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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

- Deux mots d’introduction

- Étonnements

- Parentés

 

 

   

 


À mes amis belges

 

 

Deux mots d’introduction

Il est habituel que deux pays voisins soient –sur plusieurs points- différents, voire opposés. C’est le cas des autrichiens ou Suisses germanophones parfois anti-allemands. C’est aussi le cas des belges francophones parfois anti-français. Ce n’est, certes, pas le cas de tous les belges. On voit même le contraire, non seulement à Liège mais aussi dans beaucoup de contrées de la Belgique wallonne.

Il faut d’ailleurs reconnaître que certaines habitudes langagières « françaises » sont difficilement supportables. En même temps, il importe de relativiser cette apparente dérision. Il en est des « blagues belges » comme des blagues suisses, corses, écossaises, auvergnates etc… D’ailleurs, ces plaisanteries ne sont guère connues hors de la région parisienne.

Au surplus, chaque région a son humour particulier et l’humour belge peut être drôle sans être moqueur. On ne peut en dire autant d’un certain humour parisien. Mais ce point n’est pas important.

En tout état de cause, qu’il soit permis à un français dont une grande partie de la vie se déroule en Belgique, d’exprimer –sur le plan politique- un étonnement. Nulle critique, donc, dans les lignes qui suivent : seulement un étonnement toujours renouvelé.

Après tout, nous sommes tous des européens. Les réflexes « nationaux » de jadis sont appelés à être remplacés par une liberté de ton qui sied à tous les démocrates de notre Europe.

En outre, similitude culturelle et linguistique signifie aussi parenté profonde, au-delà de clivages politiques –lesquels ont une histoire récente. Cette histoire n’est pas à sous-estimer, certes, mais elle n’est pas non non plus le dernier mot. De fait, les mots suivants de cette histoire seront écrits par nos descendants et par tous ceux qui (quelle que soit leur origine) composeront la société nouvelle.

Il est clair que la société qui se construit, peu à peu, n’est pas celle de nos parents. Et l’Europe qui se met en place n’est peut-être pas le projet qu’ils avaient formé pour leurs enfants. Mais ce vaste sujet n’est pas abordé dans les lignes qui suivent.

Étonnements  

Nombreux sont ces étonnements. Laissons ce qui relève d’habitudes langagières et de pensées habituelles : chacun a les siennes, ici comme là. Toutes les éducations supposent des « vérités » apprises dès l’enfance. Tenons-nous en ici au domaine politique.

J’ai entendu plusieurs fois défendre le vote obligatoire comme une obligation nécessaire parce que démocratique. Je pense le contraire. Ce vote obligatoire est certainement bon pour les partis (à la recherche de clientèle électorale), mais non toujours pour le pays.

D’ailleurs, les pays voisins ne sont-ils pas des démocraties ? Pourtant, ils ne pratiquent pas cet usage. Seules, en Europe, la Belgique et la Grèce connaissent une telle obligation.Mais là n’est pas l’essentiel. Plutôt cette question : Est-il possible de revendiquer la démocratie sans faire droit aux voeux des populations ?

A-t-on demandé aux gens des Fourons à quelle province ils voulaient être rattachés ? A-t-on pensé que les habitants de la périphérie bruxelloise avaient leur mot à dire sur leur rattachement à une région dont beaucoup ne pratiquent pas la langue ? Et n’est-ce pas un tour de force que de parler de « minorités linguistiques », là où la grosse majorité est naturellement francophone . L’enfermement de Bruxelles dans les sacro-saintes « dix-neuf communes » relève du paradoxe.

Il me semble que ces « arrangements » (entre partis) ouvrent la porte à des incompréhensions dans le public. Incompréhensions devenues habituelles –sources d’indifférence aux discours politiques ? C’est là, en tout cas, qu’un vote obligatoire est bien utile…

Je me souviens d’un ami belge (jadis, un résistant émérite) qui souffrait de cette situation politique. Il avait passé toute son enfance et sa jeunesse à Bruxelles. Mais malgré son attachement à la Belgique et à sa ville natale, il n’a jamais pu donner son avis Pourquoi ? Domicilié –sur le tard- dans la région de Namur, il n’était pas consulté sur le sort de Bruxelles –qui pourtant lui importait.

C’est un peu comme si –me disais-je- tel monument parisien était l’affaire des seuls parisiens. Ou tel monument bourguignon ou languedocien ne pouvait concerner un parisien. Transposons : Liège aux liégeois ; Anvers aux anversois…..

Il appartient donc à un gouvernement fédéral d’exprimer l’unité d’un pays morcelé en principautés jalouses de leurs particularismes. Bien, mais : où donc est l’unité d’un tel pays ? Quand pense-t-on « belge » en premier lieu ? Bien sûr, cela arrive –au plan individuel- mais –me semble-t-il- rarement au niveau des élites dirigeantes.

Ainsi beaucoup de belges ne sont guère amenés à se prononcer sur la Belgique –sauf si, d’aventure, tel parti politique met en avant cette préoccupation. Ou encore lorsque qu’une émission de télévision met en scène un bouleversement étatique majeur. Par parenthèse, le fait qu’un large public ait cru à cette fiction médiatique : cela montre assez la crédibilité de cet événement aujourd’hui fictif.
En fait, depuis des années, l’étranger que je suis assiste à la montée d’une nation flamande sûre d’elle-même. A l’inverse, rares sont les signes d’une nation wallone ! Entre les deux, Bruxelles voudrait oublier qu’elle est à la fois francophone et capitale de la Flandre.

Autre étonnement : que les nouveaux riches rechignent à « payer pour les pauvres » (wallons). Certes, beaucoup de pays connaissent une région riche et une région moins riche. Habituellement, les uns payent pour les autres. Ainsi fait-on dans toutes les familles.

Le fait de trouver anormal d’aider telle région sans donner aussi des « compensations » à une région qui en a moins besoin : cela est –pour moi- une idée choquante. Transposons encore : La région parisienne est beaucoup plus riche que d’autres régions françaises. Mais si riches et pauvres forment la même famille, il semble exclu d’avoir à « compenser » une aide quelconque.

Dans l’ancienne Tchécoslovaquie, Prague était plus riche que Bratislava. Le pays a éclaté et l’on a pas manqué de prédire que seule la partie la plus riche avait un avenir. La prédiction s’est avérée fausse. Certes, la Tchéquie est encore plus riche que la Slovaquie. Mais cette dernière –contrainte de prendre son destin en main- fait des progrès remarquables.

Il est vrai qu’entre la Tchéquie et la Slovaquie, il n’y avait pas de région mixte. Il n’existait pas de Bruxelles tchécoslovaque –ce qui simplifiait les choses.

J’ai connu le temps où les francophones consentaient bien des sacrifices, afin de sauver une Belgique unitaire –non fédérale. Puis est venu le temps du fédéralisme. Viendra, sans doute, demain, un confédéralisme… qui sera, peut-être, plus une séparation déguisée qu’une « confédération » à la manière suisse. Les affirmations contraires et les dénégations solennelles ne sont convaincantes que pour les convaincus. Elles n’ont, d’ailleurs, qu’un temps –celui des élections ?

Parentés  

Ces propos peuvent sembler extérieurs et –pour ainsi dire- superficiels. Il est vrai que chacun voit midi à son balcon. Et l’on ne voit, habituellement, que ce qu’on a appris à voir.

Pourtant, les ressemblances sont nombreuses entre France (surtout du Nord) et Belgique (surtout du Sud). Des ressemblances qui sont –malgré l’histoire- des similitudes pour moi, évidentes.

De fait, tout français pourrait dire que, dans plusieurs domaines de la civilisation française, la part belge est considérable. Rappelons le Verhaeren des anthologies poétiques françaises, Hergé le créateur de Tintin, Simenon le créateur de Maigret, le fabuleux poéte Henri Michaud (naturalisé français, sur le tard, mais né à Namur), Jacques Brel –un des maîtres de la chanson française, Folon, Devos et beaucoup d’autres … connus ou méconnus. La liste serait longue ! En fait, la Belgique n’est petite que sur la carte de géographie !

Mais toutes les sociétés humaines connaissent aussi leurs particularités –liées à l’histoire- et, naturellement, leurs pesanteurs. Pourquoi –me disais-je- la deuxième religion de ce pays n’a-t-elle pas accès à la télévision ?
Car tel est le cas de l’Islam. Religion, certes, reconnue et subsidiée (comme le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme) mais, à la différence des autres religions, sans accès à la télévision. N’est-ce pas étonnant ?

Souvent, ici ou là, l’opinion d’un étranger n’a guère de poids et peut même être mal perçue. C’est pourquoi ces lignes s’adressent « à mes amis belges », lesquels connaissent mon attachement à ce pays.

Pour autant, mes étonnements sont marqués par une culture politique un peu différente. Mais l’Europe sera marquée par une grande diversité de cultures politiques. Dans ce cadre, les différences ne sont pas des divisions. Par contre, les rapprochements sont, à terme, inévitables. Nos identités –loin de nous enfermer dans le passé- sont devant nous. Saurons-nous en trouver les formes ?

Jacques Chopineau. Genappe le 18 janvier 2007