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 Dialogue


    Jacques Chopineau

 

- Une Europe musulmane

- Un passage difficile

- Une cause de malentendu

- Une Europe complice

- La révolte face à l'injustice

 

 

   


Une démocratie à reconstruire

 

 

Une Europe musulmane

Au plan religieux (comme au plan de la culture en général), une nouvelle époque européenne s’ouvre : une Europe musulmane. Non pas un Islam
« importé », mais un Islam ordinaire dans une Europe démocratique dont une partie importante de la population sera naturellement musulmane. Il importe que notre société prenne en compte cette réalité. Ce qu’elle fait aujourd’hui lentement et difficilement –pour diverses raisons.

Certes, cet Islam est né principalement d’une immigration ancienne et parfois récente. Mais il est aussi –pour quelques européens- lié à un mouvement de conversion vers la religion islamique. Et ceci –le fait mérite d’être noté- malgré une image médiatique souvent défavorable à l’Islam.

D’autre part, dans beaucoup de pays européens, la population a souvent des ancêtres originaires d’un pays différent. Pour beaucoup de français, les ancêtres n’étaient pas gaulois ! Ce grand brassage n’est donc pas une nouveauté. Ce qui est relativement nouveau est qu’au brassage ethnique ancien se superpose un brassage de type culturel et religieux.

On sait qu’une bonne part de la population française a des ancêtres italiens, espagnols, portugais, polonais, etc… Ce qui a pu être perçu –en un temps, en un lieu- comme problématique. Il y a longtemps que de tels « problèmes »
se sont effacés. Avec le temps, il en ira de même pour tous nos concitoyens quelle que soit leur origine.

C’est cependant en termes relativement nouveaux que se pose l’intégration de populations originaires du Maghreb ou de l’Afrique musulmane. Une difficulté vient de ce que cette immigration est souvent mal perçue.
Comme si l’Islam était en soi conforme à des à-peu-près journalistiques du genre « Islam = islamisme = intégrisme »…. Ce qui –par parenthèse- est aussi absurde que d’assimiler le christianisme à l’inquisition et autres aberrations du passé.

L’Islam - religion de paix et de justice - mérite bien autre chose que de telles approximations génératrices de peurs et/ou de mépris. L’ignorance doit, là aussi, être combattue. Heureureusement, il ne manque pas de savants (historiens, philologues…) ou de touristes épris d’architecture ou de musique, ou encore de croyants de diverses confessions pour voir tout autrement cette civilisation marquée par la religion islamique.

D’un autre côté, l’Islam européen devra aussi s’intégrer à une société en partie différente des sociétés dans lesquelles l’Islam est la religion majoritaire, voire unique. Il est prévisible que –pour quelques musulmans- l’adaptation à une société laïque et pluraliste n’ira pas sans difficultés.
C’est le sujet des lignes qui suivent.

Un passage difficile   

Là où l’Islam est majoritaire, il n’est, traditionnellement, pas de séparation claire entre « croyances » et société. Vérité sociale et vérité religieuse sont liées indissolublement. Pas de Dieu et de César : Tout appartient à Dieu.

Jadis, d’ailleurs, une loi analogue régissait aussi les sociétés chrétiennes.
Au pape : le pouvoir des deux glaives, même s’il déléguait l’un de ces deux glaives au « pouvoir temporel ». Ainsi, conformément à une certaine lecture de Romains 13 : désobéir au pouvoir était désobéir à Dieu. Ce qui était un avantage évident pour les pouvoirs établis !

Par contre, dans une société démocratique, le crime contre Dieu n’existe pas. Toutes les croyances sont respectables, mais aucune ne peut être imposée. Cela n’est pas sans conséquences…

Par exemple, aucun « blasphème » ne peut être perçu comme criminel. Il ne peut exister de délit de non-croyance, certes, mais en outre : il est courant, dans notre histoire, de moquer telle croyance ou telle pratique. Cela peut être choquant, c’est clair, pour un croyant. Il est vrai que l’on peut faire mauvais usage de la liberté, mais il en est toujours ainsi, aujourd’hui. Nous ne sommes plus au temps où un jeune chevalier de la Barre était mis à mort, pour avoir brisé un crucifix. Voltaire avait alors clamé son indignation. En vain.

Liberté ! Seule l’insulte est interdite. Encore faut-il qu’un tribunal fasse droit à une plainte régulièrement déposée. Seule limite, donc, à ce droit général de critique : Il n’est pas de liberté sans responsabilité. Chacun est responsable des ses propos et de ses actes. Telle est notre loi.

C’est cette loi qui –en démocratie- permet à tous de vivre ensemble. En ce sens, toute démocratie est « laïque ». Mais « laïque » ne signifie pas anti-religieux. Simplement : il n’appartient pas à l’état d’intervenir dans la vie privée. Tous les citoyens –croyants ou non- sont dans la même situation vis-à-vis de la loi commune. Cela suppose –pour chacun- le respect des croyances comme des non-croyances. Le vivre-ensemble suppose le respect de toutes les personnes et, donc, de toutes les pensées et de toutes les croyances.

L’Islam européen qui se constitue est démocratique. Or, dans un état démocratique, aucune loi religieuse ne peut être la loi de tous. Démocratie n’est pas théocratie. La loi commune n’est pas d’inspiration religieuse –même si l’histoire, ici et là, fournit des arguments aux tenants d’une loi « religieuse ». Une loi personnelle, familiale ou clanique peut être une loi religieuse. Une loi démocratique ne le peut pas.

Sur ce point, plusieurs pays islamiques sont parfois dans une situation analogue aux pays « chrétiens » des siècles passés. Il était difficile d’être non-chrétien dans un pays chrétien. Les juifs européens en ont connu quelque chose !

De même, les non-musulmans ont été parfois discriminés dans les pays musulmans. Les nombreuses études sur la question m’épargneront d’entrer ici dans les détails (très variables d’une époque à l’autre, d’une région à l’autre…). Mais dans tous les cas, cette situation ancienne n’est pas celle de nos sociétés européennes actuelles.

Une cause de malentendu   

Laissons ces formes de racisme ordinaire qui se traduisent par des injustices courantes, des discriminations à l’embauche, des difficultés de logement, des mépris quotidiens… Cela n’aura qu’un temps, bien que l’actualité soit parfois difficile à vivre pour quelques uns. On ne peut, d’ailleurs, pas généraliser. Il est aussi des intégrations heureuses et des réussites individuelles.

Cependant certaines attitudes européennes peuvent être ressenties comme des injustices – venant de nations qui, jadis, ont entrepris croisades et colonisations. De toutes façons, bien sûr, l’histoire ne peut être refaite. A nous de l’assumer, sans honte ni gloriole.

Ainsi (ce n’est qu’un exemple, mais il est de taille), le silence vis-à-vis des souffrances du peuple palestinien pose des questions à de nombreux européens épris de justice. Ce « silence » est d’ailleurs un euphémisme. L’Europe actuelle est, en fait, largement pro-américaine et, donc, pro-israélienne.

Pour reprendre une formule qui a traversé l’Atlantique : Israël a le droit de vivre ! Certes. Mais le peuple palestinien aussi a le droit de vivre. Peut-on l’oublier ?

En outre, les humains ne peuvent vivre que sur une terre. Et sur quelle terre devrait vivre ce peuple palestinien ? Une petite terre morcelée, sans frontières véritables et aux ressources spoliées au gré des besoins d’un puissant voisin ?

Dans la mémoire des générations présentes et à venir, un tragique se constitue. Une mémoire faite de maisons détruites, d’oliviers arrachés, de terres spoliées, d’eau confisquée, d’un mur honteux… Tout cela ne va évidemment pas dans le sens de la paix. Les enfants actuels se souviendront longtemps du sort fait à leurs parents.

Une Europe complice  

Pourtant, hormis par de belles paroles et généreuses généralités, les nations démocratiques ne se manifestent guère. Fondamentalement, cette attitude « européenne » peut être expliquée de deux manières : culturelle et politique…

- Culturelle : les horreurs de la « shoa » justifiaient la création d’un état juif. Ce fut vrai après la dernière guerre. Personne, alors, en Europe, n’aurait pu affirmer le contraire. Il convient cependant de remarquer que le peuple palestinien n’était en rien coupable de ces horreurs. Est-il juste qu’il en paye le prix ?

- Politique : le suivisme des européens vis-à-vis de la politique américaine. Ce suivisme suppose une approbation de fait à tout ce qu’entreprend un état d’Israël aujourd’hui dominateur. Les résistants sont des terroristes.

Il est clair qu’une attitude critique vis-à-vis de la politique d’un état (Israël) ne doit pas être étendue à la religion juive. L’attachement des juifs du monde à un état d’Israël est bien compréhensible. Mais cela signifie pas que l’actuel état d’Israël puisse se comporter en un Goliath oppresseur.

Il ne manque d’ailleurs pas de juifs qui prennent leurs distances vis-à-vis de la politique suivie par l’actuel état d’Israël. Et beaucoup d’entre eux savent que l’injustice, jamais, ne produit la paix. Gagner les guerres ne signifie pas gagner la paix. Seule la paix, pourtant, ouvre le chemin de l’avenir.

Il reste que cette situation de violences en Palestine n’incite pas à la tolérance dans nos banlieues. En sorte que la passivité de l’Europe peut être perçue comme un parti-pris pro-juif et anti-musulman.

La révolte face à l'injustice  

On peut d’ailleurs considérer comme une erreur la suppression de l’aide européenne au gouvernement élu de la malheureuse Palestine. Mais il s’agit d’une erreur qui doit être replacée dans le cadre de l’alignement habituel de l’Europe sur les Etats-Unis.

L’Europe est ainsi souvent perçue comme complice d’une politique de soutien à un état israélien puissant, mais opposée à un monde arabe divisé, déchiré, satellisé et parfois même acheté. Les choses pourraient bien changer dans un avenir proche…

D’autre part, on peut trouver surprenantes les réserves européennes au sujet de l’actuelle administration Bush, comme si cette administration était en rupture par rapport aux années passées. La continuité l’emporte pourtant sur le « changement » ….

L’administration actuelle, il est vrai, figure un sommet du genre (Guantanamo, Abu Ghraïb, l’oocupation de l’Irak etc…). Mais, il y a plus de quarante ans, la guerre au Viet-Nam ou le soutien actif aux pires dictatures sud-américaines ne devaient rien aux Bush, père et fils. Le « changement » peut donc paraître illusoire. Une même logique de domination inspire les mêmes réflexes politiques.

Toujours, bien sûr, des américains soucieux de vérité et de justice manifestent : comme ils manifestaient jadis contre la guerre au Viet-Nam, ou aujourd’hui contre la guerre d’Irak. Dans les deux cas, les morts et les destructions sont et furent nombreuses. Et dans les deux cas, l’Europe est inexistante, pour ne pas dire complice.

C’est du moins ainsi qu’elle est perçue –ce qui est fâcheux pour un processus d’intégration de ces « minorités visibles » que constituent, chez nous, les descendants musulmans des immigrés de jadis.

Qu’on y prenne garde : si la démocratie se soucie peu de justice, c’est au nom de la justice qu’il faudra combattre cette soi-disant démocratie. C’est ainsi que commencent toutes les révolutions.

Mais toute révolution est dangereuse. Elle est souvent l’avant-garde d’une dictature « pure et dure », bientôt sanglante. Il importe donc de construire une démocratie soucieuse de justice. Long travail dont les résultats seront toujours provisoires.

Nous sommes à la veille d’un profond changement de société. Un des traits de cette mutation est une démocratie qui se construit : pluri-ethnique, pluri-culturelle et pluri-religieuse. Dans ce monde, croyants et incroyants –dans le respect des différences- seront jugés à l’aune du faire et non du dire. Sans même parler de cette chance pour des nations vieillissantes de recevoir des populations nouvelles. Saurons-nous les accueillir ?

Jacques Chopineau. Genappe le 31 mars 2007  

 


             

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