CORRESPONDANCE UNITARIENNE | octobre 2004 |
Michel Servet, hérétique et martyr | |
« Maurice Bellet se demandait
si l’intuition qui est à l’origine du christianisme Michel
Servet, hérétique et martyr Humaniste et théologien d'avant-garde, Michel Servet a payé de sa vie, dans la Genève de Calvin, son audace intellectuelle. Son cas nous rappelle que l'intolérance n'a pas été le monopole des catholiques. Il vaut la peine, d'autre part, de redécouvrir une pensée plus moderne qu'on ne croit. Né en 1509 (ou 1511) en Espagne, à Villanueva, pas très loin de Sarragosse, d'une famille noble et pieuse, Michel Servet révèle très tôt des talents intellectuels d'exception et deviendra l'un de ces grands esprits de la Renaissance européenne qui pouvaient être à la fois philosophes, théologiens et savants. Mais ce temps – celui des débuts de la Réforme – est aussi celui des passions religieuses exacerbées, ne laissant nulle place à la liberté d'expression. Servet, tout à ses convictions, refuse de s'y plier. Il le paiera de sa vie. Le dogme trinitaire en question Lorsqu'il arrive, très jeune, à Toulouse pour des études de droit selon la volonté paternelle, c'est, à la fin des années 1520, le temps béni de l'évangélisme où l'idée de réforme de l'Eglise fondée sur une connaissance renouvelée de la Bible suscite la curiosité et l'enthousiasme des esprits les plus ouverts et les plus généreux, sans que ce mouvement se heurte encore à des oppositions organisées. Servet découvre la Bible et probablement aussi les premiers écrits de Luther. Parce qu'il vient d'Espagne certains le traitent de "marrane", le nom par lequel on désignait les maures convertis, toujours suspects d'hérésie. Du coup, Servet se pose la question : pourquoi les juifs et les maures refusent-ils obstinément de croire ? Bien vite, la Trinité lui paraît être la pierre d'achoppement. Or il découvre avec stupeur que la Bible n'en parle pas. Certes, on y trouve le Père, le Fils et le Saint-Esprit, mais nulle mention d'une seule substance et de trois personnes. Servet cherche les fondements de la doctrine trinitaire, formulée au concile de Nicée en 325. Mais ni les arguments de Saint Augustin, ni ceux de Richard de Saint Victor ou Guillaume d'Occam aux 12e et 14 e siècles ne le convainquent. Il n'y voit que des sophismes. Il ne faisait pas bon contester sur ce sujet que la proximité de l'Espagne rendait éminemment sensible. Pour plus de sécurité, Servet se rend à Bâle. Il y découvre les écrits d'Erasme, notamment celui-ci : "Vous ne serez pas damné si vous ignorez que l'Esprit procédant du Père et du Fils a une double origine; en revanche, vous n'échapperez pas à la damnation si vous ne cultivez pas les fruits de l'Esprit qui sont amour, joie, patience, bénignité, douceur." Son travail de correcteur dans une imprimerie lui laisse le temps de pousser ses recherches. L'étude de Tertullien et d'Irénée lui donne l'idée d'une différenciation dans le Christ : le Logos, co-éternel à Dieu, et le Fils, accident historique, non éternel, subordonné. Quant à l'Esprit, il est simplement l'esprit de Dieu en mouvement dans nos cœurs ; il n'est pas un être distinct. Dès lors, c'est aussi avec les protestants que Servet se trouve
en désaccord. L'un d'eux, Oecolampade, lui écrit : "Vous
promettez de persévérer à professer que Jésus
est le Fils de Dieu. Je vous somme de confesser qu'il est le Fils consubstantiel
et coéternel de Dieu grâce à son union avec le Verbe." Finalement, il rentre en France, se cachant sous le nom de Michel de Villeneuve (évocation de son village natal). On le trouve à Paris, mais l'Affaire des Placards, en 1534, le fait se réfugier à Lyon. C'est alors qu'il se tourne vers la médecine. La dissection des corps des suppliciés lui fait découvrir l'anatomie. Observant les artères, il conclut à l'impossibilité de la théorie de Galien sur la circulation du sang. Le premier en Occident, il fournit le relevé exact du trajet du sang dans le cœur et les poumons. Dans le même temps, Servet s'intéresse à la géographie, reprenant et critiquant l'œuvre classique de Ptolémée. De la science de la terre, il passe à celle du ciel et s'intéresse à l'astrologie qu'on ne distinguait pas encore de l'astronomie. Nous serions tentés de dire qu'il se dispersait. La vérité est qu'il partageait avec d'autres savants, comme Giordano Bruno ou Kepler, l'idée d'une cohérence de l'univers et donc de l'unité fondamentale de toutes les sciences. Un bref passage à Charlieu, près de Roanne, précède son installation à Vienne en 1540. Commencent alors 12 années de calme. A l'abri de son anonymat, Servet partage son temps entre la médecine et ses recherches théologiques. Il compose son ultime ouvrage, La restitution du christianisme, dans lequel il explique que le Verbe éternel, identifié au Christ, n'est qu'un mode par lequel Dieu s'exprime. C'est le départ d'une réflexion sur le baptême, conçu comme l'expérience d'une régénération de l'être par la présence du Christ en lui. Dès lors il n'est, selon lui, pas admissible de baptiser les enfants parce qu'ils n'ont pas fait cette expérience. Sur ces sujets, Servet désire dialoguer. Mais avec qui ? Il pense à Calvin dont la réforme genevoise est maintenant connue ; il lui envoie son livre et lui écrit. Mais l'échange de lettres tourne vite à l'aigre. Calvin, qui a découvert la véritable identité de son correspondant, détecte l'hérétique et cesse bientôt de répondre. Servet ne se décourage pas et fait éditer la Restitution. Grave imprudence ! Un proche de Calvin trouve le livre et dénonce Servet à un catholique de Lyon, lequel informe l'Inquisition. A Vienne, Servet est reconnu, arrêté, interrogé, jeté en prison. Il s'évade. Condamné à mort, c'est en effigie qu'il est brûlé le 17 juin 1553. Le procès de Genève
et la mort Pourquoi Servet s'est-il alors rendu à Genève, ne pouvant ignorer le danger qu'il y courait ? On l'ignore. Ce qui est sûr c'est qu'il y est reconnu, arrêté et l'objet d'un nouveau procès devant le Conseil de la République. Calvin y intervient en tant qu'expert en théologie. Il y eut alors, entre les deux hommes, une discussion serrée par le moyen de textes en latin qu'ils échangeaient. A la fin, on consulta les magistrats et pasteurs des autres villes de Suisse qui tous, sauf exceptions rares, se prononcèrent pour la mort. Calvin est d'accord, même s'il dit, sans être entendu, préférer la hache au bûcher. Le 27 octobre 1553, la sentence est rendue. Servet est condamné pour deux chefs : l'anti-trinitarisme ("Il dit que nous avons pour Dieu un Cerbère à trois têtes") et l'anti-pédobaptisme. Sur le bûcher, Servet cria : "O Jésus, fils de Dieu éternel, aie pitié de moi ! ". Farel, qui était présent, remarqua qu'il lui aurait suffi de changer la place du mot éternel pour avoir la vie sauve. Calvin s'est révélé en cette affaire comme une des dernières figures médiévales. "Est-ce que, parce que les papistes persécutent la vérité, nous devrions nous abstenir de réprimer l'erreur ? … Pierre agissait selon l'Esprit du Christ quand il détruisit Ananias". Il ne faisait aucun doute pour lui que la majesté de Dieu, le salut des âmes et la permanence de la chrétienté fussent en jeu dans cette affaire. Mais Calvin n'était pas seul à penser de la sorte. Il a fallu précisément la mort de Servet pour que la question de la tolérance soit enfin posée. notice bibliographique : Nous rappelons aussi le
n°24 de la revue trimestrielle Théolib,
paru en décembre 2003 et tout entier consacré à un
hommage à Michel Servet (attention : stock en cours de finition) Les infos d'octobre sont à la page suivante |
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