CORRESPONDANCE UNITARIENNE    mars 2003

Jacques Cecius, unitarien et franc-maçon

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N° 17

1 - L'unitarien

Cette partie est la suite de l'article " L'unitarisme, ses origines " visible sur le site Profils de libertés.

"Unitarisme : doctrine de certains groupes dissidents de la Réforme qui niaient le dogme de la Trinité parce qu'ils y voyaient un abandon du monothéisme" (Grand Larousse Universel).

"Les solutions proposées par les divers unitariens ont en commun une insistance très forte sur le thème de l'unité divine et conduisent à privilégier la nature humaine de Jésus-Christ". (Encyclopaedia Universalis).

Pour les unitariens comme l'écrira le pasteur Channing, "Il y a Un être - un esprit - une personne - un agent intelligent - UN SEUL à qui appartient la perfection non dérivée et infinie de la Toute-Puissance. En d'autres termes, l'unitarisme c'est l'affirmation que Dieu est celui qui dit "Je suis celui qui suis" (Exode 3, 14) et qu'on ne connaît rien d'autre sur lui. Que nul ne l'a jamais vu (Jean I, 18), et qu'il ne s'est jamais incarné. N'est il pas écrit en effet "Tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre" (Exode 33, 20)?". C'est aussi le rejet de tout anthropomorphisme, de toute idolâtrie résultant du culte des Images. Dieu restera à jamais "au-delà de tout ce qui peut être conçu. La connaissance de Dieu est celle qui révèle, non pas ce qu'Il est, mais ce qu'il n'est pas" (Michel Servet). "Tu dois l'aimer en tant qu'Il est un non-dieu, un non-intellect, une non-personne, une non-image", avait déjà écrit le grand mystique Eckart plus de quatre siècles avant Socin".

Les unitariens reconnaissent qu'il ne savent rien de Dieu. Ils avouent volontiers aussi qu'ils ignorent pourquoi il y a un Dieu.

Albert Blanchard-Gaillard, président honoraire de l'Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens, qu'il a fondée avec le professeur Théodore Monod et quelques autres, a écrit dans "L'unitarisme, de Jésus à Théodore Monod" (dans Fraternité Unitarienne, mars 1994) : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? se demandait Leibnitz. Un unitarien n'a pas de réponse inattaquable, pas plus d'ailleurs qu'aucun croyant. Il nous faut penser le passage de l'Absolu, infini, hors du temps, déjà parfait, immobile et indéterminé, c'est à dire, selon une audacieuse image, du Vide tout-puissant, à l'Etre de l'Univers. Nous le conceptualisons, faite de mieux, en disant que cet impensable Absolu va, au choix : "agir - créer - se déterminer - se connaître - se communiquer - que le Zéro va devenir Un". Toutes ces expressions sont, si l'on y réfléchit bien, équivalentes. "Il nous semble plus logique de supposer que le Tout-Autre va construire inséparablement : un Acte d'auto-communication (l'explosion initiale) - un Communiqué (le Cosmos) - et la possibilité d'émergence d'un Récepteur intelligent (l'homme); certains hommes étant, par leur transparence, leur réceptivité, plus capables que d'autres de percevoir et de traduire ce Souffle. Il serait donc erroné d'affirmer que les unitariens n'ont pas de théologie du Pneuma, de l'Esprit-Saint. Les grands unitariens ont tous traité de l'Esprit comme Acte, comme Don. Ainsi Michel Servet: "Le Saint-Esprit n'est pas un être distinct. Hors de l'Esprit de Dieu en nous, il n’y a pas d'Esprit -Saint".

Blanchard-Gaillard, cite aussi Grégoire de Naziance, Père de l'Eglise qui, en 380, écrivait ceci : "Les hommes éclairés parmi nous sont loin de s'entendre sur l'idée qu'il faut se faire du Saint-Esprit. Les uns le regardent comme une énergie, les autres comme une créature. Ceux-ci voient en lui un Dieu; ceux-là suspendent leur jugement par respect, disent-ils, pour l'Ecriture. Quant à l'homme Jésus, les unitariens voient en lui un être certes admirable, mais soumis comme tous à la mort et au péché, et venu insister sur la conception juive du salut pour tous les hommes. Il n'a sauvé personne par sa mort, mais il pousse ses frères humains, encore aujourd'hui, à regarder non le ciel, mais le prochain pour lui tendre la main. La foi unitarienne se veut adulte. Elle opte pour la raison et n'a que faire des croyances consolatrices qui, de toute manière, déçoivent souvent les hommes. Elle rejette cette horreur de la mort rédemptrice de Jésus qui aurait été exigée par Dieu".

Il écrit encore "Comme c'est, somme toute, peu, il advient chez beaucoup la tentation de remplir des blancs : d'imaginer l'apparence de Jésus, de dire ce qu'il fit quand les Evangiles n'en parlent pas; de révéler ses "lourds secrets"; de savoir ce que personne ne sait. Les unitariens ne veulent pas tomber dans ces travers, qu'ils jugent scandaleux. Ce serait faire du sensationnel avec la vie et le sang d'un martyr. (…) Que Jésus se soit trompé en annonçant ce bouleversement eschatologique total comme proche ne le diminue pas non plus à nos yeux,. ce qui nous intéresse, nous passionne et fait de nous des disciples, des chrétiens, c'est son enseignement et son exemple,. son non-conformisme et son courage,. sa largeur d'esprit et son amour des plus humbles, des méprisés, en un mot des "ébionites". Ce qui compte pour les unitariens c'est l' "evangelium christi", l'enseignement DE Jésus, et non l' "evangelium de christo", les affirmations SUR Jésus, Jésus est notre exemple et notre maître non parce qu'il aurait été un magicien et un surhomme, mais parce qu'il était empli du souffle de Dieu".

Les citations suivantes illustrent encore ce qu'est la pensée unitarienne, même si elles ne viennent pas toutes de chrétiens de cette sensibilité.

"Pour nous, comme pour les Apôtres et les premiers chrétiens, il n'y a qu'un seul Dieu, le Père. Avec Jésus, nous lui rendons un culte comme au seul vrai Dieu vivant," (William Channing, pasteur unitarien, théologien et militant anti-esclavagiste américain).

"Je ne puis respirer, je ne puis vivre avec Dieu que dans un climat de totale véridicité… Jésus pour moi n'est pas Dieu, mais la "révélation" de Dieu, et encore, seulement "une" de ses révélations. Autrement dit… je suis unitarien" (André Malet, ancien prêtre catholique, pasteur et traducteur en français des œuvres de Bultmann et Spinoza, décédé en 1989).

"Pour moi, la vérité c'est le sermon sur les Béatitudes. Le concile de Nicée m'est totalement étranger. Je suis chrétien pré-nicéen ; ça veut dire que je suis unitarien, et pas trinitaire. Comme le sont l'arianisme et le Nouveau Testament" (Professeur Théodore Monod, professeur honoraire du Muséum national d'histoire naturelle, membre de l'Académie des sciences, spécialiste en biologie, géologie, botanique, zoologie, anthropologie et sociologie).

"Aux corruptions du christianisme je suis certes fort opposé, mais certainement pas au véritable enseignement de Jésus lui-même." (Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis, sympathisant de l'unitarisme).

"L'éternelle sagesse de Dieu, qui se manifeste lui même en toutes choses, se révèle spécialement dans l'esprit humain, mais par dessus tout en Jésus-Christ." (Spinoza, juif rationaliste, souvent accusé d'athéisme).

"Que signifie Jésus pour moi? Pour moi, c'est un des plus grands Maîtres que l'humanité ait jamais eut... Da exprimé comme aucun autre ne l'avait fait, l'Esprit et la Volonté de Dieu." (Gandhi).

"En tant que frère aîné de tous les hommes (Jésus) a lui-même prié le Père en disant "Que ton règne vienne! ". Nos sages aussi, dans une autre langue, ont prononcé la même prière : "Manifeste-toi!" (Rabindranath Tagore).

"Les Eglises ont eut deux mille ans pour mettre en pratique l'éthique de Jésus, celle de la fraternité et de la paix, elles ont lamentablement échoué. Il a peu d'espoir à mettre dans nos Eglises traditionnelles, excepté pour le mince impact dans les secteurs très limités par quelques Eglises. Ce sont les quakers, qui forment l'historique Eglise de la paix; les Unitariens, l'Eglise historique des martyrs, des gens qui ont essayé de pratiquer ce que Jésus prêchait" (Albert Schweitzer, théologien, docteur en médecine, musicologue, organiste, spécialiste des œuvres de Bach, qui abandonna tout pour soigner les lépreux à Lambaréné).

La pratique cultuelle unitarienne dans la plupart des cas ne diffère guère de celle des Eglises protestantes traditionnelles. Les temples unitariens sont très dépouillés, à l'image des lieux de culte de l'Eglise réformée. Cependant, les paroisses unitariennes étant congrégationalistes, chaque communauté peut choisir la manière dont doit se dérouler, du culte, qui a lieu le dimanche, encore qu'une infime minorité d'unitariens ait choisi le samedi, jour du sabbat, comme l'ont fait les adventistes et les baptistes du septième jour.

A titre exemplatif, voici comment il se déroule dans une des paroisses de l'Eglise unitarienne d'Angleterre : accueil des fidèles, prière avant la lecture biblique, lecture, hymne, prière, prédication, hymne ou pièce pour orgue, Cène, Notre Père, hymne, prière d'intercession; hymne, invocation finale.

Le mensuel Fraternité unitarienne, organe de la communauté de Nancy, juillet 1993, a publié le déroulement de la Cène lors du culte à la King's Chapel de Boston :

"Que toute prière et tout remerciement aillent vers toi, Dieu Tout Puissant, pour ces fruits de la terre, ce pain et ce vin, et pour la vie que tu as donnée. Le soir venu, Jésus se mit à table avec ses disciples. Et il leur dit : J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. car je vous le dis, désormais je ne la mangerai plus avant que n'arrive le règne de Dieu".

Prière: "Ô Dieu, sanctifie par ton esprit tous les participants, et ces dons de pain et de vin, de manière à ce que Jésus vive en nous et nous en lui. Et à toi, ô Dieu Unique, la gloire pour les siècles des siècles".

Le ministre prend le pain et le vin et invite les assistants à s'approcher. En donnant le pain aux fidèles il dit : "Prenez et mangez, en mémoire du Christ". Et en faisant circuler la coupe : "Buvez en mémoire du Christ". Quand la communion est terminée le ministre dit : "Comme Jésus nous l'a enseigné, prions : Notre Père…"

"Nous te remercions, notre Père, pour la vie et la connaissance que nous nous as transmises par Jésus ton serviteur. Et à toi seul la gloire pour l'éternité. Comme ce pain partagé a d'abord été semé au loin, par delà les montagnes et recueilli pour n'en faire qu'un, de même fais que l'Eglise soit rassemblée, des confins de la terre, jusque dans ton royaume. Amen".

"Que l'enseignement de Jésus, l'amour du Dieu Unique et le souffle de son esprit soient toujours avec vous. Sœurs et frères, allez en paix!".

2 - le franc-maçon :

Je suis franc-maçon depuis 33 ans (chiffre hautement symbolique pour les francs-maçons et les chrétiens, unitariens ou non), dans une loge du Grand Orient de Belgique et une autre de l'obédience mixte "Le Droit Humain" (Fédération belge). Je tiens à préciser que l'affirmation selon laquelle il serait interdit d'aborder en loge des sujets politiques ou religieux (référence à l'article de Paul Pistre paru dans notre n° 15) n'est valable que pour les obédiences qui se sont autoproclamées "régulières", c'est à dire qui sont sous la coupe de Londres, et surtout des Etats-Unis. Les obédiences libérales laissent les sœurs et les frères aborder les sujets qu'ils désirent. J'ai moi-même donné des conférences en loge, que dans le jargon maçonnique les sœurs et les frères appellent "planches", sur les sujets suivants :
- "Un essai de théocratie aux Etats-Unis au XIXème siècle : le mormonisme en Utah",
- "Deux religions nées en Wallonie : l'antoinisme et le dorisme",
- "Eugène Goblet d'Alviella et le protestantisme unitarien",
- "Anarchiste parce que chrétien"
- "L'anarchisme, une utopie nécessaire ?"
- "L'Eglise catholique gnostique de Jules Doinel", etc.

Je suis personnellement opposé à l'entrée en maçonnerie de catholiques pratiquants. Le Vatican a déclaré  la guerre ; à lui de lever les mesures qui frappent encore les catholiques qui entrent en loge (interdiction d'accès aux sacrements). En attendant, je considère qu'un catholique pratiquant qui devient maçon trahit son Eglise ! S'il veut devenir maçon, qu'il fasse le geste de s'éloigner d'elle en attendant qu'elle reviennent à de meilleurs sentiments.

3 - J'ai écrit :

2000 - L'anarchisme, une utopie nécessaire ?, Bruxelles : éditions Labor ("Quartier libre"). Dans cet ouvrage, je passe en revue les principaux théoriciens de l'anarchisme, et j'aborde des sujets comme la possible réconciliation de cette idéologie avec la foi chrétienne ou, encore, avec le communisme. Je confronte enfin l'anarchisme avec l'enseignement, la sexualité, les hiérarchies, le syndicalisme, etc. Cet ouvrage m'a valu une "excommunication majeure" de la part des anarchistes belges les plus en vue, suite au fait que je me refuse à un alignement sur la ligne bakouninienne ou autre ligne stricte. Je me définis avec humour comme "anarcho-individualo-solidaro-chrétien" - ce qui, en définitive, gêne bien du monde.

A paraître en automne 2003 - Le rêve citoyen d'un franc-maçon, Paris : éditions Detrad.

J'y défends la laïcité contre l'autoritarisme des religions qui se raidissent singulièrement ces dernières années et deviennent de plus en plus exigeantes. J'y défends également les conceptions qui furent celles de Jules Ferry et du "Petit Père Combes" ! Je veux en appeler à un engagement politique au sens noble du terme, aux côtés des associations qui combattent le mondialisme tel qu'il est envisagé, le racisme sous toutes ses formes, la destruction de notre planète par les multinationales, le machisme de beaucoup trop de maçons, etc. Je soutiens (peut-être à tort) l'hypothèse que les unitariens, alors soumis à de multiples mesures vexatoires en Angleterre, furent nombreux en maçonnerie et même qu'ils furent, avec d'autres, à l'origine de la Grande Loge de Londres, en 1717.

Jacques Cecius, mars 2003