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 Dialogue


    Pierre Le Fort

 

 

 

   


Noël, le mal-aimé ?

 

 

Un jour, je voudrais mener une enquête auprès des prêtres et pasteurs en charge de paroisse et leur demander : Aimez-vous célébrer Noël ? Et puis, au vu de leurs réponses, m'interroger moi-même sur l’état d'esprit qui permet à l'un de vivre cette fête dans la joie et plonge l'autre dans un abîme d'insatisfaction.

Mais déjà, sans attendre ces confidences, je me propose de faire entendre une double plainte. Sachez cependant que je suis surtout à l’écoute de mes contemporains ; il faudrait que les jeunes donnent aussi leur point de vue.

Voici d'abord la doléances d'un célébrant chrétien.

- “ Noël a perdu tout son sens. D'une fête religieuse les gens ont fait une kermesse. Pis, un commerce. Le dieu qui est réellement adore en ces festivités, c'est Mammon.On devrait peut-être se réjouir de voir une fête chrétienne promue à une telle publicité et que l'histoire de l'enfant Jésus dans la crèche soit popularisée dans tous les milieux. En ces temps de déchristianisation, n'est-ce pas très positif ?
Justement non. Cela arrive à cause d'un profond malentendu. On n'a conserve que la légende folklorique et un prétexte à festoyer. Il n'y a plus rien de l’Évangile dans ces décors de théâtre et ces amoncellements de friandises. Si Jésus revenait à notre époque se promener dans les rues de nos villes, il serait hors de lui.

Donc un constat indigné : matérialisme, superficialité, détournement de fête chrétienne.

Mais notre homme poursuit sa plainte. Écoutons-le jusqu'au bout.

- “ À l’église aussi, je me sens mal à l'aise. Dès qu'approche Noël, le décor prend le pas sur le message. On sort les guirlandes, et même dans ce que je dis je me sens perdre mon authenticité. Je n'oserais plus proclamer le salut en Christ mort et ressuscité, car à Noël tout le monde est censé avoir le coeur pur, les crapules se muent en braves gens, les malheurs et les fautes des hommes sont effacés par un coup de baguette magique. Du moins dans les histoires sentimentales qu'on débite au pied de l'arbre. Vertu facile, morale d'illusion pour un soir de fête.

Ici je me permets d'interrompre cette avalanche de regrets pour poser à mon interlocuteur découragé mes propres questions. Le monologue devient interview.
- “Les récits bibliques de la nativité ne sont-ils pas aussi un peu porteurs de rêve, tout au moins de poésie ?”

Sa réponse :
- “ Franchement, j'aurais préféré que ces histoires ne figurent pas dans la Bible. Les anges musiciens, les bergers qui se prosternent devant un bébé, les mages et l'étoile qui se promène au-dessus de leurs têtes, voilà des personnages de légende qui ne me disent rien.
Mais il est vrai que ces récits contiennent une puissante charge affective quand on les a entendus depuis l'enfance dans l'émerveillement d'une fête colorée. Chacun, en les réentendant adulte, y réagit selon le rapport positif ou négatif qu'il entretient avec son enfance.

Dernière question :
- “L'inexactitude de la date du 25 décembre, ou plutôt son caractère fictif, vous gêne-t-elle aussi ?”

- “ Je ne suis pas à cheval sur la réalité historique. Que le 25 décembre soit une date symbolique n'a pas d'importance. J'aimerais pourtant savoir si le choix de la fête païenne du Soleil invaincu pour célébrer la naissance de notre Sauveur ne crée pas une confusion regrettable.

Restons-en là pour l'instant. Car un nouveau personnage intervient. Il nous arrive du fond des siècles, et notre entretien, surtout vers la fin, a touché chez lui une corde sensible. Lui aussi a organisé des fêtes du 25 décembre et fonctionné comme célébrant. C'était à Rome au quatrième siècle. Quand l'hiver donnait ses premiers signes de fatigue et permettait d'espérer la victoire du printemps, ce prêtre conduisait les foules dans l'invocation au Soleil invaincu.

- “Cela ne m'étonne pas, grogne-t-il, que la violence dont nous avons été victimes se répercute jusque dans votre lointain vingtième siècle.
Nos fêtes donnaient expression à un besoin normal et légitime, l'aspiration humaine vers la lumière. L'empereur Constantin a voulu les abolir, il n'a réussi qu'à les recouvrir d'un vernis de christianisme. Ne soyez donc pas surpris si les infiltrations de ce que vous appelez le paganisme perturbent toujours vos réunions autour l'enfant Jésus. C'est un juste retour des choses.”

Cette entrée en matière est plutôt brutale. Il faut qu'on s'explique posément. Je demande donc ce que notre interlocuteur entend par un acte de violence.

- “Nos fêtes ne causaient de tort à personne. Mais la religion chrétienne est totalitaire, elle ne supporte pas ce qu'elle ne domine pas. Incapable d'éradiquer la ferveur de nos célébrations, Constantin les a récupérées en plaquant artificiellement sur notre date du 25 décembre le mythe de l'Enfant-Dieu.
Vous pratiquez toujours ainsi : la répression ou l'asservissement. Mais la réalité reprend le dessus et se venge. Voyez l'histoire et l'actualité. L'ésotérisme antique et oriental, traqué par les Pères de l’Église, resurgit maintenant dans le "Nouvel Age". La mentalité magique qui vous fait si peur ne se laisse pas évacuer, elle imprègne en fait vos fidèles, malgré tous les démentis de la doctrine officielle, dès qu'ils s'approchent des sacrements. Les traditions africaines renaissent dans ce continent que vos missionnaires avaient commencé à stériliser.”

Voilà des propos qui font mal. Ils frisent l'insulte.
J'adresse à l'homme une dernière série de questions auxquelles il ne répondra pas, les prenant - à juste titre - pour des critiques.

-"Êtes-vous sûr que vos fêtes solaires répondaient seulement aux besoins des gens ? que personne n'y était soumis à une violence quelconque, à une pression de la foule, à votre pouvoir de gourou, qu'il n'y avait pas un personnage important pour manipuler cet enthousiasme ? N'avez-vous jamais vu que les adorateurs des éléments naturels peuvent devenir leurs jouets, leurs esclaves jusqu'à l'aliénation ?"

Fin des entretiens.

Je partage maintenant avec vous quelques réflexions et questions soulevées par ces témoignages.

-D'abord, s'il y a des fêtes, c'est pour que les gens y trouvent de la joie. A partir du moment ou on les subit négativement, il faut s'interroger et changer quelques chose.

-Nous suivrons sans doute le célébrant chrétien dans sa dénonciation de la dérive matérialiste. Une saine réaction se manifeste d'ailleurs chez tous ceux qui font de Noël la fête du partage et de la générosité.

-Au prêtre du Soleil il faut conseiller la lecture du dernier ouvrage d'Oscar Cullmann, "La nativité et l'arbre de Noël" (Cerf 1993). Car il charge Constantin plus que de raison.

La violence exercée par l'empereur a consisté à imposer la nouvelle date du 25 décembre aux chrétiens d'Orient et à en faire un jour férié officiel, obligatoire donc pour toute la population. Mais déjà avant lui l’Église avait colonisé les fêtes païennes de la lumière pour y célébrer, aux mêmes dates, la manifestation du Fils de Dieu. Sans doute espérait-elle ainsi marquer sa victoire sur le paganisme. Mais on sait (voir notamment l'article de Jean Lenfant dans Vivre Hiver 1994) que cette religiosité perdure à travers les siècles.

- Sommes-nous conquérants au lieu d'être fraternels?
Les reproches du prêtre solaire posent une question que je ne voudrais pas écarter d'un geste de la main. C'est vrai que le christianisme est rarement parvenu à laisser vivre en paix des institutions des rites ou des pratiques qui échappent et veulent échapper à son influence. Difficulté pour nous d'admettre que les gens peuvent être heureux, moraux, et réussir leur vie en dehors du christianisme.

-Le prêtre solaire s'indignait de la main mise des chrétiens sur les célébrations dont il était responsable. Concurrence déloyale, annexion malhonnête, accuse-t-il.

Laissons les qualificatifs. C'est pourtant bien cela qui s'est produit. Alors est-ce que nous allons maintenant nous fâcher parce que les incroyants nous piquent notre fête de Noël? Ils y trouvent, sans croire en l'incarnation du Fils de Dieu, l'occasion de se réjouir dans des valeurs qui les font vivre, les liens familiaux, l'amitié, l'émotion du temps qui s'écoule, la perspective du renouveau. Ou simplement une réjouissance au creux le plus noir de l'hiver.

-Revenons enfin à nos églises et à nos temples. On a donc vu qu'à Noël des animateurs d'assemblées se sentent mal à l'aise. Et les fidèles? Nous pourrions aussi enregistrer leurs doléances, notamment si un pasteur tient les raisonnements que nous venons d'entendre.

Je vois d'autant mieux ou le bât blesse que c'est mon propre portrait que j'ai dessiné là. Quand j'étais pasteur en activité, à l'époque de Noël je ne décolérais pas. Puis grâce à mes proches et avec le recul de l'expérience j'ai été gagné par une autre vision des choses.

Voici. Une vague théologique a déferlé autour des années 50 qui nous faisait rechercher l’Évangile le plus pur possible de toute contamination humaine. Nous pensions que la foi doit se débarrasser des éléments affectifs, poétiques, mythiques, merveilleux, etc. Comme si le dogme n'était pas tout aussi humain!

Le prêtre solaire a prononcé un verbe écorchant : stériliser. C’est cela que nous faisions subir à la religion qui s'exprime à Noël. Peine perdue, heureusement. La vie nous rattrape et se venge. Mais j’ai désiré soulever le problème et je voudrais donner mes dernières conclusions.

Les mots religion et forteresse ne vont pas bien ensemble. Se prémunir contre les dangers extérieurs ne remplace pas et même empêche le renforcement des valeurs qu'on possède réellement. Il faut donc se réjouir plutôt que s'effrayer si nos célébrations de Noël sont riches de beaucoup d'émotions humaines et charrient les espoirs et les rêves qui hantent notre espèce depuis la nuit des temps.

Noël nous touche autrement et ailleurs que les fêtes axées sur la vie, la mort et la résurrection du Christ. Nous y sommes invités à réaliser le souhait que Jésus formulait pour ses disciples, qu'ils sachent retrouver leur enfance.

Pierre Le Fort  

 


             

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