LIBRE PENSÉE CHRÉTIENNE
   janvier 2003

Libre pensée rime avec évangile
 


Il n'est pas besoin de développer longuement la remarquable liberté de pensée et d'action de Jésus par rapport aux dogmes et aux autorités de son époque. Nous rappellerons seulement deux épisodes.

Dans la synagogue de Nazareth, Jésus déclare : « Il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays; pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles qu'Elie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta. Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du Prophète Elisée; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naaman le Syrien ». L'Evangile ajoute que « tous furent remplis de colère, dans la synagogue, en entendant ces paroles » et qu'ils voulurent le tuer.

Dans la même optique, on connaît la fameuse conversation de Jésus avec la Samaritaine, près du puits de Jacob. Jésus dit : « Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père... Mais l'heure vient - et maintenant elle est là - où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité.» (Jean 4,21)

Jésus et l'Evangile ne sont pas un obstacle à la liberté de pensée, bien au contraire. La difficulté se situe chez les responsables des responsables des institutions religieuses et elle est double. La première consiste dans la conception des vérités révélées et la seconde dans la conception qu'ont les responsables religieuses de leur autorité quant à la transmission de ces vérités.

Il est clair que la libre pensée se heurte souvent à un manque flagrant d'esprit critique chez les responsables religieux qui affirment l'autorité divine de leurs textes de référence et qui en font dès lors une relecture littérale ou fondamentaliste. Pour ne prendre que l'exemple de la Bible ou du Coran, combien de responsables n'ignorent-ils pas - ou pire, ne refusent-ils pas de savoir - le rôle de ceux qui ont composé, transmis, transcrit, adapté, modifié les textes de référence! Ce qui les empêche évidemment d'en avoir une exégèse et une compréhension crédibles.

Quant à la compréhension que des responsables intégristes ou conservateurs ont de leur autorité, elle tient dans une argumentation aussi simpliste: le message `révélé par Dieu´ et que nous possédons est vital et indispensable pour la salut de l'humanité; nous devons donc le répandre le plus possible et ne pas tolérer d'altération ni de contradiction. Une libre pensée chrétienne s'efforcera donc de découvrir les composantes humaines du Message, qui n'enlèvent d'ailleurs rien à sa valeur, bien au contraire.

Il y a un autre aspect du problème qu'il est intéressant d'évoquer. En effet, on comprend que si on a une conception trop étriquée de la pensée ou de la raison, c'est paradoxalement chez des libres penseurs que l'on se sentira à l'étroit en ce qui concerne la libre perception du réel. C'est pourquoi l'un de nos objectifs est de valoriser ces facultés de perception et de discernement, qui dépassent la pensée ou la raison.

Dans le dernier livre du prix Nobel Christian de Duve, À l'écoute du vivant (Ed. Odile Jacobs) nous lisons notamment : "À côté de la science, j'ai aussi vibré dans d'autres registres, en résonance avec des poètes, des écrivains, des artistes et des musiciens qui m'ont ému par leurs oeuvres et leurs interprétations. Exceptionnellement, je me suis senti proche de quelque chose d'ineffable, totalement mystérieux, mais réel, du moins pour moi, une entité qu'à défaut d'un meilleur terme, j'appelle l'ultime réalité". Il ne faut nullement trahir l'Evangile pour se sentir en communion avec un esprit aussi libre que Christian de Duve, à condition de savoir ce que le genre littéraire biblique suppose comme images de Dieu et comme récits miraculeux. C'est pourquoi un autre de nos objectifs est de propager une exégèse actualisée qui tienne compte des caractéristiques du genre littéraire et de la culture de nos textes de référence.

L'objection que nous avons plus d'une fois entendue de la part des "durs" du libre-examen de l'ULB est celle-ci : "Vous devez au moins reconnaître que vous n'êtes pas représentatifs de l'Eglise catholique." Et lorsque nous leur répondons que nous voulons être représentatifs de la pensée et du projet de Jésus de Nazareth, ils nous disent que nous devrions avoir le courage de quitter une institution avec laquelle nous avons des divergences de vue aussi profondes. Nous pensons que nous devons avoir le courage de rester dans notre Eglise et qu'il y a probablement moins de chance de la voir évoluer en la combattant de l'extérieur qu'en exprimant une pensée et une parole libres à l'intérieur.

André Hannaert et André Verheyen

Une autre mouture de cet article est paru dans La Libre Belgique du 13/01/2003 sous le titre Libre pensée avec évangile.