Primum
vivere, deinde, philosophari
Ne vous attendez pas à un exposé
érudit qui développerait de savantes considérations
philosophiques émaillées de références
à Platon, Aristote, Descartes et consorts ! Je n'ai
aucune formation philosophique, je vous avouerai même
que je me sens souvent mal à l'aise devant des écrits
philosophiques. D'une part, ils m'inspirent une admiration
certaine par leur volonté d'approfondir les questions
que l'Homme s'est toujours posées, je crois, à
propos de ses origines et de son destin. Mais d'autre part,
ces écrits me paraissent parfois sortir d'une tour
d'ivoire dont -qui plus est- les occupants se protégeraient
des intrus par un langage ésotérique. C'est
donc sans déplaisir que j'ai lu récemment cette
réflexion d'André Comte-Sponville: «philosopher,
c'est penser sans preuve!».
Mon propos sera donc celui
de quelqu'un qui a toujours eu besoin du contact avec la
réalité.
J'ai gardé de mon éducation première
le désir de penser au départ du concret. Reprenant
un adage antique, ma mère avait coutume de dire : «Primum
vivere, deinde, philosophari». Je continue à
m'y rallier ! Il me semble, en effet, que le bonheur de l'Homme
ne se construit pas en chambre, qu'il s'édifie -autant
que faire se peut- par le regard que l'on jette sur le monde
tel qu'il est, par les relations avec autrui, par la communication
des idées, des sentiments, des émotions.
Je n'ai donc d'autre ambition
que de vous faire part de quelques réflexions ancrées dans mon
expérience de vie, l'expérience d'une personne
bien engagée dans ce qu'on appelle pudiquement le troisième
âge, d'une personne qui a eu le privilège de
rencontrer beaucoup de ses contemporains, issus de différents
milieux sociaux et philosophiques .
On m’a présentés
comme médecin “agnostique”. J'ai, c'est
vrai, exercé la médecine pendant de nombreuses
années, m'intéressant plus spécialement
à la médecine sociale. Celle-ci approche la
personne en relation avec son milieu, notamment professionnel
-telles la médecine scolaire, la médecine du
travail-, en rapport avec des activités spécifiques
-médecine du sport, par exemple- ou encore en fonction
de la classe d'âge à laquelle le sujet appartient;
tout ceci sans oublier certaines maladies qui ont un impact
sur la société soit par leur nature contagieuse,
leur longue durée, ou encore les perturbations psychiques
qu'elles entraînent en entravant la bonne intégration
de l'individu dans la société.
Voici pour l'aspect
médical qui, comme vous pouvez vous en rendre compte,
m'a ouvert les yeux sur bien des horizons.
Agnostique, oui, je le suis !
Peut-être savez vous que ce terme est de création
récente. On en attribue la paternité, vers 1869,
à Huxley, savant anglais, grand-père de Aldous
Huxley l'auteur du «Meilleur des Mondes». André
Lalande raconte que Huxley était irrité par
l'attachement de ses confrères à toutes sortes
de doctrines qui se terminaient en «isme» et auxquelles
il ne pouvait se rallier. Pour traduire ses propres incertitudes
métaphysiques, il aurait alors décidé
de se dire adepte de l'agnosticisme. Cet humour, associé,
pour le penseur, à la modestie d'oser avouer son ignorance,
me plaît beaucoup.
A vrai dire, si j'étais poussée
dans mes derniers retranchements, peut-être devrais-je
plutôt me dire athée. Il m'est impossible de
dire si, oui ou non, le monde où nous vivons a eu quelque
Grand Architecte fort diligent. Je pencherais vers le «non»
car la réussite de l'oeuvre me paraît discutable
et, de ce fait, priver son auteur d'un attribut de perfection.
Je ne crois pas à la survie d'une quelconque partie
de l'individu dans quelque futur édénique ou
dramatique, où son sort serait fonction d'une délicate
pesée de ses bonnes et mauvaises actions. Mais j'ai
le sentiment de l'universel et de l'éternel. Un jour,
l’édifice des molécules qui me constituent
aujourd'hui et sur lequel se bâtit ma pensée,
se défera; les molécules retourneront à
la nature pour entrer dans d'autres systèmes, animaux
ou végétaux -que sais je et peu importe-, le
cycle de l'éternité est assuré. Donc
si je me dis agnostique, c'est par honnêteté
intellectuelle, parce que je n'ai pas de preuve de l'existence
ou de la non-existence d'une transcendance bien organisée
ou non. Et voilà un premier pas vers notre sujet: l'honnêteté,
vertu reconnue, associée au doute, car c'est bien du
doute que je me suis engagée à vous parler aujourd'hui
et non de moi-même ! D'entrée de jeu, il faudra
pourtant que j'assume un paradoxe, celui, si je fais l'éloge
du doute, d'avoir aussi des convictions solides, donc, une
foi; même si elle repose parfois sur des utopies.
Ma thèse, ou
plutôt mon hypothèse, car des rencontres comme
celle-ci se fondent sur la discussion et non sur des affirmations
plus ou moins dogmatiques, mon hypothèse, donc, est
la suivante:
- le doute est positif, créateur parce qu'il suscite
la recherche,
- le doute, parfois difficile à assumer, demande du
courage de la part de celui qui veut y faire face, donc on
peut le considérer comme une vertu.
Commençons
par la vertu
La vertu semble à la mode, si j'en juge
par le succès remporté par la dernière
publication du jeune philosophe français, André
Comte-Sponville: «Petit Traité des grandes Vertus».
Pourquoi, cet intérêt de nos contemporains pour
la vertu ? Il y a un peu plus d'un quart de siècle,
l'Europe occidentale a vécu ce tumultueux mouvement
dit «de mai 68» que l'on a parfois évoqué
sous cette expression: «en mai, fais ce qu'il te plaît».
Toute forme d'autorité ou de pouvoir était constestée
au nom des droits de la personne; bien des valeurs traditionnelles
étaient remises en question mais en même temps,
on exaltait la générosité, la justice,
l'amour. On se souvient des deux slogans: «Il est interdit
d'interdire» et «Faites l'amour et pas la guerre».
Après l'euphorie, sont venues des années d'incertitude
où certains souffraient du manque de repères.
Peut-être faudra-t-il encore plusieurs décennies
pour que les sociologues puissent dégager les enseignements
à retenir de ce mouvement, en décortiquer les
origines psychologiques, et en mesurer les conséquences
à long terme.
Le renouveau d'intérêt pour la
vertu viendrait-il du besoin de dépasser cette absence
de références sécurisantes ? Je ne sais,
je m'interroge.
La valeur, c'est à
dire le prix, que l'on attache aux vertus et la hiérarchie
selon laquelle on les présente ne sont pas immuables
.Elles ont varié selon les époques et les lieux.
Rappelons tout d'abord que le mot «vertu» tire
son origine d'une racine latine qui signifie force; ceci peut
se comprendre dans deux sens: la vertu réclame de la
force de la part de celui qui veut la pratiquer mais elle
lui confère aussi une force morale qui le conduit vers
la sagesse. Chacun connaît la distinction classique
entre les vertus théologales, celles qui rapprochent
l'homme de la divinité, et les vertus cardinales, celles
qui le guident sur le chemin d'une vie harmonieuse et respectable.
Il n'est pas de ma compétence de vous parler des premières,
Foi, Espérance, Charité ou Amour. Au passage,
je vous dirai toutefois que, pour moi, la plus importante
est l'espérance car, justement, elle peut s'accommoder
du doute et le dépasser pour être créatrice.
Justice, Tempérance, Prudence, Force,
telles sont les vertus cardinales qui sont proposées
aux Chrétiens dès l'origine. Ceux-ci, nous disent
les historiens, reprennent ainsi les vertus que Platon proposait
aux citoyens grecs, mettant celles-ci en rapport avec ce que
nous appellerions aujourd'hui les classes socio-professionnelles:
la prudence est recommandée aux artisans, la force
aux militaires, la tempérance aux philosophes et la
justice chapeaute le tout pour assurer l'harmonie de la cité.
Les ascètes chrétiens, ces dévots
qui fuyaient le monde et se retiraient dans le désert
n'avaient que faire de la prudence, vertu sociale; par contre,
la chasteté et la tempérance étaient
au premier rang de leurs efforts, eux qui semblaient souvent
si agités par les fantasmes de plaisirs gourmands et
libidineux que tentaient de leur imposer de malins démons.
Pour eux, comme pour bien d'autres, la pratique des vertus
a la réputation d'être toujours difficile, elle
engage l'homme dans un véritable affrontement contre
les vices, ce dont, au Ve siècle, le poète Prudence
fera le thème de sa Psychomachie, combat de l'âme
pour son salut. La lutte entre les vertus et les vices inspirera
fréquemment les sculpteurs du XIIe siècle dont
nous pouvons encore admirer le talent au porche de nombreuses
églises romanes.
Les siècles ont
passé. De nos jours, André Comte-Sponville,
que j'ai déjà cité, propose une hiérarchie
des vertus franchement tournée vers le monde, au premier
rang de laquelle il met la politesse, suivie, certes, de bien
des vertus traditionnelles mais aussi de l'humour. La politesse,
dit-il, n'est pas la morale mais c'est une forme, une façon
d'être, dont l'amour ne peut se passer. Quant à
l'humour, il est au service de l'humilité, transforme
la tristesse en joie et désamorce la haine, la colère,
le fanatisme. Voilà bien, en effet, des vertus dont
notre temps a grand besoin.
Venons-en,
enfin, au doute !
On peut,
me semble-t-il, considérer celui-ci sous trois aspects:
Le doute préalable
au choix
Je doute parce que, devant
diverses hypothèses,
je ne dispose pas des éléments qui permettent
d'en dégager les origines, de saisir l'ensemble de
leur contenu, d'en mesurer les conséquences, bref,
d'apprécier leur valeur relative à défaut
de pouvoir déterminer l'hypothèse que je pourrais
considérer comme indiscutablement vraie, celle qui
aurait ainsi mon adhésion.
Le doute précède donc ici le choix
et est lié à la recherche de la vérité.
Mais y a-t-il une vérité ? Sommes-nous toujours
totalement objectifs devant l'analyse des faits apparemment
les plus évidents et les plus clairs ? Le sommes-nous
lorsqu'il s'agit de comprendre un message ? Celui-ci n'est-il
pas souvent interprété en fonction du vécu
personnel de celui qui le reçoit ?
Il faut parfois que nous
doutions de nous-mêmes,
humblement Du doute au choix, voilà qu'apparaît
la responsabilité devant les engagements et la «bonne
foi» qu'André Comte-Sponville considère
comme moralement nécessaire. Être de bonne foi,
dit-il, c'est être fidèle en paroles et en actes
à sa croyance, c'est se soumettre à la volonté
de ce qu'on est ou pense. J'ajouterai, c'est donc aussi être
fidèle à son doute, l'assumer, si l'on se trouve
devant un choix impossible. Bref, le doute nous mène
donc à la sincérité à l'égard
de nous-même.
Ce n'est pas tout f Face à une vérité
difficilement accessible, relative probablement, peut apparaître
alors l'anxiété. Il me paraît inévitable
que le doute soit anxiogène mais puisqu'il faut poursuivre
le chemin, le doute exige de nous de la force et du courage.
Le doute préalable au choix s'élève
ainsi au rang de vertu tant du point de vue de d'intériorité»
adoptons au passage le langage des philosophes - c’est-à-dire
par les efforts intimes qu'il nous demande que de «l'extériorité»
en ce qu'il nous prépare aux relations sociales en
nous obligeant à nous situer par rapport à autrui.
Le doute rupture
Nous sommes tous le fruit
du milieu qui nous a vus naître et qui nous conditionne toujours même
s'il se veut très libéral. La famille, l'école,
l'université nous transmettent des connaissances, des
opinions, des croyances, des traditions propres au monde circonscrit
que sont ces structures même si elles se targuent d'ouverture.
Sans doute, certains échappent-ils à la remise
en question de fondements considérés comme intangibles.
Sont-ils les plus forts devant la vie, les plus heureux ?
Rien n'est moins sûr.
D'autres, au contraire,
peuvent vivre d'intenses moments de crise où il leur apparaît nécessaire
d'abandonner tout ou partie du monde d'idées, de comportements,
d'attitudes qui étaient les leurs depuis parfois de
longues années. Une autre vérité leur
apparaît qui est rupture avec leur passé intime
mais souvent aussi bouleversement de leurs relations familiales
et sociales.
Cette rupture peut être très douloureuse
parce qu'elle brise, parfois irrémédiablement,
des liens affectifs profonds et oblige celui qui s'y résout
à rechercher par lui-même un nouvel équilibre
personnel. Si l'exercice est périlleux, il aboutit
à la cohérence de la personnalité désormais
en harmonie avec elle-même. Le doute débouchant
sur une nouvelle vérité conduit à l'acceptation
de soi assortie de l'acceptation des autres tels qu'ils sont
dans leur propre système de pensée.
Ce doute-rupture exige
de la force et incite à la tolérance; lui aussi s'élève
au rang de vertu.
Qu'il soit préalable au choix ou rupture,
le doute devient également vertu parce qu'il stimule
la recherche, élargit l'horizon, est ouverture vers
le monde et vers autrui et contribue à la formation
de la personnalité.
Le doute dilettantisme
Il est une troisième forme de doute beaucoup
moins intéressante et que j'appelle le doute dilettantisme.
C'est le doute de celui qui prétend voir les choses
de loin - la belle excuse ! - et refuse de s'engager.
Ce doute-là est, pour moi, faiblesse
et ce serait tromper la vertu que de vouloir en faire de la
prudence. Ce doute-là est plutôt habileté
à louvoyer entre tous les possibles, protection et
amour de soi et certainement pas regard vers l'autre et générosité.
Il aide peut-être à poursuivre le chemin mais
ce n'est pas un chemin qui grandit l'homme, ce n'est pas
le
chemin de la vertu.
Le doute
face aux sciences, à la politique, à la religion
Les sciences
Plus personne ne nierait
de nos jours que le doute a fait progresser les sciences
et, plus important, peut-être,
que la science doit s'accommoder du doute. La science n'est
pas révélation, elle est faite d'observations,
d'expérimentations, d'analyses sur lesquelles peuvent
s'édifier des synthèses qui ne sont souvent
que des certitudes momentanées.
A toutes les époques, le développement
de la technologie a amené une remise en question des
connaissances; celle-ci a, plus d'une fois, été
source de bien des difficultés pour ceux qui osaient
s'y risquer tant le confort des certitudes peut séduire
les intellectuels eux-mêmes. Ils ne sont pas à l'abri
du dogmatisme !
Si Pasteur n'avait pas
mis en doute la théorie
de la génération spontanée, l'humanité
en serait peut-être encore à subir, sans pouvoir
de contrôle, le fléau des grandes épidémies.
Toucher à l'idée de création a été pour
le savant une rude entreprise !
Vingt ans ont séparé les premières
observations faites par Darwin de la publication de son grand
ouvrage «De l'origine des Espèces», sorti
de presse en 1859. S'il était sûr de ses observations
et des conclusions qu'il pouvait en tirer, Darwin se rendait
compte du bouleversement que sa théorie de l'évolution
allait apporter dans une société habituée
à voir l'histoire du monde à travers les récits
bibliques. Le XIXe siècle ne connaissait plus les bûchers
mais n'avait pas, pour autant, abandonné l'intransigeance.
Oser mettre en doute ce
que des générations
ont considéré comme vérité demande
beaucoup de courage ! Amener les autres à douter pour
les guider vers de nouvelles vérités est donc
bien vertu.
Mais la physique moderne
va plus loin encore; elle n'est plus sûre de nous conduire vers des certitudes,
elle devient doute par elle-même, à telle enseigne
que Prigogine parle, à son propos, de la fin des certitudes.
Les lois de la mécanique classique ne
s'appliquent que dans des domaines restreints. Dans l'étude
de l'univers, de L’infiniment grand, elles cèdent
la place aux probabilités, à un aspect du hasard
qui ne serait même pas une nécessité.
L'aléatoire, donc la non-certitude devient la règle
et le doute -oh! paradoxe-, la vérité !
Plus que jamais, l'homme
se retrouve devant l'angoisse de l'inconnu, il n'est plus
l'élément
d'une création sécurisante et déterminée.
Il lui faut vivre maintenant avec l'indéterminisme
et le doute est une vertu de vie.
La politique
La politique est souvent
basée sur des idéologies. Or, celles-ci dispensent
de la réflexion, elles enferment dans des explications
du monde et des relations des hommes entre eux qui deviennent
dogmatiques, réductrices et dangereuses pour les libertés.
Le philosophe et sociologue
anglais Berlin a dit des idéologies qu'elles transformaient les hommes
en victimes ou en esclaves, ce qu'a, hélas!, bien démontré
le XXe siècle . Comment éviter ce risque si
ce n'est en élevant le doute au rang de vertu socio-politique
en en faisant la base même de la tolérance ?
On a parlé d'abondance de la tolérance.
Je n'aurai donc aucunement la prétention d'innover
à ce sujet mais il est des choses bonnes à redire
! La tolérance ne doit être confondue ni avec
le scepticisme ni avec le laxisme.
Elle n'est autre chose
-et c'est beaucoup !- que le respect de l'autre, de la
personne à laquelle
on reconnaît le droit d'exprimer librement ses idées
sans pour autant se priver du droit de les combattre si on
les estime erronées ni moins encore sans se priver
du droit d'exprimer et de défendre ses propres idées.
On a dit que la tolérance infinie serait la fin de
la tolérance car une tolérance sans limite aboutirait
à laisser se développer les erreurs les plus
pernicieuses pour le respect de la personne et pour la démocratie.
Mais être tolérant suppose aussi
que l'on soit amené à douter de ce qu'on a considéré
comme vérité, que l'on soit capable de remettre
en question ce que l'on pensait pour se tourner vers une nouvelle
vérité parce que les arguments de l'autre ont
convaincu. Je dirais volontiers que la tolérance est
une recherche partagée de la vérité,
qu'elle n'est ni faiblesse ni passivité et que le doute
qui y amène est une vertu nécessaire à
l'équilibre social.
Et la religion
Devant un auditoire comme
celui qui m'accueille ce soir, je ne peux évidemment
pas esquiver la question !
Nous entrons ici dans
un domaine qui, selon moi, relève entièrement
du subjectif et de l'affectif.
Certains ont parlé de «l'homo religiosus»,
considérant que le besoin d'un lien avec une transcendance
extérieure au monde matériel était inné
chez l'homme et, par conséquent, universel. Rien ne
le prouve. Certes, la croyance en l'existence de quelque chose
qui dépasse l'homme et intervient peu ou prou dans
sa destinée est fort répandue. Mais on ne peut,
pour autant, affirmer que la religion, en tant que lien avec
la transcendance, même si elle se réduit à
une option sans pratique, soit indispensable à tous.
D'autre part, il faut
reconnaître que
cette croyance a pris des formes très variées
au fil du temps et dans la diversité géographique
et culturelle. La pensée religieuse orientale ou africaine
n’est pas celle de l'occident.
Je limiterai ces quelques
prudentes considérations
au monde occidental. Répondant, peut-être, à
l'appel du rationnel dont le besoin caractériserait
celui-ci, les théologiens me semblent y jouer un rôle
important en s'efforçant d'associer foi et raison,
de justifier la première par la seconde. Est-ce vraiment
nécessaire ? Ne peut-on accepter sa foi comme un engagement
que l'on assume parce qu'on y trouve le bonheur sans devoir
en rendre compte par de savants raisonnements ? Que l'on doive
étayer sa croyance sur la raison ne me paraît
ni nécessaire ni souhaitable car ce serait porter atteinte
à la «bonne foi», à la fidélité
de la personne à ses sentiments, à son autonomie.
Ce qui me paraît, par contre indispensable,
c'est que le croyant, quelle que soit sa foi, accepte le doute
de l'autre et reconnaisse que sa propre foi n'est pas l'unique
voie du bonheur pour l'humanité, respectant donc la
liberté de chacun dans l'expression de sa propre affectivité.
Le prosélytisme est souvent facteur d'intolérance.
Si le respect de la personne
dans ses options personnelles est déjà nécessaire à
la bonne harmonie sociale, il devient dangereux pour celle-ci
d'imposer une religion comme base de la bonne organisation
de la société. Le doute devant le caractère
universel d'une foi déterminée devient la vertu
qui permet d'édifier une société pluraliste,
certainement, mais vraiment laïque parce que la religion
y est reconnue comme une affaire strictement personnelle dans
laquelle l’État ne peut s'arroger le droit d'intervenir
pas plus qu'il n'a à s'en inspirer dans l'organisation
et la gestion de la vie collective.
Une
conclusion ?
Ce bref exposé m'amène à
une conclusion, toute personnelle, cela va de soi. Vous aurez
compris que l'hypothèse, «le doute, une vertu
?» prend pour moi la valeur d'une thèse. Le doute
est source de richesse pour les connaissances et les relations
humaines. Il mérite bien que nous le considérions
comme une vertu, une vertu qui s'appuyera sur l'esprit critique,
facteur primordial de l'éducation de base, sur le libre
examen, l'autonomie du jugement, la curiosité -qui
n'a rien d'un vilain défaut- et surtout sur le respect,
la reconnaissance de l'autre et - pourquoi pas ? - l'amour.
Lucette Schouters-Decroly,
agnostique,
Les Rencontres Pluralistes / Braine
l'Alleud, 25 octobre 1995
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