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 Les chroniques



    Jacques Herman

 

 

 

   

 


Fuir et espérer

 

 

Je suis très fatigué. Stressé.

J’éprouve le besoin de me ressourcer. Un séjour à la campagne me ferait le plus grand bien. Tiens, voilà précisément un encart publicitaire qui me suggère deux semaines de vie à la ferme. Je vais traire des vaches, fabriquer du fromage de chèvre, manger plus sainement, vivre enfin au rythme des gallinacés. A moins que la nécessité de recharger mes batteries ne m’incite à une retraite dans un monastère tibétain. Ridicule, direz-vous si je ne suis pas plus bouddhiste que le pape n’est libertaire. Soit. Alors, pourquoi ne pas me décider à m’inscrire à ce séjour sportif (un peu de graisse fondue allège aussi l’esprit, par mimétisme en quelque sorte) ? Cette croisière dans les mers australes me tente aussi, ainsi que cette traversée du Sahara avec un seul dollar en poche. Je pourrais même, comme me le conseille un ami qui ne me veut sans doute pas que du bien, consacrer quelques jours d’été à l’étude de la patristique en compagnie de vieux moines dominicains. À moins que je ne choisisse de m’évader in situ dans l’apprentissage d’une langue exotique africaine ? J’avoue n’avoir que l’embarras du choix. Jusqu’à la cure de sommeil, si réparatrice à ce que l’on rapporte mais qui, selon des avis compétents, se révèle parfois douloureuse au réveil. Quelle palette de solutions s’offre aujourd’hui à mon appétit d’évasion, de changement, de reconstruction de ma personnalité ! Quelle diversité de moyens à l’horizon de mon quotidien ! Je veux me ressourcer ! J’en ai les moyens !

En fait, ce que je souhaite, se résume en deux mots : fuir et espérer.

Fuir le monde dans lequel je vis, fuir ces gens qui me cassent les pieds, fuir ces objets qui me tuent à petit feu : cette télévision qui distille des niaiseries, ce téléphone qui me crispe au point qu’il serait dangereux pour Graham Bell de me croiser dans l’au-delà, cette radio qui se complait dans l’annonce de mauvaises nouvelles.

Fuir l’hypocrisie du monde, l’hyposensibilité de mes congénères et l’arrogance des ignorants.

Fuir l’horreur des champs de bataille et des mouroirs. Fuir comme la peste les dictatures intellectuelles, religieuses, culturelles et politiques.

Fuir et espérer.

Espérer découvrir l’innocence originelle, la bonté naturelle des bipèdes humains que les vertes campagnes, les murs du couvent, la forêt tropicale, auraient préservées des misères qui résultent de la sophistication outrancière de la civilisation occidentale.

Espérer rencontrer un monde meilleur, plus simple, comme épuré, qui sentirait la fraîcheur d’un matin de printemps et chanterait un hymne à la fraternité.

Espérer se débarrasser des scories qui se sont accumulées en moi et autour de moi. Prendre des douches de bon sens et des bains de sérénité.

Fuir et espérer. Peut-être même ne rien trouver qui ne soit extraordinaire. Mais acquérir à travers la quête elle-même la certitude que la chose espérée vaut bien davantage que la chose détenue. Un peu comme la lumière de Compostelle à la jonction du feu solaire et de l’océan récompense à peu de frais le pèlerin persévérant.

Me ressourcer, ce n’est pas écarquiller les yeux pour voir mieux. C’est au contraire les fermer légèrement jusqu’à ce que la lumière, flamme de bougie, étoile ou lampadaire, épouse la forme d’une croix.

Le ressourcement, c’est la volonté d’une renaissance à soi-même. La quête d’une parcelle de lumière que l’on peu croire perdue, et qu’on finit par retrouver souvent plus près de soi qu’on ne se l’imaginait.

Jacques Herman, le 18 mars 2006

Jacques Herman vient de publier au éditions Guy Bouliane un ouvrage de poésie : Les Gerfauts