Il est
bon de dire ce qu'est la franc-maçonnerie, et ce qu’elle
n’est pas; ce qu'elle devrait être, et ce qu'elle
ne devrait pas être, tout en gardant à l’esprit
que le dernier mot sur ce phénomène pluriel
et hétérogène ne sera pas dit dans ces
quelques lignes.
Mais enfin, en guise de
mise au point, on peut avancer les quelques données suivantes. En premier
lieu, à ceux qui ne voudraient voir dans la maçonnerie
qu'une secte parmi tant d'autres, on leur demandera de considérer
si une institution fondée sur la tolérance et
la liberté de pensée peut raisonnablement être
assimilée à une secte.
Certes, chacun sait que
cette tolérance
si fièrement arborée peut souffrir de certaines
limites et que la liberté de pensée constitue
un idéal difficile à atteindre. Mais on ne voit
nulle part dans la société maçonnique
de dérives sectaires telles que la soumission à
un leader, l'exploitation financière des membres (il
faut tordre ici le cou à une légende qui voudrait
faire croire que, «pour en être», il faut
être riche et influent), l'endoctrinement, la manipulation
des consciences.
Ensuite, ce n'est pas
faire œuvre apologétique
que de poser que la maçonnerie n'est en rien une société
secrète, mais seulement une société discrète.
Les ateliers maçonniques sont, dans notre pays, créés
sous forme d’asbl et leurs statuts sont publiés
dans les annexes du Moniteur belge.
Une véritable société secrète
est clandestine et elle parvient à faire oublier jusqu’à
son existence. Les adresses des obédiences sont bien
connues et dans chaque ville les lieux où les frères
et les sœurs se réunissent attisent les curiosités
locales.
Que la maçonnerie soit une société
discrète est en revanche une évidence, au vu
de pratiques toujours actuelles qui ne laissent pas d'intriguer
les profanes (ceux qui n'en font pas partie), comme le secret
d'appartenance par exemple. Il est vrai que ce caractère
discret suffit à alimenter les pires suspicions.
S'inspirant d'un passage
des évangiles,
le pape Clément XII (le premier à condamner
la franc-maçonnerie) ne s'exclamait-il déjà pas
en 1738 :
« S'ils ne faisaient point le mal, ils ne haïraient
pas ainsi la lumière ».
De telles réactions prévalent aujourd'hui sur
toutes les tentatives d'explication. Force est de constater
que l’avalanche littéraire - et le présent
article de même, sans doute... - ne parviennent qu'à
grand peine à endiguer le mythe d'une société
secrète et puissante, dont les membres, recrutés
par cooptation, triés sur le volet, sont supposés
tirer les ficelles de l'économie, de la politique,
voire même des médias, quand leur solidarité
ne passe pas pour être une gigantesque toile où
se croisent affairisme, corruption et pratique de la courte
échelle.
Tout se passe comme si
les démentis accentuaient
cet état de fait, mais il est vrai que certains discours
lénifiants sur la maçonnerie ne portent pas
à croire qu'il s'agit d'une société dont
tous les membres ont les mains propres...
A quoi bon répéter, en effet,
que la maçonnerie ne recrute que des hommes de bien
et de probité, que les griefs portés à
son égard ne peuvent venir que d'antimaçons
rabiques, quand certains de ses membres sont condamnés
par la justice et emprisonnés pour diverses affaires
de corruption et de détournement de biens publics?
Soyons clair, le fait que quelques brebis galeuses fréquentent
les colonnes du temple ne devrait pas ternir l’image
de toute une société dont l’immense majorité
des membres ne recherche que le perfectionnement individuel,
la fraternité et l'ouverture vers l'autre, voire vers
un absolu. Les raisonnements de certains paraissent bien simplistes.
L'antimaçonnisme populaire dit qu'il n'y a pas de fumée
sans feu; répondons alors que l'arbre ne doit pas cacher
la forêt. L'idéalisation de la société
maçonnique au travers de discours éthérés
ne nous paraît pas être la meilleure façon
de défendre une société qui doit être
défendue contre les attaques récurrentes dont
elle fait l'objet.
En réalité, beaucoup de malentendus
seraient dissipés si la maçonnerie de notre
pays voulait se montrer plus ouverte, moins discrète,
si les maçons prenaient publiquement position sur les
grands sujets de société, si le secret d'appartenance
était largement levé.
On objectera que l'appartenance à la
maçonnerie doit demeurer cachée parce que les
régimes totalitaires persécutent les maçons
et qu’ils pourraient prendre à nouveau le pouvoir
dans notre pays (?), qu'il ne fait pas bon se déclarer
maçon dans certains milieux professionnels et qu'une
déclaration d'appartenance équivaudrait, sinon
à un licenciement, du moins à une mise sur une
voie de garage. Etc. Précisément, de telles
réactions sont, pour une part, le fruit de la discrétion
maçonnique. L'extériorisation progressive constitue
à nos yeux un rempart contre l'antimaçonnisme.
Mais sans doute la pratique du secret fait-elle une bonne
part du charme de la franc-maçonnerie et l’on
ne peut exclure que certains y trouvent des compensations
d'autant plus grandes que leur vie familiale ou professionnelle
est morne et sans attrait.
Reste à comprendre ce qu’est la
maçonnerie. Elle n'est ni une religion, ni une contre-religion
(elle a pu l’être, lorsqu’elle était
anticatholique et antireligieuse), elle ne saurait dès
lors entrer en concurrence avec la pratique d’une religion
dans le chef du maçon.
Société
initiatique et philanthropique, société adelphique,
elle pourrait bien constituer un bel exemple de religiosité
séculière. Aux États-Unis, les loges,
si ouvertes sur le monde extérieur, ont pu jouer le
rôle de religion civile. En Europe, la franc-maçonnerie
est promise à un bel avenir parce qu'elle répond
à des besoins inscrits dans le cœur de l'homme,
transcendant les divisions confessionnelles et religieuses,
sans pour autant revendiquer un rôle suprareligieux
et fédérateur de tous les universalismes.
Luc Nefontaine,
Docteur en philosophie et lettres
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