Nous aimerions
ici proposer cinq principes qui autorisent une approche positive
des autres religions sans pour autant dévaloriser et
dénaturer la foi chrétienne.
Le premier principe est d'ordre
théologique
Il souligne le simple fait que Dieu ne se laisse
jamais réduire à ce que nous en disons et à
ce que nous croyons à son sujet. Dieu demeure insoumis
à tout ce qui cherche à le définir et
le limiter à travers des discours, des dogmes, des
institutions. Il ne se laisse jamais réduire aux projections
que nous en faisons; il est toujours aussi autre chose que
ce que nous en disons. Ce principe est important pour valoriser
la différence religieuse comme le témoin de
la richesse infinie de Dieu. Les autres religions nous font
découvrir des aspects du divin que notre foi, notre
culture et nos systèmes théologiques ne peuvent
pas intégrer car ils ne peuvent précisément
pas épuiser la totalité de Dieu. L'autre nous
révèle que nos théologies et notre foi
ne sont pas les seules possibles parce que Dieu n'est pas
réductible à une seule foi, à une seule
expression théologique.
Le deuxième principe
est d'ordre philosophique
Il rappelle la nécessité de l'autre
dans la construction de nos identités. Les sciences
humaines nous ont bien montré combien sont importantes
les influences que nous subissons. Si nous restions totalement
isolés les uns des autres nous aurions vite fait de
dépérir... Ceci nous autorise même à
penser que ce qui structure réellement notre identité
dépend justement de la manière de faire le tri
parmi toutes les influences reçues. L'autre apparaît
ici comme un élément constitutif de notre identité.
La relation à celui-ci est une source constante de
créativité, de stimulation, de mise en question,
d'encouragement... La différence relève ainsi
d'une véritable nécessité. Plus les différences
sont nombreuses, plus les possibilités de renouvellement
et de transformation de chacun sont fécondes.
Le troisième principe
est d'ordre religieux
Il pointe la nécessité spirituelle
du dialogue avec les autres religions. Ce que nous venons
d'affirmer au sujet de nos identités peut l'être
aussi au sujet des religions. Une religion qui resterait imperméable
aux autres risquerait de se figer dans le temps, de se fermer
à toute discussion et de devenir une forme d'absolu
pour celui ou celle qui s'y réfère. La rencontre
nous permet en effet de ne pas sacraliser nos convictions,
de ne pas transformer nos images de Dieu en idoles. Le dialogue
interreligieux enrichit aussi la théologie d'une possibilité
extrêmement féconde de créativité.
Il confronte nos théologies à des perspectives
différentes qui peuvent en retour questionner et transformer
nos convictions et nos pratiques. Dans ce sens, le dialogue
offre aux religions la possibilité de s'enrichir de
tout ce qu'elles ne croient pas encore au sujet de Dieu.
Le quatrième principe
est d'ordre christologique
Il souligne le fait que si la référence
au Christ doit rester constitutive de la foi chrétienne,
il ne s'agit pas de faire de ce Christ une source d'exclusion.
Contre une approche «théocentrique» de
la foi chrétienne qui inviterait celle-ci à
se dessaisir d'une référence normative au Christ
pour se recentrer sur le Dieu supposé de tous, il nous
semble nécessaire, pour éviter le relativisme
et par fidélité à la foi chrétienne,
de valoriser cette référence au Christ comme
la spécificité irréductible du Christianisme.
le maintien de cette référence implique cependant
un véritable travail christologique. Si le Christ doit
rester au centre, il serait en effet incongru et contradictoire
par rapport à la prédication de Jésus-Christ,
d'en faire un instrument d'arrogance et de refus de l'autre.
A la suite du théologien Paul Tillich ou des théologiens
du Process, nous pourrons par exemple rappeler ici la nécessaire
distinction entre Jésus et le Christ. Si "Jésus"
désigne une personne historique, le "terme de
" Christ" désigne lui une fonction, celle
d'être " oint ", choisi par Dieu. Dire de
Jésus qu'il est le Christ revient donc à confesser
que nous reconnaissons que cet homme Jésus a pour fonction
de servir de Christ. Cette fonction ne lui est pas réservée
et peut donc déborder le cadre limité du Christianisme.
Si Jésus est, pour les Chrétiens, l'incarnation
emblématique et exemplaire de cette fonction Christ,
celle-ci peut désigner la présence agissante
et créatrice de Dieu dans toute l'histoire de l'humanité,
indépendamment de Jésus.
Le cinquième principe
est d'ordre métaphysique
Il fait du pluralisme
une véritable conviction
théologique. De même que nous avons besoin des
autres pour nous structurer dans nos identités, nous
aimerions affirmer ici que Dieu lui-même a très
certainement besoin de nos différences pour poursuivre
son reuvre créatrice. C'est ici un point central de
la théologie du Process. Dieu ne crée pas à
partir de rien mais se doit toujours de composer avec ce qui
est déjà là. Dieu crée en se servant
des données du monde déjà existantes,
en les associant pour les transformer et les ouvrir à
de nouvelles possibilités d'existence. Plus les différences
qui composent le réel sont fortes, plus les potentialité
de combinaisons et de transformation sont riches. Un monde
homogène, uniforme, où tout serait semblable,
serait un monde fermé à toute relation innovante.
Dieu a donc besoin de la pluralité du monde pour y
inscrire son action créatrice !
Raphaël Picon, Evangile
et liberté n° 170, p.5
|