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 Dialogue


    Lucette Decroly

 

   

1. Commençons par la vertu
2. Venons-en, enfin, au doute
3. Le doute face aux science, à la politique, à la religion
4. Une conclusion ?

 

Cette conférence, Lucette Decroly la donna pour la première fois à la demande de CRIQUETS dans le cadre des Rencontres Pluralistes le 25 octobre 1995.

Voici ce qu'elle écrivait dans notre Livre d'Or :

« Rencontre, quel beau mot !
À nous d'en faire une belle et bonne chose… c'est ce que nous espérons tous et dont il ne faut pas douter !
Merci de votre accueil.
»

Lucette Decroly nous a quitté le 25 juillet 2004.
Nous rendons hommage à cette grande dame dont nous avons tant apprécié la sagesse, la bonté et la simplicité.

 

   


Le doute, une vertu ?

 

Primum vivere, deinde, philosophari

Ne vous attendez pas à un exposé érudit qui développerait de savantes considérations philosophiques émaillées de références à Platon, Aristote, Descartes et consorts ! Je n'ai aucune formation philosophique, je vous avouerai même que je me sens souvent mal à l'aise devant des écrits philosophiques. D'une part, ils m'inspirent une admiration certaine par leur volonté d'approfondir les questions que l'Homme s'est toujours posées, je crois, à propos de ses origines et de son destin. Mais d'autre part, ces écrits me paraissent parfois sortir d'une tour d'ivoire dont -qui plus est- les occupants se protégeraient des intrus par un langage ésotérique. C'est donc sans déplaisir que j'ai lu récemment cette réflexion d'André Comte-Sponville: «philosopher, c'est penser sans preuve!».

Mon propos sera donc celui de quelqu'un qui a toujours eu besoin du contact avec la réalité. J'ai gardé de mon éducation première le désir de penser au départ du concret. Reprenant un adage antique, ma mère avait coutume de dire : «Primum vivere, deinde, philosophari». Je continue à m'y rallier ! Il me semble, en effet, que le bonheur de l'Homme ne se construit pas en chambre, qu'il s'édifie -autant que faire se peut- par le regard que l'on jette sur le monde tel qu'il est, par les relations avec autrui, par la communication des idées, des sentiments, des émotions.

Je n'ai donc d'autre ambition que de vous faire part de quelques réflexions ancrées dans mon expérience de vie, l'expérience d'une personne bien engagée dans ce qu'on appelle pudiquement le troisième âge, d'une personne qui a eu le privilège de rencontrer beaucoup de ses contemporains, issus de différents milieux sociaux et philosophiques .

On m’a présentés comme médecin “agnostique”. J'ai, c'est vrai, exercé la médecine pendant de nombreuses années, m'intéressant plus spécialement à la médecine sociale. Celle-ci approche la personne en relation avec son milieu, notamment professionnel -telles la médecine scolaire, la médecine du travail-, en rapport avec des activités spécifiques -médecine du sport, par exemple- ou encore en fonction de la classe d'âge à laquelle le sujet appartient; tout ceci sans oublier certaines maladies qui ont un impact sur la société soit par leur nature contagieuse, leur longue durée, ou encore les perturbations psychiques qu'elles entraînent en entravant la bonne intégration de l'individu dans la société.

Voici pour l'aspect médical qui, comme vous pouvez vous en rendre compte, m'a ouvert les yeux sur bien des horizons. 

Agnostique, oui, je le suis !
Peut-être savez vous que ce terme est de création récente. On en attribue la paternité, vers 1869, à Huxley, savant anglais, grand-père de Aldous Huxley l'auteur du «Meilleur des Mondes». André Lalande raconte que Huxley était irrité par l'attachement de ses confrères à toutes sortes de doctrines qui se terminaient en «isme» et auxquelles il ne pouvait se rallier. Pour traduire ses propres incertitudes métaphysiques, il aurait alors décidé de se dire adepte de l'agnosticisme. Cet humour, associé, pour le penseur, à la modestie d'oser avouer son ignorance, me plaît beaucoup.

A vrai dire, si j'étais poussée dans mes derniers retranchements, peut-être devrais-je plutôt me dire athée. Il m'est impossible de dire si, oui ou non, le monde où nous vivons a eu quelque Grand Architecte fort diligent. Je pencherais vers le «non» car la réussite de l'oeuvre me paraît discutable et, de ce fait, priver son auteur d'un attribut de perfection. Je ne crois pas à la survie d'une quelconque partie de l'individu dans quelque futur édénique ou dramatique, où son sort serait fonction d'une délicate pesée de ses bonnes et mauvaises actions. Mais j'ai le sentiment de l'universel et de l'éternel. Un jour, l’édifice des molécules qui me constituent aujourd'hui et sur lequel se bâtit ma pensée, se défera; les molécules retourneront à la nature pour entrer dans d'autres systèmes, animaux ou végétaux -que sais je et peu importe-, le cycle de l'éternité est assuré. Donc si je me dis agnostique, c'est par honnêteté intellectuelle, parce que je n'ai pas de preuve de l'existence ou de la non-existence d'une transcendance bien organisée ou non. Et voilà un premier pas vers notre sujet: l'honnêteté, vertu reconnue, associée au doute, car c'est bien du doute que je me suis engagée à vous parler aujourd'hui et non de moi-même ! D'entrée de jeu, il faudra pourtant que j'assume un paradoxe, celui, si je fais l'éloge du doute, d'avoir aussi des convictions solides, donc, une foi; même si elle repose parfois sur des utopies.

Ma thèse, ou plutôt mon hypothèse, car des rencontres comme celle-ci se fondent sur la discussion et non sur des affirmations plus ou moins dogmatiques, mon hypothèse, donc, est la suivante:
- le doute est positif, créateur parce qu'il suscite la recherche,
- le doute, parfois difficile à assumer, demande du courage de la part de celui qui veut y faire face, donc on peut le considérer comme une vertu.

Commençons par la vertu 

La vertu semble à la mode, si j'en juge par le succès remporté par la dernière publication du jeune philosophe français, André Comte-Sponville: «Petit Traité des grandes Vertus». Pourquoi, cet intérêt de nos contemporains pour la vertu ? Il y a un peu plus d'un quart de siècle, l'Europe occidentale a vécu ce tumultueux mouvement dit «de mai 68» que l'on a parfois évoqué sous cette expression: «en mai, fais ce qu'il te plaît». Toute forme d'autorité ou de pouvoir était constestée au nom des droits de la personne; bien des valeurs traditionnelles étaient remises en question mais en même temps, on exaltait la générosité, la justice, l'amour. On se souvient des deux slogans: «Il est interdit d'interdire» et «Faites l'amour et pas la guerre». Après l'euphorie, sont venues des années d'incertitude où certains souffraient du manque de repères. Peut-être faudra-t-il encore plusieurs décennies pour que les sociologues puissent dégager les enseignements à retenir de ce mouvement, en décortiquer les origines psychologiques, et en mesurer les conséquences à long terme.

Le renouveau d'intérêt pour la vertu viendrait-il du besoin de dépasser cette absence de références sécurisantes ? Je ne sais, je m'interroge.

La valeur, c'est à dire le prix, que l'on attache aux vertus et la hiérarchie selon laquelle on les présente ne sont pas immuables .Elles ont varié selon les époques et les lieux. Rappelons tout d'abord que le mot «vertu» tire son origine d'une racine latine qui signifie force; ceci peut se comprendre dans deux sens: la vertu réclame de la force de la part de celui qui veut la pratiquer mais elle lui confère aussi une force morale qui le conduit vers la sagesse. Chacun connaît la distinction classique entre les vertus théologales, celles qui rapprochent l'homme de la divinité, et les vertus cardinales, celles qui le guident sur le chemin d'une vie harmonieuse et respectable. Il n'est pas de ma compétence de vous parler des premières, Foi, Espérance, Charité ou Amour. Au passage, je vous dirai toutefois que, pour moi, la plus importante est l'espérance car, justement, elle peut s'accommoder du doute et le dépasser pour être créatrice. 

Justice, Tempérance, Prudence, Force, telles sont les vertus cardinales qui sont proposées aux Chrétiens dès l'origine. Ceux-ci, nous disent les historiens, reprennent ainsi les vertus que Platon proposait aux citoyens grecs, mettant celles-ci en rapport avec ce que nous appellerions aujourd'hui les classes socio-professionnelles: la prudence est recommandée aux artisans, la force aux militaires, la tempérance aux philosophes et la justice chapeaute le tout pour assurer l'harmonie de la cité.

Les ascètes chrétiens, ces dévots qui fuyaient le monde et se retiraient dans le désert n'avaient que faire de la prudence, vertu sociale; par contre, la chasteté et la tempérance étaient au premier rang de leurs efforts, eux qui semblaient souvent si agités par les fantasmes de plaisirs gourmands et libidineux que tentaient de leur imposer de malins démons. Pour eux, comme pour bien d'autres, la pratique des vertus a la réputation d'être toujours difficile, elle engage l'homme dans un véritable affrontement contre les vices, ce dont, au Ve siècle, le poète Prudence fera le thème de sa Psychomachie, combat de l'âme pour son salut. La lutte entre les vertus et les vices inspirera fréquemment les sculpteurs du XIIe siècle dont nous pouvons encore admirer le talent au porche de nombreuses églises romanes.

Les siècles ont passé. De nos jours, André Comte-Sponville, que j'ai déjà cité, propose une hiérarchie des vertus franchement tournée vers le monde, au premier rang de laquelle il met la politesse, suivie, certes, de bien des vertus traditionnelles mais aussi de l'humour. La politesse, dit-il, n'est pas la morale mais c'est une forme, une façon d'être, dont l'amour ne peut se passer. Quant à l'humour, il est au service de l'humilité, transforme la tristesse en joie et désamorce la haine, la colère, le fanatisme. Voilà bien, en effet, des vertus dont notre temps a grand besoin.

Venons-en, enfin, au doute !  

On peut, me semble-t-il, considérer celui-ci sous trois aspects:

Le doute préalable au choix

Je doute parce que, devant diverses hypothèses, je ne dispose pas des éléments qui permettent d'en dégager les origines, de saisir l'ensemble de leur contenu, d'en mesurer les conséquences, bref, d'apprécier leur valeur relative à défaut de pouvoir déterminer l'hypothèse que je pourrais considérer comme indiscutablement vraie, celle qui aurait ainsi mon adhésion.

Le doute précède donc ici le choix et est lié à la recherche de la vérité. Mais y a-t-il une vérité ? Sommes-nous toujours totalement objectifs devant l'analyse des faits apparemment les plus évidents et les plus clairs ? Le sommes-nous lorsqu'il s'agit de comprendre un message ? Celui-ci n'est-il pas souvent interprété en fonction du vécu personnel de celui qui le reçoit ?

Il faut parfois que nous doutions de nous-mêmes, humblement Du doute au choix, voilà qu'apparaît la responsabilité devant les engagements et la «bonne foi» qu'André Comte-Sponville considère comme moralement nécessaire. Être de bonne foi, dit-il, c'est être fidèle en paroles et en actes à sa croyance, c'est se soumettre à la volonté de ce qu'on est ou pense. J'ajouterai, c'est donc aussi être fidèle à son doute, l'assumer, si l'on se trouve devant un choix impossible. Bref, le doute nous mène donc à la sincérité à l'égard de nous-même.

Ce n'est pas tout f Face à une vérité difficilement accessible, relative probablement, peut apparaître alors l'anxiété. Il me paraît inévitable que le doute soit anxiogène mais puisqu'il faut poursuivre le chemin, le doute exige de nous de la force et du courage.

Le doute préalable au choix s'élève ainsi au rang de vertu tant du point de vue de d'intériorité» ­adoptons au passage le langage des philosophes - c’est-à-dire par les efforts intimes qu'il nous demande que de «l'extériorité» en ce qu'il nous prépare aux relations sociales en nous obligeant à nous situer par rapport à autrui.

Le doute rupture  

Nous sommes tous le fruit du milieu qui nous a vus naître et qui nous conditionne toujours même s'il se veut très libéral. La famille, l'école, l'université nous transmettent des connaissances, des opinions, des croyances, des traditions propres au monde circonscrit que sont ces structures même si elles se targuent d'ouverture. Sans doute, certains échappent-ils à la remise en question de fondements considérés comme intangibles. Sont-ils les plus forts devant la vie, les plus heureux ? Rien n'est moins sûr.

D'autres, au contraire, peuvent vivre d'intenses moments de crise où il leur apparaît nécessaire d'abandonner tout ou partie du monde d'idées, de comportements, d'attitudes qui étaient les leurs depuis parfois de longues années. Une autre vérité leur apparaît qui est rupture avec leur passé intime mais souvent aussi bouleversement de leurs relations familiales et sociales.

Cette rupture peut être très douloureuse parce qu'elle brise, parfois irrémédiablement, des liens affectifs profonds et oblige celui qui s'y résout à rechercher par lui-même un nouvel équilibre personnel. Si l'exercice est périlleux, il aboutit à la cohérence de la personnalité désormais en harmonie avec elle-même. Le doute débouchant sur une nouvelle vérité conduit à l'acceptation de soi assortie de l'acceptation des autres tels qu'ils sont dans leur propre système de pensée.

Ce doute-rupture exige de la force et incite à la tolérance; lui aussi s'élève au rang de vertu.

Qu'il soit préalable au choix ou rupture, le doute devient également vertu parce qu'il stimule la recherche, élargit l'horizon, est ouverture vers le monde et vers autrui et contribue à la formation de la personnalité.

Le doute dilettantisme 

Il est une troisième forme de doute beaucoup moins intéressante et que j'appelle le doute dilettantisme. C'est le doute de celui qui prétend voir les choses de loin - la belle excuse ! - et refuse de s'engager.

Ce doute-là est, pour moi, faiblesse et ce serait tromper la vertu que de vouloir en faire de la prudence. Ce doute-là est plutôt habileté à louvoyer entre tous les possibles, protection et amour de soi et certainement pas regard vers l'autre et générosité. Il aide peut-être à poursuivre le chemin mais ce n'est pas un chemin qui grandit l'homme, ce n'est pas le chemin de la vertu.

Le doute face aux sciences, à la politique, à la religion

Les sciences

Plus personne ne nierait de nos jours que le doute a fait progresser les sciences et, plus important, peut-être, que la science doit s'accommoder du doute. La science n'est pas révélation, elle est faite d'observations, d'expérimentations, d'analyses sur lesquelles peuvent s'édifier des synthèses qui ne sont souvent que des certitudes momentanées.

A toutes les époques, le développement de la technologie a amené une remise en question des connaissances; celle-ci a, plus d'une fois, été source de bien des difficultés pour ceux qui osaient s'y risquer tant le confort des certitudes peut séduire les intellectuels eux-mêmes. Ils ne sont pas à l'abri du dogmatisme !

Si Pasteur n'avait pas mis en doute la théorie de la génération spontanée, l'humanité en serait peut-être encore à subir, sans pouvoir de contrôle, le fléau des grandes épidémies. Toucher à l'idée de création a été pour le savant une rude entreprise !

Vingt ans ont séparé les premières observations faites par Darwin de la publication de son grand ouvrage «De l'origine des Espèces», sorti de presse en 1859. S'il était sûr de ses observations et des conclusions qu'il pouvait en tirer, Darwin se rendait compte du bouleversement que sa théorie de l'évolution allait apporter dans une société habituée à voir l'histoire du monde à travers les récits bibliques. Le XIXe siècle ne connaissait plus les bûchers mais n'avait pas, pour autant, abandonné l'intransigeance.

Oser mettre en doute ce que des générations ont considéré comme vérité demande beaucoup de courage ! Amener les autres à douter pour les guider vers de nouvelles vérités est donc bien vertu.

Mais la physique moderne va plus loin encore; elle n'est plus sûre de nous conduire vers des certitudes, elle devient doute par elle-même, à telle enseigne que Prigogine parle, à son propos, de la fin des certitudes.

Les lois de la mécanique classique ne s'appliquent que dans des domaines restreints. Dans l'étude de l'univers, de L’infiniment grand, elles cèdent la place aux probabilités, à un aspect du hasard qui ne serait même pas une nécessité. L'aléatoire, donc la non-certitude devient la règle et le doute -oh! paradoxe-, la vérité !

Plus que jamais, l'homme se retrouve devant l'angoisse de l'inconnu, il n'est plus l'élément d'une création sécurisante et déterminée. Il lui faut vivre maintenant avec l'indéterminisme et le doute est une vertu de vie.

La politique 

La politique est souvent basée sur des idéologies. Or, celles-ci dispensent de la réflexion, elles enferment dans des explications du monde et des relations des hommes entre eux qui deviennent dogmatiques, réductrices et dangereuses pour les libertés.

Le philosophe et sociologue anglais Berlin a dit des idéologies qu'elles transformaient les hommes en victimes ou en esclaves, ce qu'a, hélas!, bien démontré le XXe siècle . Comment éviter ce risque si ce n'est en élevant le doute au rang de vertu socio-politique en en faisant la base même de la tolérance ?

On a parlé d'abondance de la tolérance. Je n'aurai donc aucunement la prétention d'innover à ce sujet mais il est des choses bonnes à redire ! La tolérance ne doit être confondue ni avec le scepticisme ni avec le laxisme.

Elle n'est autre chose -et c'est beaucoup !- que le respect de l'autre, de la personne à laquelle on reconnaît le droit d'exprimer librement ses idées sans pour autant se priver du droit de les combattre si on les estime erronées ni moins encore sans se priver du droit d'exprimer et de défendre ses propres idées. On a dit que la tolérance infinie serait la fin de la tolérance car une tolérance sans limite aboutirait à laisser se développer les erreurs les plus pernicieuses pour le respect de la personne et pour la démocratie.

Mais être tolérant suppose aussi que l'on soit amené à douter de ce qu'on a considéré comme vérité, que l'on soit capable de remettre en question ce que l'on pensait pour se tourner vers une nouvelle vérité parce que les arguments de l'autre ont convaincu. Je dirais volontiers que la tolérance est une recherche partagée de la vérité, qu'elle n'est ni faiblesse ni passivité et que le doute qui y amène est une vertu nécessaire à l'équilibre social.

Et la religion 

Devant un auditoire comme celui qui m'accueille ce soir, je ne peux évidemment pas esquiver la question !

Nous entrons ici dans un domaine qui, selon moi, relève entièrement du subjectif et de l'affectif.

Certains ont parlé de «l'homo religiosus», considérant que le besoin d'un lien avec une transcendance extérieure au monde matériel était inné chez l'homme et, par conséquent, universel. Rien ne le prouve. Certes, la croyance en l'existence de quelque chose qui dépasse l'homme et intervient peu ou prou dans sa destinée est fort répandue. Mais on ne peut, pour autant, affirmer que la religion, en tant que lien avec la transcendance, même si elle se réduit à une option sans pratique, soit indispensable à tous.

D'autre part, il faut reconnaître que cette croyance a pris des formes très variées au fil du temps et dans la diversité géographique et culturelle. La pensée religieuse orientale ou africaine n’est pas celle de l'occident.

Je limiterai ces quelques prudentes considérations au monde occidental. Répondant, peut-être, à l'appel du rationnel dont le besoin caractériserait celui-ci, les théologiens me semblent y jouer un rôle important en s'efforçant d'associer foi et raison, de justifier la première par la seconde. Est-ce vraiment nécessaire ? Ne peut-on accepter sa foi comme un engagement que l'on assume parce qu'on y trouve le bonheur sans devoir en rendre compte par de savants raisonnements ? Que l'on doive étayer sa croyance sur la raison ne me paraît ni nécessaire ni souhaitable car ce serait porter atteinte à la «bonne foi», à la fidélité de la personne à ses sentiments, à son autonomie.

Ce qui me paraît, par contre indispensable, c'est que le croyant, quelle que soit sa foi, accepte le doute de l'autre et reconnaisse que sa propre foi n'est pas l'unique voie du bonheur pour l'humanité, respectant donc la liberté de chacun dans l'expression de sa propre affectivité. Le prosélytisme est souvent facteur d'intolérance.

Si le respect de la personne dans ses options personnelles est déjà nécessaire à la bonne harmonie sociale, il devient dangereux pour celle-ci d'imposer une religion comme base de la bonne organisation de la société. Le doute devant le caractère universel d'une foi déterminée devient la vertu qui permet d'édifier une société pluraliste, certainement, mais vraiment laïque parce que la religion y est reconnue comme une affaire strictement personnelle dans laquelle l’État ne peut s'arroger le droit d'intervenir pas plus qu'il n'a à s'en inspirer dans l'organisation et la gestion de la vie collective.

Une conclusion ?

Ce bref exposé m'amène à une conclusion, toute personnelle, cela va de soi. Vous aurez compris que l'hypothèse, «le doute, une vertu ?» prend pour moi la valeur d'une thèse. Le doute est source de richesse pour les connaissances et les relations humaines. Il mérite bien que nous le considérions comme une vertu, une vertu qui s'appuyera sur l'esprit critique, facteur primordial de l'éducation de base, sur le libre examen, l'autonomie du jugement, la curiosité -qui n'a rien d'un vilain défaut- et surtout sur le respect, la reconnaissance de l'autre et - pourquoi pas ? - l'amour.

Lucette Schouters-Decroly, agnostique,
Les Rencontres Pluralistes
/ Braine l'Alleud, 25 octobre 1995 

 


          

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