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 Dialogue


    Jacques Chopineau

 

La courbe des religions…

Un nouvel œcuménisme

 

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Le texte est tiré d’un célèbre « Hadîth » dans lequel ces paroles sont placées dans la bouche du Prophète de l’Islam, en réponse à une question de l’ange Gibril au sujet de la « tendance au mieux » (iHsân).

Le texte de l’Evangile est à lire en Matthieu 6,4.
Dans la Bible hébraïque, le dit sur le regard selon les yeux (selon l’apparence) opposé au regard de Dieu qui voit au coeur est I Samuel 16,7. Beaucoup d’autres textes pourraient être cités…

 

 

 

 

   


L'invention d'un monde nouveau

 

 

La courbe des religions

Le siècle qui commence ouvre un large champ aux religions, mais non à ces formes religieuses connues dans le passé. Les différences –autrefois : des divisions- sont devenues largement incompréhensibles. Il faut faire de l’histoire pour les comprendre. Mais être savant en histoire, ne signifie pas comprendre la permanence des comportements.

Les religions dogmatiques et institutionnelles sont vouées à s’étioler et, finalement, disparaître en tant que rassemblements numériquement importants. Certes, elles ne sont pas destinées à disparaître complètement, mais elles seront renvoyées dans les marges de l’histoire ancienne. Des minorités pourront bien, en fonction de leur histoire locale, se réclamer de telle ou telle tradition ou tendance : leur présent ne sera pas la simple continuation du passé.

Le sommet n’est pas le creux de la vague. La courbe appelée sinusoïde fournit une bonne image de cela. Des hauts et des bas se succèdent. Certes, la résultante est une droite, mais l’homme ne voit pas les résultantes. Il ne voit que les hauts et les bas de son histoire.

Seule exception : l’Islam. L’Islam européen, parti de presque rien, devient la religion d’un grand nombre –pour lesquels les origines jouent un rôle de moins en moins important (voire même aucun rôle, dans le cas des convertis). Dans le contexte du déclin général des religions traditionnelles, l’Islam est sur une pente ascendante. Les années futures le montreront.

Nos parents n’auraient jamais imaginé que l’Islam serait un jour la deuxième religion de nos pays. Nos enfants, de même, n’imaginent pas que cette religion pourrait devenir la première, par le nombre de nos concitoyens qui se réclament d’elle. Il importe que cette réalité soit perçue, et perçue de façon positive, ce qui est encore loin d’être le cas. L’Europe se construit, mais apparemment les religions sont absentes de cette construction. Sur ce point, un enseignement approprié est attendu…

Il faudrait, par exemple, qu’un pays comme la France (qui compte des millions de musulmans) permette qu’un enseignement universitaire forme des théologiens et imams dans un cadre intellectuel intégré, ainsi que cela est fait pour catholiques et protestants. Dans le cas contraire, on ne pourra guère se plaindre que ces élites reçoivent une formation étrangère et, éventuellement, hétérogène à nos habitudes mentales (raisons et tolérances). Sans parler du risque de voir se développer un réseau d’écoles « libres »…

Rappelons que la séparation (bien nécessaire en son temps) de l’église et de l’état n’a jamais été d’application en Alsace. De sorte qu’à Strasbourg (comme en Allemagne, en Suisse et ailleurs…) des facultés catholique et protestante sont intégrées à l’université. N’est-ce pas en ce lieu que pourrait être créée une faculté de théologie musulmane ? Les refus opposés vont à contre-courant de l’histoire, mais justement l’histoire n’est pas terminée. La question reviendra.

Mais notre approche ne se borne pas ici à des données statistiques. Le sens du phénomène nous intéresse. De la déperdition du religieux, un indice peut être trouvé dans la pauvreté des émissions « religieuses » chrétiennes. Elles sont, souvent, une sorte de journalisme d’information, ce qui est, en soi, tout à fait estimable, mais ne peut guère être qualifié de religieux. Les chrétiens n’auraient-ils rien à dire d’autre que des considérations générales, des débats d’idées, des rappels historiques, des notions étrangères à presque tous nos contemporains.

Dire cela paraîtra, sans doute, incompréhensible à beaucoup de croyants historiques, comme si la religion était une simple une manière de penser, un dire autrement. Une sorte de philosophie informée du monde présent et de ses problèmes

De ce point de vue, les émissions juives ouvrent le regard sur une tradition riche et profonde. Nombreux sont les non-juifs qui les suivent. Mais l’Islam, encore souvent contraint de se modeler sur l’actualité, est appelé à enrichir son regard et donner à voir ce qui est essentiel.

Etre religieux n’est pas d’abord une manière de penser, mais une manière d’être. Dans ce monde marchand, au-delà de tous les discours de pouvoir, les hommes religieux (non nécessairement croyants à la manière dogmatico-confessionnelle) ont une perspective différente.

Très caractéristique est une manière d’agir sous le regard de Dieu. « Adore Dieu comme si tu le voyais. Et si tu ne le vois pas : Lui, Il te voit ». C’est ce que dit un « Hadîth » fameux dans le monde musulman. Les chrétiens penseront au texte de l’Evangile : « Notre Père qui voit dans le secret… ». Ou encore, dans la Bible hébraïque, cette affirmation selon laquelle l’homme se fie à l’apparence, mais que Dieu regarde au cœur (1).

Il y a là un trait fondamental de toute attitude religieuse quelle que soit la tradition de référence, et même, en absence de toute référence explicite à une tradition unique. Malgré le passé, il importe de ne pas mettre sur le même plan : religieux et confessionnel.

L’homme religieux (« croyant » ou non) ne peut agir à l’insu d’une grande conscience qui le dépasse infiniment et qui le juge immédiatement. Il ne peut donc agir dans son seul intérêt personnel immédiat et couvrir, aux yeux de tous, des comportements contraires à son évolution intérieure. L’homme n’est pas simplement ce que nous voyons car il n’est pas un être achevé. C’est là, le premier pas de toute démarche religieuse.

D’autant que, conformément aux usages courants, les paroles peuvent aussi bien montrer que couvrir. Notre histoire est pleine de discours où la vérité tient peu de place….

Un nouvel œcuménisme…

Un nouvel œcuménisme est devant nous. OYKOUMENE signifie : « la terre habitée ». Il fut un temps où la terre habitée était le monde méditerranéen. Puis les dépendances et colonies de quelques pays de ce monde christianisé. Enfin, plus récemment, ce monde occidental dans lequels des chrétiens, devenus minoritaires, se rassembleraient et, même, s’uniraient. Projet insensé d’un « œcuménisme » de rassemblement et combat d’arrière-garde …

De fait, il est des catholicismes et des protestantismes. Il fut un temps où protestants et catholiques étaient globalement opposés sur plusieurs points particuliers. Longtemps justifiée, une telle opposition n’a plus guère de sens. En effet, la diversité des catholicismes et des protestantismes fait que tel , aujourd’hui, se sent proche de cette tendance (« catholique » ou « protestante ») et opposé à cette autre. Indépendamment de toute tradition d’origine.

Dans tous les cas, les extrêmes peuvent s’opposer, mais les moyens sont unis de fait. Non en vertu d’un accord négocié, mais de manière spontanée du fait d’un héritage commun et d’une approche semblable –même sur des points qui, en d’autres temps, ont signifié des divisions.

On peut dire qu’aujourd’hui, les différences et les traditions doivent être apprises. Non pour être effacées, mais pour être reconnues et respectées. L’Islam n’est d’ailleurs pas en reste, en matière de diversité. De grands changements sont à venir, mais notre approche est commandée par des réflexes anciens.

Dans ce cadre, un « œcuménisme » nouveau se met en place. Le grand défi du siècle qui vient est la prise en compte de la richesse des héritages religieux. Non par une sorte de syncrétisme qui ferait bon marché des différences. Au contraire, la diversité des approches est une richesse. Deviens ce que tu es, toi qui n’es pas seulement ce que dit, à ton sujet, le monde extérieur. Rejoins tes racines, tes sources, mon frère. C’est là que nos ressemblances se manifesteront. Non dans les mots, mais dans les actes.

Dans tous les cas, le religieux n’est pas appelé à disparaître. Une dimension fondamentale de l’humain est ici concernée. L’homme ne deviendra pas plus non-religieux qu’il ne deviendra unijambiste ou quadrupède. Aucune pensée ou philosophie ne viendra se substituer à une approche religieuse de la réalité.

Cependant, dans une culture nouvelle, tel langage religieux peut devenir un frein –voire un obstacle. Tel discours, reçu par tradition, peut devenir incompréhensible. En sorte que ces paroles peuvent être un frein sur la voie d’une vie harmonieuse.

C’est alors qu’une réforme est nécessaire. Non pas un rappel d’une réforme qui a eu lieu dans le passé, mais une réforme actuelle, à frais nouveaux. Et que faut-il rappeler ?

D’abord que l’humain n’est pas un être achevé. Son évolution n’est pas terminée. La vie est un chemin dont le terme est un accomplissement. Un proverbe yiddisch rappelle que « pour le sot, la vieillesse est l’hiver ; pour le sage, c’est le temps de la moisson ».

Les chrétiens ont beaucoup à montrer. Le passé religieux, en Occident, n’est pas fait que de choses violentes, de dominations insupportables, de traditions reproduites sans compréhension. Certes, intolérances et violences se sont inscrites dans notre histoire. Mais aussi ces merveilleuses cathédrales ou ces abbayes qui furent –en leur temps- des centres de développement.

D’autre part, de nos jours, ouverture et respect de l’autre sont beaucoup plus fréquents que les fanatismes anciens. Et il est des communautés vivantes qui, malgré leur petit nombre, attestent la permanence d’une espérance et d’une ouverture au monde qui vient. Mais ce monde-là ne sera pas un retour au monde passé : il est invention d’un monde nouveau et d’une nouvelle réforme. Nous ne sommes qu’au début de ce long chemin.

Jacques Chopineau, Genappe le 21 juin 2004  


             

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