-->

 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

 

 

   


Genèse.
Le mystère des premiers versets de la Bible…

 

 

1. Introduction : le livre de la Genèse dans l'ensemble biblique

Les lignes qui suivent n’ont pas de but apologétique. Il est temps de lire la Bible hors de toute approche confessionnelle ou dogmatique. Mais une approche purement philologique ou historique serait également bornée. L’exégèse historico-critique remplace souvent le texte par l’histoire du texte –voire l’histoire de la formation (réelle ou supposée) du texte. C’est ce que Péguy appelait : La méthode de la grande ceinture par laquelle on vise à savoir tout sur ce qui est autour du texte, mais peu ou rien sur le texte lui-même.

Textes « religieux » ou non, l’important est dans la lecture et dans le plaisir qu’elle donne. C’est le lecteur qui est situé historiquement, non le texte dont l’auteur est mort depuis longtemps. Sans plaisir actuel, il n’y a ni lecture ni lecteur. De quel texte parle-t-on alors ? Il y a du plaisir à lire la Bible et le plaisir passe parfois loin des sentiers battus.

La Bible n’est pas un livre. C’est une bibliothèque… La bibliothèque d’un peuple qui a choisi de réunir ces livres-là et non d’autres, et de conserver, puis de transmettre cette collection  formée de trois grands ensembles :

1 - Le Pentateuque (les 5 « livres de Moïse », ou la Thora)
2 - Les Prophètes -« premiers prophètes » (ces livres que nous appelons « historiques ») et « derniers prophètes », c’est à dire les « Trois grands » et les « 12 petits prophètes ».
3 - Les Ecrits « saints » ou agiographes.

Mais l’ordre de nos traduction suit souvent l’ordre des Bibles grecques et latines. De là, une disposition différente des livres. Ainsi, nous plaçons Daniel au nombre des grands prophètes, lesquels sont alors quatre et non plus trois. Le genre littéraire de Daniel (apocalypse) est cependant tout différent …..

Dès lors, pourquoi ce nom : « la » Bible ? Le latin Biblia procède du grec ta biblia (= les livres). C’était un pluriel neutre : « Les livres » (saints). Mais Biblia a été compris comme un féminin singulier. De là, dans la plupart des langues européennes : La Bible, die Bibel, la Biblia etc…

C’est par un tel avatar lexical que la Bible est couramment tenue pour un livre. En fait, il s’agit d’un rassemblement d’écrits de genres littéraires différents et d’époques différentes. Le tout a été réuni à une époque tardive, après des siècles de transmission orale et de compilations d’âges différents.  La langue a également évolué au cours des siècles, mais la langue de traduction porte la marque d’une seule époque : celle qui l’a vu naître.

Le livre de la Genèse -le premier livre du Pentateuque- ne fait pas exception. Essentiellement narratif dans la forme, il se construit en 12 sections narratives (ce découpage traditionnel en 12 sections est plus conforme au contenu du livre que les 50 chapitres de nos traductions).

Les deux premières de ces sections n’ont rien d’historique au sens moderne. Il s’agit d’une réflexion profonde sur l’homme et le monde de l’homme. Les sages qui ont mis ces tex.tes en forme ont utilisé, de façon originale, des traditions diverses -parfois fort anciennes. 

C’est formellement cette première partie que l’on nomme : «Les origines », ou « l’histoire  des origines », c’est à dire l’ensemble formé des onze premiers chapitres du livre (2 « sections » dans le découpage traditionnel : la section du Commencement et la section de Noé).

Remarquons que le mot « histoire » ne désigne pas l’histoire des historiens. Rien ici n’est chronologique, même si la disposition de l’ensemble des récits résulte d’une mise en forme narrative.

En fait, une histoire (ou plutôt « des » histoires) ne commence(ent) qu’au chapitre 12 (Section : « Va-pour-toi ») avec les récits sur Abraham et les autres patriarches. Des récits très organisés et rédigés à la lumière d’une longue « histoire » -celle d’un peuple.

Ainsi, le récit du déluge trouve un modèle antérieur dans la fameuse « épopée de Gilgamesh ». Une source utilisée en conformité avec l’axiomatique religieuse (monothéiste) de l’ancien Israël. Par contre, le récit du jardin (Genèse 3) n’a pas de parallèle connu. La succession : création du monde/ création de l’homme/ Jardin/ meurtre d’Abel/ Généalogie/ Déluge/ Récit de la ville et de la tour est une mise en forme qui répond à une intention. Les scribes metteurs en forme sont des sages. Leurs méthodes doivent être apprises par les modernes (non toujours sages !) que nous sommes. De fait, tous ces textes comportent des matériaux de diverses époques, mais relèvent d’un plan global original. qui procède d’une réflexion sur l’homme. C’est aujourd’hui que l’homme sexué, au sein d’un monde de violences, voit tout retour à un « jardin » impossible. C’est aujourd’hui qu’il doit travailler durement. Aujourd’hui que toute « langue commune » est perdue…..  

Chacun de ces textes contient un enseignement sur l’homme de tous les temps. Remarquons qu’il jamais question, dans ce début, d’Israël : il s’agit de tout homme qui est ici fils d’Adam et de Caïn, mais aussi -comme le notera plus tard l’évangile de Luc- fils de Dieu (Luc 3,38). Violences et meurtres parsèment l’histoire de cet Adam (= « genre humain »), mais aussi, toujours, une évolution possible par laquelle cet homme-fils-d’homme pourra s’ouvrir à une réalité différente. Aux religions d’en montrer le chemin -ce qu’elles n’ont pas toujours fait !

Le premier de ces récits (celui de la création du monde) est relativement tardif dans la forme actuelle. Plus récent, en tout cas, que le récit qui lui fait suite (celui de la création de l’homme). Cependant, l’organisation de ce récit introductif à l’ensemble de la Bible est construit très rigoureusement. Tous les éléments de ce texte sont l’objet d’une organisation minutieuse. Tout ici est pesé et compté : expressions, lettres et mots. Tout est figuré et symbolique.

Jacques Chopineau, Genappe le 10 juin 2003