Une interview de Pierre Castaner
Au moment où
nombre de catholiques contestataires de leur Eglise commencent
à ne plus rien attendre de leur Eglise et à
comprendre, enfin, que Jésus est parmi eux et non dans
les hiérarchies ou dans les administrations ecclésiales,
Jean Cardonnel, le dominicain “ rouge ”
ressurgit à point nommé. Devant plus de 160
catholiques et quelques protestants libéraux invités,
il a, comme à son habitude, enflammé son auditoire.
C’était durant la veillée du samedi 22
novembre 2003 à Aix-en-Provence, au centre La Beaume tenu
par les jésuites. La Fédération
des réseaux des parvis y réunissait, durant tout un week-end, sa quarantaine
d’associations, mouvements et communautés pour
son assemblée générale annuelle.
Vous vous souvenez
de “ l’affaire
Cardonnel ” ?
Pour faire pendant aux prêches prononcés sous
la belle voûte de Notre-Dame de Paris à l’occasion
du Carême, le journal Témoignage
chrétien avait
demandé au dominicain de prêcher hors église,
à la Mutualité de Paris, là où
se faisaient la plupart des grands mettings parisiens. Nous
sommes en mars 1968. Il prêche un carême sur le
thème "Évangile et Révolution".
Le journal Le Monde titrera
: "Un prêtre rouge !". Il fut, pour
toute une génération, le grand relais de la
théologie de la libération. La crosse tombe.
Il est interdit de parole et d'écriture hors des revues
très spécialisées en théologie.
Pour parler il lui faut l'accord de l'évêque
du diocèse. Il s’en passera et son livre, Dieu
est mort en Jésus Christ, est publié aux éditions Ducros, la même
année, sans imprimatur de son Ordre. Jean Cardonnel
est devenu un écrivain comme un autre …libre
d’expression.
Pierre
Castaner, l’un des organisateurs du week-end de
Parvis, se souvient bien :
« Cardonnel ? Première conférence
: une centaine de personnes, 2ème : 300, 3ème :
1.000, etc. , et pas mal d'étudiants gauchistes
à l’écouter ! A la dernière conférence,
les intégristes catholiques veulent le lyncher en l'accusant
de trahir l'Église. Ils entonnent le credo et l'ave
maria ! Ses frères marxistes, comme il aime à
le dire, le sauvent de justesse. Il est vrai qu'il venait
de commenter Isaïe en proclamant le jeûne de cette
consommation matérialiste et du travail des exploités :
le plus beau jeûne moderne, s’était-il
écrié, c'est la grève générale
! Vous connaissez la suite : nous sommes à la
veille de mai 68… La salle de la Mutualité devint
le QG des émeutiers.
Deux ans plus tard,
j'étais au forum
des communautés chrétiennes à Montpellier.
3.000 personnes dans les années 80 ! Je faisais
la file avec mon plateau et des amis pour aller manger et,
me retournant, je vois écrit sur le badge de la personne
qui me suivait "Cardonnel " ! J'avais lu des articles
de lui et sur lui. J'étais émerveillé
de le voir en personne car il symbolisait à mes yeux
deux actes de foi qui s'opposaient historiquement, à
savoir la foi chrétienne et l'idéal communiste.
J'ai toujours vu et entendu des catholiques de droite, et
ils furent nombreux, condamner les communistes, et ces derniers,
dénoncer l'Église. Mais n’y avait t-il
pas une part de vérité dans les deux camps ?
Cardonnel reliait ces deux idéaux. Le disciple de Jésus
se reliait aux résistants au capitalisme. Il est prêtre
et marxiste ! ça fait beaucoup n’est-ce pas ?».
On n’arrête pas Pierre Castaner
lorsqu’il parle de son maître à penser :
« J'ai un tas d'histoires sur Cardo. Il est
allé par exemple se faire enchaîner pieds et
mains avec René Dumont, devant les colonnes du palais
Bourbon , l’Assemblée nationale, avec d'autres
manifestants, je ne sais plus pour quelle cause noble ! Les
CRS lui ont demandé où était la clé
du cadenas. Il répond qu’il l’a jetée
dans la Seine. Les CRS vont chercher une pince monseigneur
- faire ça au prêtre rebelle - et ils coupent
! Du coup, Dumont et lui partent à la recherche d'un
serrurier pour faire enlever le reste de leurs chaînes
autour des pieds ! Le serrurier leur dit : "A votre âge
! vous n'avez pas honte !" et là, Cardo comprend
le "devenez des enfants pour entrer dans le royaume de
Dieu !".
Une autre fois il
rejoint des manifestants écolos, gauchistes, anarchistes et j'en passe des meilleures,
sur le site où devait se bâtir une centrale nucléaire.
Des chrétiens lui proposent de célébrer
l'eucharistie. Il va avec des amis, frapper à la porte
d'un presbytère pour demander des hosties : refus
! Interdiction de l'évêque ! Il confirme qu'il
va quand même célébrer et réclame
un papier de l'évêque interdisant de le faire :
pas de papier ! Qu'à cela ne tienne, ils vont chercher
du pain à la boulangerie et il célèbre.
Là, il ose dire entre autre : "quoi de plus à
propos que de célébrer la résurrection
du Christ, la célébration de la Vie, sur un
lieu de mort ? D'insurrections en insurrections nous allons
vers la résurrection !". Cela se passe en Bretagne.
Les dames bretonnes avec leur coiffe traditionnelle, qui sympathisent
avec les manifestants car elles sentent leur village en danger,
demandent au père après avoir communié
au pain : " mais pourquoi on n'a pas eu l'hostie ?".
En 2002, le Dominicain
qui a alors 81 ans est exclu de son couvent de Montpellier
par une nouvelle génération
de jeunes dominicains moins enclins à jouer les trublions.
Vatican II repris en laisse ! Il ironise dans un article
de l’Humanité du 7 octobre 2002 : “ J'étais
entouré de faux frères, j'ai trouvé de
"vraies sœurs " !».
Raconte encore … Mais le conteur me fait
remarquer que nous ne sommes pas à la veillée,
autour d’un bon feu de bois, et que sur la toile les
plus belles histoires sont les plus courtes.
« Jean Cardonnel nous a initiés
à une culture de la transgression. Oser faire ce que
l'on pense, ne plus être prisonnier d'habitudes confessionnelles
qui, demain, nous paraîtront bien dérisoires.
Cette transgression,
des chrétiens qui se veulent libres s'apprêtent
aujourd'hui à la franchir. Ce sera une transgression,
lucide et volontaire, sans colère mais avec détermination.
Et beaucoup de chrétiens libres nous suivront. Jésus
n’a-t-il pas été un transgresseur ?
Du temple ! du shabat ! de la famille ! des rites ! d'Israël
! Et voilà qu’à partir de cette transgression,
on a bâti une Eglise conformiste, hiérarchique,
dogmatique !».
Jean-Claude Barbier,
15 décembre 2003
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