Peut-être vous souvenez vous des paroles
de Nietzsche, s’adressant à l’instant : « Passe
et reviens ».
Tout humain se souvient d’avoir interpellé l’instant.
Passe!Parfois aussi, reviens !
Dans la formulation ciselée,
comme souvent chez ce philosophe poète, tellement
percutant qu’on pourrait le croire
prophète, les mots semblent à la fois proches
et lointains, mais en toute fin difficiles à saisir.
Le
temps vivant est trop souvent une arme qui blesse. Pour l’impatient
d’absolu pris au piège de l’effritement,
la durée est perçue comme une fausse promesse,
celle du dépassement, une ruse, ou pire, comme un
remède étouffant
permettant de se défaire de l’imparfait pour
se rendre digne d’un avenir meilleur.
Contre cela, ne
faudrait-il pas « déborder » le
temps ?
Certes, l’instant passe. Il n’est
pas besoin de le lui dire. Sauf dans l’invitation à revenir.
Passe devient l’annonce instante, la demande d’un
retour, de l’éternel retour.
L’instant, alors, est célébré,
non pas parce qu’il est inévitable, mais pour
la force et la teneur de vie qui sont en lui. L’instant
s’impose,
contre tout au-delà, par ce qu’il est comblé de
désir et de vie. Indépassable et pourtant en
mouvement.
Dans la pensée de Nietzsche, l’annonce
de l’éternel
retour ne va pas sans celle de la mort de Dieu. Si Dieu est
l’espoir appris dans la quête et la lumière
du bien, dès l’instant où le bien se
révèle à portée
de main, sans dépassement, il lui faut effacer l’origine
et la fin qui fondent l’idée du bien.
Cet effacement
a-t-il conduit à une plus grande liberté ?
L’ordinaire, le simple ordinaire ne tient-il pas déjà lieu
d’éternité ?
C’est comme cela
qu’il est dit et célébré dans « l’ordinaire
de la messe ».
Une parole, une seule parole refonde l’instant en vérité.
Le
père Timothy Radcliffe témoigne pour nous
de ce que signifie l’eucharistie :
"
Pour nous chrétiens, le moment créateur fondamental
est lorsque Jésus prend le pain et dit : « Ceci
est mon corps livré pour vous. » C’est
ce que nous répétons et ce dont nous vivons.
C’est ce geste qui constitue la communauté.
Une des manières pour nous de vivre l’eucharistie
actuellement, entre la dernière Cène et le
Royaume, c’est de faire des gestes créateurs
qui forgent la communion. " (1)
Rompre le pain.
Signe du partage pour la nourriture.
L’instant
pourrait –il être porteur s’il
n’était aussi nourriture ?
L’instant serait –il célébré s’il
n’était aussi partage ?
Le geste, le signe,
dit que ce qui est appartient à un
ailleurs qui nous tient ensemble, qui nous tient maintenant,
pour toujours.
Un instant qui « demeure ».
Humain, écoute.
Humain, ne te trompe pas.
Ce qui est aimé ne disparaît pas.
Ce qui est aimé est mémoire où demeure
ce que tu es déjà.
Catherine Luuyt. Paris, le
15 Janvier 2007 (1) Timothy Radcliffe, Que votre
joie soit parfaite, Les éditions du Cerf,
2002. p. 241–242.
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