble le plus consensuel des quatre et l'on note que, en dépit de quelques discordances sur son interprétation, des protestants libéraux ont tenu à participer à son inauguration, comme les pasteurs genevois John Gaillard et Georges Fulliquet, tous deux membres de l'Union protestante libérale.

En fin de parcours, Valentine Zuber évoque encore la plaque apposée en 1926 à Saint-Martin-du-Fresne, à l'ouest de Nantua, pour rappeler la mémoire de Sébastien Castellion, le théologien qui a, si l'on peut dire, sauvé l'honneur de la Réforme en dénonçant dans le bûcher de Servet un véritable crime, tant il est vrai que, comme il l'écrivit, "tuer un homme, ce n'est pas tuer une doctrine, c'est tuer un homme". La plaque commémorative en 1926, arrachée pendant la guerre pour être fondue, a été remplacée par une autre en août 1953 et inaugurée à l'occasion du congrès pour la tolérance qui se tint à Genève à l'initiative des protestants libéraux.

Valentine Zuber (...) montre à travers l'histoire de ces différents monuments la difficulté du protestantisme de trouver sa place, surtout en France, entre le cléricalisme catholique de l'époque et des libres-penseurs qui, trop dogmatiquement laïques, admettent difficilement m'existence de libres-croyants. Enfin et surtout, elle souligne dans sa conclusion combien les uns et les autres ont été portés, avec ces divers monuments, à "instrumentaliser" non seulement la tolérance, amis aussi Michel Servet lui-même, c'est-à-dire à s'en faire un drapeau pour la manifestation d'attitudes ou d'idées qui n'étaient pas nécessairement les siennes.

Les protestants libéraux, en particulier à Genève, n'ont d'ailleurs pas toujours échappé à ce travers, même quand ils se sont ingéniés à prendre leur distances envers l'autoritarisme de Calvin. L'histoire de ces monuments à Michel Servet apparaît ainsi comme celle d'une tolérance mise à hue et à dia au gré d'intérêts ou de conceptions contradictoires, tant il est vrai que la tolérance cesse d'être tolérante quand elle devient machine de guerre au service d'une cause ou contre les idées d'autrui".