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 Dialogue


    Luc Nefontaine

 

   

 

 

   


La franc-maçonnerie

 

 

Il est bon de dire ce qu'est la franc-maçonnerie, et ce qu’elle n’est pas; ce qu'elle devrait être, et ce qu'elle ne devrait pas être, tout en gardant à l’esprit que le dernier mot sur ce phénomène pluriel et hétérogène ne sera pas dit dans ces quelques lignes.

Mais enfin, en guise de mise au point, on peut avancer les quelques données suivantes. En premier lieu, à ceux qui ne voudraient voir dans la maçonnerie qu'une secte parmi tant d'autres, on leur demandera de considérer si une institution fondée sur la tolérance et la liberté de pensée peut raisonnablement être assimilée à une secte.

Certes, chacun sait que cette tolérance si fièrement arborée peut souffrir de certaines limites et que la liberté de pensée constitue un idéal difficile à atteindre. Mais on ne voit nulle part dans la société maçonnique de dérives sectaires telles que la soumission à un leader, l'exploitation financière des membres (il faut tordre ici le cou à une légende qui voudrait faire croire que, «pour en être», il faut être riche et influent), l'endoctrinement, la manipulation des consciences.

Ensuite, ce n'est pas faire œuvre apologétique que de poser que la maçonnerie n'est en rien une société secrète, mais seulement une société discrète. Les ateliers maçonniques sont, dans notre pays, créés sous forme d’asbl et leurs statuts sont publiés dans les annexes du Moniteur belge.

Une véritable société secrète est clandestine et elle parvient à faire oublier jusqu’à son existence. Les adresses des obédiences sont bien connues et dans chaque ville les lieux où les frères et les sœurs se réunissent attisent les curiosités locales.

Que la maçonnerie soit une société discrète est en revanche une évidence, au vu de pratiques toujours actuelles qui ne laissent pas d'intriguer les profanes (ceux qui n'en font pas partie), comme le secret d'appartenance par exemple. Il est vrai que ce caractère discret suffit à alimenter les pires suspicions.

S'inspirant d'un passage des évangiles, le pape Clément XII (le premier à condamner la franc-maçonnerie) ne s'exclamait-il déjà pas en 1738 :
« S'ils ne faisaient point le mal, ils ne haïraient pas ainsi la lumière ».
De telles réactions prévalent aujourd'hui sur toutes les tentatives d'explication. Force est de constater que l’avalanche littéraire - et le présent article de même, sans doute... - ne parviennent qu'à grand peine à endiguer le mythe d'une société secrète et puissante, dont les membres, recrutés par cooptation, triés sur le volet, sont supposés tirer les ficelles de l'économie, de la politique, voire même des médias, quand leur solidarité ne passe pas pour être une gigantesque toile où se croisent affairisme, corruption et pratique de la courte échelle.

Tout se passe comme si les démentis accentuaient cet état de fait, mais il est vrai que certains discours lénifiants sur la maçonnerie ne portent pas à croire qu'il s'agit d'une société dont tous les membres ont les mains propres...

A quoi bon répéter, en effet, que la maçonnerie ne recrute que des hommes de bien et de probité, que les griefs portés à son égard ne peuvent venir que d'antimaçons rabiques, quand certains de ses membres sont condamnés par la justice et emprisonnés pour diverses affaires de corruption et de détournement de biens publics? Soyons clair, le fait que quelques brebis galeuses fréquentent les colonnes du temple ne devrait pas ternir l’image de toute une société dont l’immense majorité des membres ne recherche que le perfectionnement individuel, la fraternité et l'ouverture vers l'autre, voire vers un absolu. Les raisonnements de certains paraissent bien simplistes. L'antimaçonnisme populaire dit qu'il n'y a pas de fumée sans feu; répondons alors que l'arbre ne doit pas cacher la forêt. L'idéalisation de la société maçonnique au travers de discours éthérés ne nous paraît pas être la meilleure façon de défendre une société qui doit être défendue contre les attaques récurrentes dont elle fait l'objet.

En réalité, beaucoup de malentendus seraient dissipés si la maçonnerie de notre pays voulait se montrer plus ouverte, moins discrète, si les maçons prenaient publiquement position sur les grands sujets de société, si le secret d'appartenance était largement levé.

On objectera que l'appartenance à la maçonnerie doit demeurer cachée parce que les régimes totalitaires persécutent les maçons et qu’ils pourraient prendre à nouveau le pouvoir dans notre pays (?), qu'il ne fait pas bon se déclarer maçon dans certains milieux professionnels et qu'une déclaration d'appartenance équivaudrait, sinon à un licenciement, du moins à une mise sur une voie de garage. Etc. Précisément, de telles réactions sont, pour une part, le fruit de la discrétion maçonnique. L'extériorisation progressive constitue à nos yeux un rempart contre l'antimaçonnisme. Mais sans doute la pratique du secret fait-elle une bonne part du charme de la franc-maçonnerie et l’on ne peut exclure que certains y trouvent des compensations d'autant plus grandes que leur vie familiale ou professionnelle est morne et sans attrait.

Reste à comprendre ce qu’est la maçonnerie. Elle n'est ni une religion, ni une contre-religion (elle a pu l’être, lorsqu’elle était anticatholique et antireligieuse), elle ne saurait dès lors entrer en concurrence avec la pratique d’une religion dans le chef du maçon.

Société initiatique et philanthropique, société adelphique, elle pourrait bien constituer un bel exemple de religiosité séculière. Aux États-Unis, les loges, si ouvertes sur le monde extérieur, ont pu jouer le rôle de religion civile. En Europe, la franc-maçonnerie est promise à un bel avenir parce qu'elle répond à des besoins inscrits dans le cœur de l'homme, transcendant les divisions confessionnelles et religieuses, sans pour autant revendiquer un rôle suprareligieux et fédérateur de tous les universalismes.

Luc Nefontaine, Docteur en philosophie et lettres  

 


          

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