CORRESPONDANCE UNITARIENNE    octobre 2003

Franc-maçonnerie et unitarisme

Actualités
unitariennes


n° 24

“ Si les religions peuvent être utilisées pour alimenter le feu de la guerre,
elles peuvent aussi, et c’est leur vocation, devenir l’eau qui éteint le feu en profondeur ”

Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté San’t Egidio
aux journées Hommes et religions d’Aix-la-Chapelle (Allemagne) du 7 au 9 septembre 2003

Le thème récurrent des rapports entre la franc-maçonnerie et le christianisme a déjà fait l’objet d’innombrables études, sous les plumes les plus autorisées. La position de l’Église de Rome n’a guère évolué depuis 1738. Le protestantisme quant à lui n’a jamais eu de relations conflictuelles avec la maçonnerie et, aujourd’hui encore, de nombreux protestants – et même des pasteurs – sont francs-maçons. Mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici.

Le mouvement unitarien, à l’échelle planétaire, est aussi multiple que l’est l’Ordre maçonnique, fait de chapelles souvent discordantes, d’ambitions personnelles, de scissions, de volontés à peine avouées de se démarquer des autres par le sentiment que l’on a de posséder la vérité, etc. Je ne citerai comme exemple que les différends entre unitarisme chrétien et unitarisme universaliste ! La seule nuance – mais elle est de taille – est que, dans le mouvement unitarien, nul ne prétend imposer sa vérité aux autres, au nom d’une sacro-sainte régularité qui n’est en fait qu’un triste ersatz de l’excommunication romaine.

Il n’y a pas de réponse globale à la question de savoir comment l’unitarisme est perçu par la franc-maçonnerie française. On sait que, parmi les principales obédiences, l’une est dite dogmatique (la Grande loge nationale française, GLNF) ; d’autres libérales (La Grande loge de France, GLF, et la Grande loge traditionnelle et symbolique, GLTS) ; d’autres enfin qui, en 1877, avaient suivi le Grand Orient de France dans sa décision de supprimer toute référence à un principe supérieur, se déclarent adogmatiques - tout en affichant en réalité un athéisme bon teint.

Mais au-delà des obédiences, il y a les Rites, et c’est là qu’interviendra l’acceptation ou le rejet de l’unitarisme. Dans notre pays, seul le Rite écossais rectifié se dit chrétien. Il est principalement pratiqué à la GLNF et à la GLTS. Voici par exemple les prières dites à l’ouverture des travaux :

Grand Architecte de l’Univers, Être éternel et infini, qui es la bonté, la justice et la vérité même, ô Toi qui, par ta parole toute puissante et invincible, as donné l’être à tout ce qui existe, reçois l’hommage que les Frères réunis ici en Ta présence, t’offrent pour eux-mêmes et pour tous les autres hommes. Bénis et dirige toi-même les travaux de l’Ordre et les nôtres en particulier. Daigne accorder à notre zèle un succès heureux, afin que le Temple que nous avons entrepris d’élever pour Ta gloire, étant fondé sur la Sagesse, décoré par la Beauté et soutenu par la Force qui viennent de Toi, soit un séjour de paix et d’union fraternelle, un asile pour la vertu, un rempart impénétrable au vice, et le sanctuaire de la Vérité ; enfin pour que nous puissions tous y trouver le vrai bonheur, dont Tu es l’unique source, comme Tu en es le terme à jamais.

La prière de clôture est rédigée en ces termes :

Architecte suprême de l’Univers, source unique de tout bien et de toute perfection, ô Toi qui as toujours voulu et opéré pour le bonheur de l’homme et de toutes tes créatures, nous te rendons grâce de tes bienfaits paternels et nous te conjurons tous ensemble de nous les accorder suivant tes desseins sur nous et selon nos propres besoins. Répands sur nous et sur tous nos Frères ta céleste lumière ; fortifie dans nos cœurs l’amour de nos devoirs, afin que nous les observions fidèlement. Puissent nos assemblées être toujours affermies dans leur union par le désir de Te plaire et de nous rendre utiles à nos semblables. Qu’elles soient à jamais le séjour de la paix et de la vertu, et que la chaîne d’une amitié parfaite et fraternelle soit désormais si forte entre nous que rien ne puisse jamais l’altérer.

S’agit-il de prières ? Nous pensons plutôt à des invocations dont il ne serait pas inintéressant d’analyser, en d’autres lieux et temps, la portée théologique. Mais le fait demeure : le Rite écossais rectifié se réfère clairement à un Grand Architecte – volonté cosmique - dont l’essence dépasse de loin la notion imprécise en vigueur dans les autres Rites. On n’est pas loin de la déification du Grand Architecte, conception qui ne pouvait qu’être rejetée en bloc par les obédiences dites adogmatiques.

Au sein même du Rite écossais rectifié, les choses se compliquent dès que l’on quitte les trois premiers degrés d’Apprenti, Compagnon et Maître, pour accéder – via un 4ème degré intermédiaire – à l’Ordre intérieur qui englobe les degrés supérieurs du Rite. Exige-t-on un certificat de baptême pour y parvenir ? Un non chrétien peut-il y prétendre ? Jean Tourniac, dans son ouvrage bien connu Principes et problèmes spirituels du Rite Écossais Rectifié et de sa chevalerie templière (Dervy-Livres 1969), répond clairement par la négative en insistant sur le fait que ce n’est pas une question de racisme qui l’interdit, mais uniquement de différence de religion. Nous réalisons pleinement ce qu’une telle position peut avoir de révoltant, mais il faut rappeler que, pour certains, l’Ordre intérieur ne constitue pas un système de hauts grades maçonniques, mais une structure chevaleresque indépendante dont les pseudo origines templières ont fait couler beaucoup d’encre, de qualité souvent douteuse.

L’Ordre intérieur est-il, de nos jours, un bastion de l’intégrisme catholique ? La réponse est indéniablement positive pour certains Grands prieurés – instances administratives qui gouvernent ces degrés dits supérieurs -, plus délicate pour d’autres. Intégrisme, avons-nous dit ! Le mot peut apparaître blessant à certains qui préfèrent l’atténuer sous le vocable de stricte observance. Mais la stricte observance de quels principes ? Doit-on, pour accéder à l’Ordre intérieur, adhérer à la plus totale orthodoxie catholique romaine ? Les travaux s’y déroulent au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ! C’est dire qu’un chrétien unitarien, refusant le dogme de la Trinité qui n’a aucune base évangélique, ne saurait accéder à l’Ordre intérieur, sauf à renier sa foi ! On réalise ce qu’une telle discrimination peut avoir de choquant. Il semble évident que, se prétendant chrétiennes, les instances supérieures du Rite écossais rectifié - qui refusent les candidats de confession israélite ou ceux qui ont suivi un parcours personnel les éloignant de l’intangible ligne de conduite vaticane, comme les unitariens - sont à mille lieues des principes évangéliques qui commandent la tolérance et l’amour fraternel, sans égard à la race, à la religion ou à l’orientation théologique.

Dans les obédiences libérales, la règle d’or est de s’abstenir de tout échange de vues d’ordre politique ou religieux, et c’est très bien ainsi. A la seule exception – regrettable il faut l’admettre – citée ci-dessus, l’unitarien se sentira donc à l’aise dans la franc-maçonnerie libérale - puisqu’on y respecte la liberté de penser -, plus à l’étroit sans doute dans les obédiences qui se disent athées, bien que certains chrétiens unitariens en soient membres.

Jean-Marc van Hille, membre de l’Association unitarienne francophone

Jean-Marc van Hille a écrit sur les religions :
Charles-Henri d’Estaing, amiral de France et franc-maçon.
Editions Challenges d’Aujourd’hui, 1994 (épuisé). "Christianisme et franc-maçonnerie”, mensuel Evangile et Liberté, 1996. La foi d’un hérétique, petit essai sur la réhabilitation du rôle de la raison dans la recherche de Dieu, Editions du Prieuré, 1997 (épuisé). Les loges maçonniques à bord des pontons anglais sous le premier Empire, Préface de Daniel Ligou. Editions Le Phare de Misaine, 1999 (épuisé.). Petit catéchisme à l’usage des jeunes qui ne veulent plus être menés en bateau, Editions Le Phare de Misaine, 2002. Pages méconnues d’histoire maçonnique, Editions DERVY, 2002.  "Pauvres unitariens !”, Approches unitariennes, n° 53, printemps 2003, pp. 2-3.

et si vous vous intéressés par  la Marine, sachez que Jean-Marc est officier de marine R et passionné d’histoire :
LIVRES : Les Vanhille, dix générations de marins dunkerquois. Editions Le Phare de Misaine, 1983 (épuisé). Les Fils du Vent, chronique d’une famille de marins dunkerquois de la Révolution à nos jours, Editions le Phare de Misaine, 1992 (épuisé). Réédition M.D.Vrac, 1996. Le Grand Mandarin, histoire de Joseph Popieul, capitaine dunkerquois et néanmoins assez peu recommandable, roman. Editions Le Phare de Misaine, 1993 (épuisé). Réédition Challenges d’Aujourd’hui, 1994. Balthasar, ou les aventures d’un capitaine de vaisseau sous le règne de Louis XVI, Préface de Jean Randier, Editions Le Phare de Misaine, 1998 (épuisé). Les vicissitudes d’un marin provençal, le contre-amiral Jean-Gaspard Vence, 1747-1808, Préface de l’amiral François Caron, Editions du Service Historique de la Marine, 1999.  Le contre-amiral d’Albert de Rions (1728-1802), un baroudeur au Siècle des Lumières préface de Gérard de Colbert-Turgis, Editions Le Phare de Misaine, 1999. Le vice-amiral Platon, (1886-1944) ou les risques d’un mauvais choix, Préface d’Etienne Taillemite. Editions Pyrégraph, 2003.

          

COMMUNICATIONS ET ARTICLES PUBLIÉS : Le transport par navires semi-submersibles, Pétrole et Techniques, n° 318, août 1985. A forgotten branch : The Vanhilles of Louisiana, The Louisiana Genealogical Register, volume XLVIII n° 2, juin 2001. Un navigateur méconnu, Cosmas Indicopleustès, négociant-armateur à Alexandrie au VI° siècle, Chronique d’Histoire Maritime, n° 39, 1999. Un marin hors du commun, le commodore John Paul Jones, père de la marine américaine, Chronique d’Histoire Maritime, n° 43, juin 2001. Un contre-héros de l’Indépendance américaine, le major Benedict Arnold, Chronique d’Histoire Maritime, n° 45, décembre 2001. Les débuts de la marine américaine, Chronique d’Histoire Maritime, n° 50, mars 2003.
TEXTES INÉDITS : Notes pour servir à la généalogie des Van Hille, branche de Dunkerque, Ghyvelde, Zuydcoote, 1981. Un rameau oublié : les Van Hille de Louisiane, 1998
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