Le message
chrétien
L'œcuménisme serait-il en panne ?
Ou bien deux conceptions s'opposent-elles : œcuménisme
de rassemblement ou de respect des différences ?
Cela fait des siècles que les chrétiens
disputent du message chrétien. Nous sommes aujourd'hui
bien loin de la grande diversité doctrinale des commencements
du christianisme. A moins d'être spécialiste,
nous avons même oublié cette diversité -dont
témoignent des textes peu connus, des évangiles « apocryphes »,
des écrits polémiques divers. Depuis le quatrième
siècle, le poids des « vérités » dogmatiques
n'a cessé d'augmenter.
On sait que l'enseignement
de Jésus
Christ a précédé largement tout discours
dogmatique et que l'obéissance à Jésus
va devant l'obéissance au pape ou à un quelconque
magistère. Ce que Jésus disait et ce que l'église
a dit : est-ce la même chose ? Oui, à en
croire les théologiens de telle église ;
non, à en croire d'autres théologiens. La « vérité » est
un sujet de discussions.
Les racines sont anciennes.
Le christianisme, dès le quatrième siècle, a écarté,
voire éliminé durement, tout ce qui s'opposait
au pouvoir de la « grande église »,
celle du grand empire romain. Le saint magistère a élaboré,
au fil du temps, un formidable édifice dogmatique
qui est aujourd'hui devenu une barrière à la
diffusion de ce christianisme. Il faut revenir aux origines.
Laissons les cas de
ces chrétiens
que furent en leur temps Arius, Nestorius ou Priscillien (premier
tué par « l'église » dominante,
jugé et exécuté en 386). Mais Joachim
de Flore, Giordano Bruno, Maître Eckhart , Martin Luther,
Jean Calvin (Mais
aussi S. Castellion ou Michel Servet -ce
dernier ayant été brûlé en terre calviniste, à Genève)
ne furent-ils pas des chrétiens ?
Et, pour nous en tenir à l'époque
moderne : Y. Congar ; Hans Kªng ; E. Drewerman ;
J. J. Tamayo-Acosta et bien d'autres… sont-ils moins
chrétiens que leurs détracteurs ?
Chacun à sa manière, ils témoignent
cependant, même si ce témoignage se manifeste
dans une grande diversité d'approches. Leur trait
commun est la référence à cet épicentre
du grand tremblement de terre qui a nom Jésus. Ajoutons
que tous, chacun à sa manière, a eu le malheur
de déplaire à l'autorité qui porte le
nom d'église.
Il ne s'agit évidemment pas de faire
une synthèse de positions parfois impossibles à concilier.
Ni de chercher un « accord minimum » ou
une plate-forme commune. Laissons aux diplomates ecclésiastiques
le soin de négocier au nom des pouvoirs qu'ils représentent.
D'ailleurs, les structures
se renforcent, surtout lorsqu'elles tournent à vide. Si nous n'y
prenons pas garde : les mots prennent la place des réalités.
Une formulation ne devient pas vraie parce qu'elle bien construite.
Une tradition ancienne peut être une vieille erreur.
Banalités, sans doute, mais qu'il importe de ne pas
oublier.
Malgré les partisans d'un « œcuménisme » de
rassemblement, les différences ne sont plus des « divisions ».
Elles ne doivent pas être effacées, mais respectées.
Fini le temps où une « vérité » pouvait être
imposée. Le premier pas est celui de la tolérance,
dont les siècles passés (surtout le dix-huitième
siècle) ont illustré la difficile naissance.
La Réforme du 16ème siècle
a été en son temps une tentative pour revenir
aux origines, en écartant bien des pesanteurs inutiles.
Cette remise à jour conduisait à une rupture
de ce qui était encore l'unique institution de salut
du monde occidental.
La rupture d'avec l'église d'orient
est antérieure (1054 et, surtout, le pillage de Constantinople
par les croisés en 1204). Mais avec la Réforme,
c'est l'occident lui-même qui est divisé. L'accord
d'Augsbourg (1555) consacre pour des siècles une séparation « religieuse » entre,
en gros, le nord et le sud de l'Europe occidentale.
Un principe
de la Réforme était
que l'Ecriture seule est source de vérité (Sola
Scriptura). Ni pape, ni tradition, ni magistère humain… ne
peuvent lui être opposés. Ce
principe était alors révolutionnaire.
Mais depuis lors ? En fait, ni Trinité,
ni « deux natures », ni « sainte
mère de Dieu », ne figurent dans les Ecritures.
Le malheur de la Réforme est qu'après avoir
proclamé, en ce temps-là, des choses justes :
elle a ensuite répété les mêmes
vérités sans en adapter les termes ; comme
si une formulation était intemporelle. La vérité était,
semble-t-il, dans les mots qui la définissaient. Encore
les réformateurs ne connaissaient-ils ni l'infaillibilité pontificale,
ni l'Immaculée Conception, ni l'Assomption de Marie…
Pour autant, les définitions diverses
ne sont pas, en soi, des obstacles. Dans la mesure, du moins,
où les tenants de ces « vérités » respectent
ceux qui n'ont pas la même approche. Est-on moins frère
parce que l'on pense différemment, ou qu'on le dit
en d'autres termes ?
Si tel enseignement
fait partie de ta démarche
chrétienne, tout chrétien se doit de la respecter.
L'œcuménisme se situe à un autre niveau :
celui du vivre ensemble. Et de chercher, dans toutes les
situations ce qui est la volonté de Dieu ou, ce qui
revient au même, ce qui donne de faire un pas de plus
sur le chemin de la compréhension, de la justice,
de la tolérance, du respect de l'autre en ce qu'il
est.
Ce qui constitue, par
contre, un obstacle c'est le caractère imposé de telle formulation
canonique, à l'exclusion de toutes les autres. C'est
alors seulement que la fraternité est rendue impossible,
brisée par les intransigeances doctrinales. C'est
de là que nous venons.
Ce qui est sûr, c'est que si le christianisme
ne réforme pas son langage, les églises (toutes
les églises) continueront de se vider. Il s'agit donc
pas d'une « mise au goût du jour », mais
d'une réforme en profondeur. Revenir aux sources ;
reprendre à frais nouveaux ces vieux débats
dont on a cru être débarrassé par des
mesures autoritaires.
On n'envisage pas ici, évidemment,
une sorte de syncrétisme doctrinal, mais le respect
des différences, ces différences qui ne sont
plus, répétons-le, des « divisions »,
engendreuses d'exclusions.
Pour l'unité de
l'empire
Aux temps de l'empire,
jadis, les choses étaient
claires. Un empire veut une vérité unique.
Une formulation admise par tous, de gré ou de force.
Mais l'empire est mort. Dans une démocratie :
toutes les opinions sont représentées. Les
temps sont changés ! Il y a une sorte de nostalgie
impériale dans le désir de formulations uniques.
Certes, un empire ne peut admettre que le pouvoir soit d'un
bord différent de celui de la vérité.
La cohérence de l'empire exigeait qu'une seule vérité y
soit d'usage. Car c'est bien de pouvoir qu'il s'agit, en
définitive.
On l'a bien vu lorsque
l'empereur Constantin, ayant fait du christianisme la religion
de l'empire, convoquait
le concile de Nicée (325). Il voulait (ce qui fut
fait par les « pères » conciliaires)
qu'une seule « vérité » fût
proclamée. L'empire avait besoin d'une vérité sur
laquelle il pourrait s'appuyer.
En même temps, de persécutés
qu'ils étaient au siècle précédent,
les chrétiens sont devenus persécuteurs. D'autant
que le paganisme était désormais interdit.
Et tous les fonctionnaires de l'empire sont devenus « chrétiens ».
La puissance de l'empire jouait désormais en faveur
des chrétiens.
En sorte que l'évêque de Rome
pouvait reprendre le rôle central exercé jadis
par le pontifex maximus, autorité religieuse suprême,
au temps de l'empire païen. Le pontificat que nous connaissons était
en marche…
Nicée nous a valu, entre autres formulations,
le fameux « symbole de Nicée » dont
presque plus personne aujourd'hui ne comprend la langue philosophique.
Un petit livre récent, publié par un scientifique
de haut niveau (A. Jacquard), reprend point par point le
texte de ce symbole et exprime, certes, mieux que ne
le ferait un théologien, ses incompréhensions
d'homme moderne.
Nicée est une épreuve pour
beaucoup de modernes. Mais il faut en dire autant du deuxième
concile « œcuménique » tenu à Constantinople
en 381. Cette fois, c'est le dogme de la Trinité qui
est proclamé. Ne pas adhérer aujourd'hui à cette
définition compliquée signifie pour beaucoup
l'exclusion de la plupart des christianismes de nos pays.
Bien que cette doctrine soit incomprise des monothéistes
musulmans et juifs. Et que de nombreux chrétiens la
répètent sans la comprendre.
La série des exclusions se poursuit
avec le troisième concile (Ephèse, 431) contre
Nestorius qui pensait que Marie, mère de Jésus,
n'était pas « mère de Dieu ».
Vint le quatrième concile (Chalcédoine, 451)
contre les monophysites.
Les bases de la religion
chrétienne étaient
fondées pour des siècles. Ne viendront que
des compléments et explicitations qui, le plus souvent,
sont des conséquences logiques tirées des postulats
précédents. C'est à une telle tâche
que beaucoup de théologiens se sont attelés,
au fil des siècles, avec talent et conviction. Au
point que ces formulations sont souvent, aujourd'hui, appelées «la foi »,
même si elles sont devenues proprement inintelligibles.
Cette époque impériale est
aussi le début d'une longue histoire des répressions
qui marquent le christianisme officiel. La fin du quatrième
siècle est d'ailleurs une rupture impressionnante
d'avec le christianisme des catacombes. Les chrétiens
prennent partout le pouvoir dans l'empire.
Les conséquences sont parfois tragiques.
Rappelons l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie
(388), la destruction du temple d'Apamée (390), les
chrétiens d'Alexandrie qui pillent et détruisent
le temple de Sérapis (391), la suppression des jeux
olympiques (concile d'Hippone 393), la peine de mort décrétée
contre qui sacrifient aux dieux paîens (394), même
peine contre les détenteurs d'ouvrages hérétiques
(398), l'ordre de destruction des temples paîens qui existent
dans les campagnes (399, aggravé en 435 pour les temples
paîens subsistants encore) etc…
Ce n'est que le début d'une longue
liste d'intolérances. Rappelons le meurtre, exécuté par
des « chrétiens » fanatiques,
de la célèbre mathématicienne Hypathie à Alexandrie
(415). Bien d'autres crimes seront commis par la suite. La
différence était devenue intolérable.
Les siècles suivants seront dans la suite logique
des commencements intolérants de l'église triomphante.
Il est vain de penser
que ces intolérances
longuement répétées peuvent être
oubliées. Il ne s'agit pas de rouvrir des plaies,
mais de se poser des questions sur ce qui les a causées.
En même temps, il est vain de penser que les formulations « canoniques » de
cette église resteront toujours intangibles et indiscutées.
Le pouvoir impérial a, jadis, voulu
ces « vérités ». Les
monarchies absolues ont pris le relais de cette prétention.
De nos jours, cependant, un pouvoir nouveau (démocratiquement élu
et informé par les sciences humaines) en impose, peu à peu,
d'autres -dans une forme nouvelle. Le temps n'est plus aux
exclusions, aux anathèmes, aux ruptures, aux différences
vécues comme des « divisions » à combattre.
Et, certes, l'histoire est pleine de ces accidents.
Un exemple bien (?)
connu, en France, a été cet édit « perpétuel » de
Nantes qui fut révoqué par Louis XIV. Pouvait-on
avoir, en France, au temps de monarchie dite « absolue »,
une autre religion que celle du roi ? La réponse
est connue. L'édit de Fontainebleau (1685) est une
des dates sombres de l'histoire de France. Les protestants
ont vécu en ce temps-là comme des réprouvés,
pourchassés, opprimés, raillés…..
Surtout s'ils ne pouvaient quitter ce royaume de France.
Mais les fugitifs purent être réfugiés
et accueillis, en Allemagne, en Hollande, en Suisse… pour
le plus grand bien des pays accueillants.
Œcuménisme à l'ancienne
et nouvelles perspectives
Par chance, les positions
dogmatiques ne sont plus au cœur du débat actuel. Un monde multiculturel
et multireligieux n'est pas le terrain où peuvent
se maintenir des débats sur les sources, les origines,
les principes, les pouvoirs anciens. L'arsenal des recettes
anciennes n'a plus de réponses péremptoires à proposer à un
monde changé. Les magistères inspirés
ne sont plus de saison et ce qu'ils énoncent ne concerne
qu'une faible partie de la population. Et même, de
plus en plus faible…
Par contre, les questions
posées
par les combats actuels en faveur des masses
pauvres, pour la transformation des rapports entre pays riches
et pays pauvres, pour que soit entendu le cri de la terre
et de ses habitants… Voilà des questions
que les siècles anciens n'imaginaient pas, mais que
les modernes devront résoudre.
En ces questions, beaucoup
seront inspirés, éclairés,
par l'enseignement du Jésus des Evangiles. Directement
et librement. Sans toujours devoir répéter
des enseignements appris jadis. Sauf si ces enseignements éclairent
notre action présente, notre prière actuelle,
nos choix.
Autres temps, autres
mœurs. Les anciennes
luttes ont fait place à un œcuménisme
de rassemblement de tous les chrétiens dans une seule
communion. C'est un fantasme qui est parfois appelé « œcuménisme » : « oublions
ce qui nous divise et rassemblons-nous…. ».
C'est là une erreur compréhensible
au regard des luttes passées. Mais un tel rassemblement
relèverait, aujourd'hui, d'une erreur fondamentale
de jugement. Ce serait d'ailleurs (pour les protestants)
faire bon marché de la Réformation. Et ce serait
fournir des arguments à ceux qui rêvent d'un
retour au bercail (romain) de tous les « frères
séparés », derrière une seule
bannière. Le qualificatif même de « séparé » est étonnant. « Séparé » de
la vérité ? Non, mais : « séparé » de
Rome. Quel est alors le sens du mot « œcuménisme » ?
Témoin, cet épisode d'un pape
(Paul VI) qui, lors d'une visite au Conseil Oecuméniques
des églises (à Genève), eut cette parole
d'entrée : « Je suis Pierre » (sum
Petrus). Autrement dit : Vous, toutes les églises
du monde, devriez rejoindre la seule
vraie église,
celle de Rome.
Certes, la formule
serait aujourd'hui impossible dans ces termes, après le concile de Vatican II, lequel
a ouvert quelques portes. Il conviendrait cependant de se
poser des questions sur ce genre d'« œcuménisme » qui
garde encore des partisans…
Bien sûr, face à une désaffection
quasi générale, il est compréhensible
que quelques uns pensent à réunir les petits
troupeaux pour n'en former qu'un seul. D'autant que cet œcuménisme
de rassemblement faisait suite à des luttes parfois
terribles. En ce sens, c'était un progrès évident.
De là, aujourd'hui, les grandes manœuvres et
les arrière-pensées de plusieurs. Soyons clairs :
un tel « rassemblement » sous la même
houlette n'aura jamais lieu, sauf cas individuels, en soi
respectables.
Par parenthèse, toutes les églises
(sauf l'église romaine) sont réunies au sein
d'un « Conseil ïcuménique des Eglises ».
Il s'agit d'un « conseil » (permanent),
et non d'un « concile » (convoqué).
Et il s'agit d'un organe de travail qui reste respectueux
des diversités. Chacune des églises reste ce
qu'elle : aucun prosélytisme n'a cours. Un œcuménisme
de rassemblement n'est un rêve que pour ceux qui disent « unité » en
pensant « uniformité » et « retour
au bercail ».
L'œcuménisme nouveau se situe à un
tout autre niveau. Au plan des personnes, et non au plan
dogmatique ou institutionnel. La doctrine n'est pas la foi.
Il y a bien une manière catholique de marcher vers
le christianisme. Mais il y a aussi une manière orthodoxe,
une manière luthérienne ou réformée
ou anglicane etc… En l'occurrence, l'essentiel n'est
pas de savoir d'où nous venons, mais où nous
allons. La même source a donné naissance à plusieurs
torrents, lesquels se rejoindront dans la grande plaine où vivent
tous les hommes. Le chemin du respect
des différences
est sans doute encore long, mais il n'en existe pas d'autre.
Cela n'empêchera pas tel groupe dit « œcuménique » (surtout
jeune) d'apprendre à se connaître, à vivre
ensemble une expérience nouvelle, à servir….
Pour autant, les traditions différentes, comme des
langues sont différentes, ne seront pas effacées.
Toutes les options
dogmatiques sont relatives, liées qu'elles sont à l'histoire de leur surgissement.
Et il ne s'agit pas ici de « communion au rabais »,
comme certains le disent, pas plus qu'il n'est question de « brader » l'essentiel
pour trouver un accord minimum. Ce
serait là une piètre conception de l'œcuménisme,
pire encore qu'un « retour au bercail ».
Il s'agit de faire droit, en les respectant, aux différences.
Le monde dans lequel
nous vivons amène
même à se demander si cette « ouverture
au monde » ne pourrait pas être étendue à d'autres « croyants » musulmans
ou juifs.
Et -dans un autre moment,
peut-être-
cette ouverture devrait sans doute s'étendre aussi à toutes
les personnes sincères, soucieuses de justice et de
vérité. Même si elles ne se réclament
pas d'une tradition religieuse.
Bien sûr ce nouvel œcuménisme
prendra du temps pour commencer réellement, sur une
grande échelle (des groupes actuels montrent la voie,
mais ils sont encore rares).
Le premier pas serait
d'accueillir fraternellement la nombreuse communauté musulmane de nos pays. Non
pour en faire des chrétiens, évidemment, mais
pour partager, pour rencontrer, pour connaître… d'autres
approches, d'autres manières d'être.
Le respect de l'autre,
dans sa différence,
est le premier pas de la tolérance. Dans la société qui
se construit, il s'agit là d'une nécessité proprement
incontournable. Saurons-nous faire ces pas ? Le feu
(du futur) couve sous les cendres, mais les cendres (du passé)
risquent toujours de l'étouffer.
Communautés ?
Un devoir pour tous
les chrétiens
est de parler juste. Pour cela, il faut écarter les « à-peu-près » et
les « vérités » de répétitions.
Parler vrai, dans toute la mesure de notre compréhension.
Il faut ainsi refuser
l'amalgame « Islam-islamisme »,
il convient d'écarter la confusion « communauté-communautarisme ».
Amalgame et confusion sont cependant courants et empêchent,
aujourd'hui, d'y
voir plus clair dans le débat « laîcité-religion ».
Nous faisons tous partie
de plusieurs communautés :
familiale, politique, ethnique, régionale, professionnelle,
philosophique ou religieuse….. Le problème ne
se pose que lorsque aucune entité ne fédère,
rassemble, intègre… ces communautés.
Ainsi, autrefois, tel
ouvrier, communiste, patriote pouvait être, en quantité de domaines,
opposé à tel officier supérieur qui
avait de toutes autres origines et convictions. Mais en temps
de guerre : tous deux étaient unis par le même
amour de ce qu'on appelait « la patrie ».
Ou encore (l'un
et l'autre cas me sont connus), tel membre de la « Cagoule » (ancien
mouvement d'extrême droite où l'on criait souvent : « mort
aux juifs ») a pu combattre, dans la résistance
aux côtés d'un résistant juif : l'amour
d'une même patrie les unissait.
Il se trouve que ce
qu'on appelait jadis « patrie » n'existe
plus guère -surtout pour les plus jeunes d'entre nous.
Et une « patrie » européenne
n'existe pas. « Pas encore », diront
les optimistes.
On verra donc se multiplier
les revendications ethniques, régionales, religieuses etc… Et même
des bandes et des maffias. Pourquoi ? C'est que l'homme
a besoin de se sentir membre d'une famille, d'une communauté qu'il
connaît et qui le reconnaît.
Bien des communautés existent dans
un pays comme les Etats-Unis. Non seulement un petit nombre
de riches et de grandes masses pauvres, mais aussi des communautés
définies par les origines nationales (irlandais, italiens,
polonais…), « raciales » (les
noirs, les asiatiques), culturelles (les hispanophones) ou
religieuses (les musulmans). Mais, dans tous les cas, une
même patrie et un même drapeau sont le bien de
tous. Dès lors, les communautés ne sont guère
senties comme un problème. Les problèmes ne
pourraient commencer que si l'appartenance à la même
nation passait au second plan.
Mais par contre, là où l'état
central se détisse et se délite, de nouvelles
solidarités sont appelées à s'affirmer.
C'est alors la montée des communautarismes, lesquels
traduisent un désir d'identité.
C'est ce qui est justement
craint dans cette Europe invertébrée. Nous ne sommes d'ailleurs
qu'au début d'un large processus qui donnera naissance à des
revendications identitaires diverses.
On a vu le cas lorsque
dans l'ex Russie soviétique disparue, on a vu prospérer les
maffias à l'intérieur et les revendications
ethnico-religieuses aux frontières. Le nouveau régime
russe doit affronter les deux : ce qu'il fait, en bien
ou en mal.
Ainsi se survit l'empire.
Je suis le plus fort, donc : j'ai raison ! La loi de l'empire ne
peut être scindée. Sinon, c'est l'empire même
qui serait divisé ! D'ailleurs, même si
elle est dure, une mauvaise loi est préférable à l'absence
de toute loi. Malheur aux déviants !
Et si la loi commençait par la tolérance ?
N'est-ce pas cela la fraternité ? La seule limite
est, évidemment, cet « ordre public »,
sans lequel aucune société ne peut subsister.
Mais, dans une démocratie, hormis cette frontière,
le respect de l'autre dans sa différence est la seule
exigence. Pourtant, sans fraternité supérieure
(une même constitution, une même patrie…),
cette exigence est un rêve irréalisable. Les attitudes religieuses sont aussi à la
mesure de notre intelligence du monde.
Tel est l'horizon « œcuménique » vers
lequel nous voulons marcher. Tant au plan « politique » qu'au
plan « religieux. S'enfermer dans une « vérité » dogmatique
exclusive serait aussi absurde que de s'ignorer lorsqu'on
est voisins ! Or les voisins d'aujourd'hui ne sont pas
les voisins d'hier. Dans le nouvel état du monde :
montre-moi ta vérité en la vivant, non en t'abritant
derrière elle. Tradition n'est pas répétition.
Jacques Chopineau,
Genappe, 15 janvier 2004 |