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 Les chroniques



    Rachad Armanios

 

Le fondamentalisme, et ses dérives, prend de plus en plus d'ampleur en Europe

LAUSANNE - Mercredi soir à Malley s'ouvrait une conférence internationale de la guérison. Jésus y aurait soigné un grand nombre de bobos.

Reportage du COURRIER du 19 mai 2007

 

   

 


Le Saint-Esprit est prêt à vous opérer ce soir

 

 


Il y a foule aux « Urgences du Saint-Esprit »

« Nous sommes dans son Service des urgences spirituelles. Il va vous soigner de vos tumeurs, rhumatismes, problèmes aux yeux. Ce soir, je vous laisse entre les mains du Chirurgien. »

Ironie de l'Histoire, les Occidentaux, après avoir évangélisé l'Afrique, accueillent des prédicateurs de ce continent, prêchant la Bonne Parole dans un langage décomplexé. À l'image de Mamadou Karambiri, pasteur évangélique de la plus grande Eglise du Burkina Faso, selon l'Association internationale des ministères de guérison (AIMG), basée à Oron (VD). Celle-ci l'a invité à l'occasion d'une Conférence internationale de la guérison qui se tient pour la troisième fois dans le canton de Vaud. Jusqu'à dimanche, ce rassemblement de quatre jours à la patinoire de Malley devrait attirer 6000 à 8000 personnes, selon les pronostics des organisateurs. Une cinquantaine d'orateurs des quatre coins du monde (USA, Chine, Suisse...) sont de la partie.

Ce mercredi soir, le prédicateur Karambiri, djellaba orange et cheveux grisonnants, intime aux démons de quitter la salle. Sa voix est impérieuse. Elle tonne lorsqu'il «commande aux oreilles malades de fonctionner parfaitement: oreilles, ouvrez-vous!»

Face à lui, 2.500 chrétiens – en majorité évangéliques – boivent ses paroles. Il y a là des jeunes et moins jeunes, des familles et plusieurs personnes handicapées.

Séances de guérison, prêches et chansons s'alternent. Des écrans géants ont été dressés et les interventions sont traduites en anglais ou en français. Certains orateurs gémissent de joie en glorifiant Dieu, les alléluias et les mains s'élèvent vers le ciel tandis que des croyants sont front contre sol. En retrait, une femme exaltée, pieds nus, tournoie et gesticule dans tous les sens. L'ambiance est oppressante.

Grand coeur bombé  

Vice-président de l'AIMG (laquelle s'inscrit dans les courants pentecôtistes et charismatiques), le pasteur évangélique vaudois Werner Lehmann nous cite dans une arrière-salle les passages du Nouveau Testament où Jésus opère des guérisons miraculeuses. Alors que les protestants libéraux y voient légendes et fantaisies, que d'autres courants théologiques les interprètent métaphoriquement ou les dissimulent, les fondamentalistes y croient dur comme fer.

Surtout, ils les pratiquent encore. M. Lehmann jure avoir vu, de ses yeux vu, des sourds recouvrer l'ouïe. Ces « guérisons surnaturelles » sont l'un des éléments qui contribuent le plus au succès des mouvements charismatiques et pentecôtistes. Pour preuve, dans le public, on trouve bon nombre de catholiques et de réformés. « L'esprit du rassemblement se veut oecuménique », assure Werner Lehmann.

Suzanne, mariée à un pasteur réformé, affirme avoir guéri d'un cancer grâce à la prière. Ce soir, cette retraitée accompagne son petit-fils. L'enfant est assis sur les genoux de son père, à côté de son fauteuil roulant. Il souffre d'un retard mental, mais «grâce à Dieu, son cerveau se reconstruit peu à peu», se réjouit Suzanne. Sa fille met toutefois les points sur les i. «On ne vient pas ici comme à Lourdes. Nous ne réclamons pas un miracle. Si la guérison vient, super. Mais notre relation avec Dieu, c'est un parcours de vie.» «J'aime Dieu pour lui-même, pas pour ce qu'il offre», ajoute Suzanne, avec un sourire qu'on ne peut que qualifier d'évangélique. Dans la salle, quelqu'un agite un drapeau figurant un grand coeur bombé.

Un pari risqué  

Même remplis d'amour, les coeurs sont fragiles. Sur le site internet de l'AIMG, une femme raconte qu'un jour, à l'église, elle a senti comme des aiguilles se planter dans le sien. Une «femme de prières» lui propose alors de prier pour elle. La souffrante renonce alors à se rendre à l'Hôpital et affirme avoir été guérie.

Un pari risqué? «Nous n'avons pas la prétention de nous substituer à la médecine traditionnelle, que nous respectons et avec laquelle nous collaborons», assure Werner Lehmann. D'ailleurs, à Malley, des médecins – chrétiens – sont à disposition pour répondre aux questions.
Leur stand est vide quand nous nous y rendons...

Entre-temps, l'évangéliste burkinabé a ordonné à l'Esprit Saint de s'occuper des yeux, des épaules, des genoux et autres articulations défaillantes. Au pied du podium, il a rassemblé quelques fidèles. L'un d'eux affirme au micro: «Mes oreilles ne me font plus mal.» Dans le public, une vieille dame, s'appuyant sur une canne, fait pivoter son genou pour vérifier s'il grince moins.