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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

   

 

 

(1) Formulation reprise de l’article Tariq Ramadan, Caroline Fourest et l’islamisation de la France de Mona Chollet pour qui « être en désaccord avec Tariq Ramadan ne doit pas conduire à cautionner la diabolisation dont il est l’objet. Voir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(2) Voir Arthur Schopenhauer, dans Parerga et paralipomena, la « parabole » des porcs-épics.

 

 

 

(3) Le Soir du 1/3/2007, Carte Blanche rédigée par le Recteur de l’ULB et sa conseillère : Le Libre Examen aujourd’hui : ni Munich ni la Chasse aux sorcières.

(4) À ne pas confondre avec « idiotie »…

 

 

(5) « Action de censurer, d’interdire, tout ou partie d’une communication quelconque », Larousse.

 

 

 

(6) Raoul Vaneigem, Rien n’est sacré, tout peut se dire, La Découverte, Paris 2003, p. 22

 

 

 


À proprement parler…

 

 

On entend beaucoup parler, ces derniers temps, de « double langage », surtout à propos de Tariq Ramadan pour qui le slogan semble avoir été taillé sur mesure. Utilisée de façon récurrente pour qualifier le discours de cet homme – islamologue moderniste pour certains, prédicateur intégriste pour d’autres – l’expression a été lancée par ses détracteurs et s’est répandue comme une traînée de poudre à travers certains médias hélas atteints d’un psittacisme compulsif dès lors qu’il s’agit de colporter un cliché à la mode.

Mais le « Méphisto basané » (1) n’est pas la seule cible de cette manie. On parle aujourd’hui du double langage de tel candidat à l’Élysée, du double langage de l’Union Européenne, de celui du Pape ou encore de tel cartel mondial de communication : hommes politiques, gouvernements, églises, entreprises – pour ne citer que quelques exemples – ont apparemment attrapé le virus.

Finalement, de quoi s’agit-il ? Dans certains commentaires, la locution désigne l’attitude de celui dont les actes ne sont pas conformes aux paroles, aux promesses, aux résolutions. Dans ce cas, il faut qu’il y ait constat – ce qui ne manque pas, notamment en politique. Il est question ici de baratin, de démagogie, de manipulation.

Une autre définition stipule qu’il y a double langage lorsque des laïus différents sont prononcés par une même personne en fonction de l’auditoire, de ses tropismes, de ses codes… À la même question, il y aurait une réponse côté cour et une côté jardin, sensiblement différentes l’une de l’autre.

Au sens figuré, « double » signifie, selon Robert : « qui a deux aspects, dont un seul est révélé », introduisant ici la notion moderne de duplicité explicitée via une citation de Michelet : « Le Roi, malgré son éducation jésuitique et la duplicité ordinaire aux princes, avait un fonds d’honnêteté ».

Quelle qu’en soit l’interprétation, il semble bien que le double langage tant décrié ne soit somme toute qu’une pratique bien banale qui sévit à tous les niveaux de la société. Et ses dénonciateurs ne sont pas l’abri. Comment pourrait-on y échapper dans un environnement –peu importe lequel – où il n’est pas bon d’afficher des positions qui ne se calqueraient pas sur celles de la majorité ? Il paraît même normal qu’on ne s’exprime pas de la même manière sur un forum de dialogue interreligieux ou entre laïques, qu’on ne dise pas les mêmes choses, pas les mêmes mots, à Paris et à Pékin, à Cordoue et à Téhéran, à Oxford et à Pontoise… à Charleroi et à Anvers. Selon l’interlocuteur, on met des gants différents.

Il y a, dans toutes les assemblées, y compris démocratiques ou prétendues telles, un langage officiel et un formalisme qu’il vaut mieux ne pas ignorer. Passer outre est considéré comme irrespectueux et constitue le meilleur moyen d’être mal vu, censuré, banni ou menacé. Il y a une certaine distance à respecter, ni trop importante ni trop réduite : juste ce qu’il faut pour profiter du groupe, s’y tenir au chaud, tout en évitant d’éventuelles blessures ou trop de familiarité. « Cependant, celui qui possède assez de chaleur intérieure propre préfère rester en dehors de la société pour ne pas éprouver de désagréments ni en causer » (2).

Dans un monde pluriculturel, afin de ne heurter personne et de se protéger soi-même, on se voit contraint de parler pour rien dire, ou de se taire, ce qui revient au même : la formule creuse, insipide et insincère devient souveraine, la pensée porte l’uniforme du club. Mais si on ne peut impunément rendre publiques certaines opinions sans les avoir préalablement javellisées on se trouve néanmoins à l’abri des discours jugés
« potentiellement obscurantistes » (3) (!)

Sous une forme ou une autre, la dictature du « politiquement correct » finit par s’imposer même où on ne l’attend pas. Plus expressif que notre vieille « langue de bois », cet idiotisme (4) originaire d’outre-Atlantique, qualifie une manière de dire – et d’agir ? – censée ménager les susceptibilités en mettant un bout filtre à la liberté d’expression et en opérant un contrôle sur l’information. En langage non linguistiquement correct, cela s’appelle
« censure » (5).

La correction politique n’est cependant pas sans séquelles car en épargnant ou en favorisant une communauté particulière, on se trouve très vite pointé du doigt par « ceux d’en face » – quels qu’ils soient – et il n’est pas rare de se voir gratifié péjorativement, et tour à tour, des suffixes –iste, –phobe et –phile selon les circonstances.

Il y a clairement ici confusion entre la valeur démocratique proprement dite et ce qui en est fait… qui n’est pas toujours propre. L’amalgame est à ce point fréquent, qu’il paraît utile d’énoncer ce qui pourtant est un truisme : défendre la liberté d’expression ne signifie pas « approuver » toutes les idées exprimées librement.

« La liberté de tout dire n’existe qu’en se revendiquant à chaque instant. Elle se renie si elle se réduit à une consommation passive d’idées reçues, dont la prolifération chaotique l’étouffe. Elle ne demeure une liberté qu’à la condition de rendre aux mots cette vie indissociable du vécu quotidien, sans laquelle une langue se fige et devient langue de bois » (6).

Nadine de Vos. Bruxelles, Le 12 avril 2007 

NDLR : lire aussi l'article « Libre pensée unique » du même auteur