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 Dialogue


    Catherine Luuyt

 

 

 

   


Petit aperçu d’un temps ordinaire

 

 

Peut-être vous souvenez vous des paroles de Nietzsche, s’adressant à l’instant : « Passe et reviens ».
Tout humain se souvient d’avoir interpellé l’instant. Passe!Parfois aussi, reviens !

Dans la formulation ciselée, comme souvent chez ce philosophe poète, tellement percutant qu’on pourrait le croire prophète, les mots semblent à la fois proches et lointains, mais en toute fin difficiles à saisir.

Le temps vivant est trop souvent une arme qui blesse. Pour l’impatient d’absolu pris au piège de l’effritement, la durée est perçue comme une fausse promesse, celle du dépassement, une ruse, ou pire, comme un remède étouffant permettant de se défaire de l’imparfait pour se rendre digne d’un avenir meilleur.

Contre cela, ne faudrait-il pas « déborder » le temps ?

Certes, l’instant passe. Il n’est pas besoin de le lui dire. Sauf dans l’invitation à revenir.
Passe devient l’annonce instante, la demande d’un retour, de l’éternel retour.
L’instant, alors, est célébré, non pas parce qu’il est inévitable, mais pour la force et la teneur de vie qui sont en lui. L’instant s’impose, contre tout au-delà, par ce qu’il est comblé de désir et de vie. Indépassable et pourtant en mouvement.

Dans la pensée de Nietzsche, l’annonce de l’éternel retour ne va pas sans celle de la mort de Dieu. Si Dieu est l’espoir appris dans la quête et la lumière du bien, dès l’instant où le bien se révèle à portée de main, sans dépassement, il lui faut effacer l’origine et la fin qui fondent l’idée du bien.

Cet effacement a-t-il conduit à une plus grande liberté ?
L’ordinaire, le simple ordinaire ne tient-il pas déjà lieu d’éternité ?

C’est comme cela qu’il est dit et célébré dans « l’ordinaire de la messe ».
Une parole, une seule parole refonde l’instant en vérité.

Le père Timothy Radcliffe témoigne pour nous de ce que signifie l’eucharistie :

"  Pour nous chrétiens, le moment créateur fondamental est lorsque Jésus prend le pain et dit : «  Ceci est mon corps livré pour vous. » C’est ce que nous répétons et ce dont nous vivons. C’est ce geste qui constitue la communauté. Une des manières pour nous de vivre l’eucharistie actuellement, entre la dernière Cène et le Royaume, c’est de faire des gestes créateurs qui forgent la communion. " (1)

Rompre le pain.

Signe du partage pour la nourriture.

L’instant pourrait –il être porteur s’il n’était aussi nourriture ?
L’instant serait –il célébré s’il n’était aussi partage ?

Le geste, le signe, dit que ce qui est appartient à un ailleurs qui nous tient ensemble, qui nous tient maintenant, pour toujours.
Un instant qui « demeure ».

Humain, écoute.
Humain, ne te trompe pas.
Ce qui est aimé ne disparaît pas.
Ce qui est aimé est mémoire où demeure ce que tu es déjà.

Catherine Luuyt. Paris, le 15 Janvier 2007  

(1) Timothy Radcliffe, Que votre joie soit parfaite, Les éditions du Cerf, 2002. p. 241–242.

 


             

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