Le modèle le plus classique de la «libre-pensée» en Belgique, c'est celle qui a été défendue par l'Université libre de Bruxelles et la pensée laïque contre le dogmatisme qui caractérisait l'Eglise catholique.

Les catholiques honnêtes et bien informés reconnaissent aujourd'hui le bien-fondé de ce combat en faveur, non seulement d'un des droits de l'homme les plus fondamentaux, mais aussi en faveur d'une composante essentielle de la foi chrétienne. En effet, il n'y a pas de foi authentique possible sans la liberté de donner son adhésion ou de la refuser.

Le combat pour la liberté de pensée a largement porté ses fruits, à tel point que de nombreux chrétiens s'en réclament aussi. Ainsi, il est significatif que le père Charles Delhez intitulait un article consacré au théologien Joseph Moingt : Dé-dogmatiser la foi chrétienne.
Il y dit entre autres : « On a cru trop longtemps pouvoir exprimer par des dogmes des vérités immuables : or, ils étaient une vision de la foi dans une certaine culture. »

Pensez-vous qu'en 2004 des chrétiens pourraient être amenés à inviter des tenants de la laïcité à plus de liberté de pensée ? Je vous laisse juges.

Nous avons reçu un exemplaire du « Guide pratique des religions et des convictions », édité par la Communauté Wallonie-Bruxelles et distribué dans les écoles.

Nous ne pouvons que nous réjouir en lisant dans la préface d'André Hasquin : « L'humilité et la tolérance nous poussent, aujourd'hui, à admettre que les visions de la réalité doivent cesser de s'opposer, de nier leurs existences mutuelles. »

Nous ne pouvons que nous réjouir en lisant dans l'introduction des professeurs Baudouin Decharneux et Antonino Mazzu, de l'ULB :
« ... apprendre à reconnaître la différence est maintenant inscrit au coeur de nos préoccupations humaines, jetant ainsi un pont entre les deux rives d'un monde, entre foi et raison. »

Les catholiques de notre groupe Libre Pensée Chrétienne étaient curieux de voir comment était présenté le catholicisme. Et là, grosse déception! Un catholicisme conservateur et traditionaliste, dont les auteurs peuvent, bien sûr, dire qu'il est conforme au « Catéchisme de l'Eglise catholique » et aux doctrines de la Curie romaine :

«Trois idées sont à la base de la Révélation chrétienne:
- la Trinité (Dieu est une Nature en trois Personnes, le Père, le Fils et le Saint Esprit)
- l'Incarnation (le Christ est à la fois homme et Dieu)
- la Rédemption (la relation perdue lors du péché originel a été rétablie par le Christ)» (p. 11)

Et plus loin:
- «Le baptême qui nous rend fils de Dieu... » (p 14)
- «... et l'Assomption de la Vierge Marie (15 août, montée au Ciel, corps et âme, de la très sainte Vierge Marie).» (p. 14)

Nous attendions d'une libre pensée qui recommande de « cesser de nier leurs existences mutuelles » qu'elle reconnaisse et mentionne le large courant catholique selon lequel c'était « une vision de la foi dans une certaine culture ».

Nous attendions d'une libre pensée qui veut « jeter un pont entre... foi et raison », qu'elle évite de présenter le catholicisme dans des formules désuètes qui ne peuvent que creuser le fossé entre foi et raison.

Nous nous réjouissons d'une foi qui exprime son amour pour la mère de Jésus en l'associant à la gloire de son fils dans cette belle image de la montée au Ciel que saint Luc avait utilisée pour Jésus (Ac 1, 6-11) en l'empruntant d'ailleurs à l'auteur du second livre des Rois qui l'avait utilisée pour le Prophète Elie (2 Rois, 2).

Nous nous réjouissons d'une foi qui pense que Dieu est le Père de tous les humains, avec ou sans baptême, lui «qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et les injustes» (Mt 5, 45). Mais nous partageons aussi la pensée libre de saint Paul qui affirme que « tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu » (Rm 8, 14).

Nous nous réjouissons d'une foi dont la vitalité trouve à chaque époque et pour chaque culture de nouvelles expressions pour dire que cet homme de Nazareth, Jésus, est formidable, au point de nous faire vibrer d'un Esprit qui nous laisse pressentir ce qu'est Dieu.

Ç a, c'est un visage du christianisme pour 2004! Les auteurs du « Guide pratique des religions et des convictions » n'auraient-ils pas trouvé un esprit assez libre pour en témoigner? Mais peut-être y a-t-il un problème d'une certaine neutralité qui n'aime pas les «signes ostensibles» d'une conviction enthousiaste. Cette neutralité-là ne semble pas encore connaître la liberté de pensée.

Ayant appris qu'une deuxième édition serait en préparation, nous espérons qu'un vent de liberté y soufflera.

André Verheyen, abbé
Cet article est paru dans La Libre Belgique le 14/09/2004