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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

Le titre fait référence à l’ouvrage d’André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme – Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, 2006.

 

   

 


L’esprit de mon athéisme

 

 

Nous ne saurons jamais ce qu’aurait été l’Occident – ce qu’aurait été le monde – sans l’imposition du christianisme comme religion d’État par le pouvoir impérial, au 4ème siècle.  Ce que nous savons, par contre, c’est que les philosophes grecs opéraient une distinction entre religion et éthique, cette dernière étant autonome, comme il n’est – espérons-le ! – plus nécessaire de le démontrer.  Nous savons aussi comment les religions du Livre ont modifié ce point de vue.  À partir de là, il peut sembler hasardeux d’annoncer d’emblée que notre éthique aurait été meilleure ou pire avec ou sans le christianisme.

Le philosophe André Comte-Sponville, qui se dit « fidèle » à la tradition chrétienne, avance que « la présence ou non d’une foi religieuse [il est question essentiellement ici du catholicisme] ne change « presque » rien à la morale » (1).  Il n’y aurait donc presque rien, que de petites différences, entre la morale catholique et la morale laïque ?  Ce distinguo entre « grandes » questions morales et « querelles » prétendues d’ordre théologique paraît quand même bien fragile.

L’hypothèse défendue est qu’il y aurait consensus entre croyants et non croyants, sur les questions essentielles que sont le respect de l’autre (sa vie, sa liberté, sa dignité), l’amour, la générosité, la justice.  En théorie, ce doit être vrai. Mais en pratique, on peut s’offrir le luxe de douter : de quel respect  de quelle liberté parle-t-on, en effet, lorsque l’on interdit le préservatif, la contraception, l’avortement, l’euthanasie ? 

Lorsque l’on condamne l’homosexualité ?  Où est la liberté de penser, où est la liberté de conscience ? Elle n’est pas nulle, certes, mais elle est réduite à peu, exercée par un petit carré de chrétiens libéraux – ces mots sont presque antinomiques – obligés de se livrer à d’absurdes contorsions s’ils souhaitent  entrer encore dans le moule façonné par les Églises, ou du moins certaines d’entre elles.

Pour ce qui concerne l’homosexualité, par exemple, il est intéressant de noter, qu’à la même page de l’ouvrage cité en note, l’auteur déclare qu’il pourrait s’agir d’un problème théologique, ajoutant que « c’est ce que suggère, dans la Genèse, la destruction de Sodome et Gomorrhe ».

Intéressant,  car c’est l’explication catholique la plus stricte qui est retenue
de cet épisode, alors que d'autres exégèses, principalement protestantes,
en donnent une interprétation moins dangereusement  rétroactive, tenant davantage compte du contexte historique proche-oriental des récits
bibliques (2).

Il n’est pas utile d’argumenter plus loin pour montrer à quel point de si
« petites » divergences de vues peuvent mettre en péril le prétendu commun accord qui existerait entre croyants et non croyants à propos des « grandes » questions éthiques.

L’athée fidèle déclare encore : « l’athéisme est une croyance négative, mais c’est bien une croyance… » (3).  Il est évident qu’il parle là de son athéisme d’ancien catholique resté attaché à son éducation rémanente, tout autant qu’à son interprétation lacunaire de la Bible.  Un athée culturellement moins imprégné du dogmatisme catholique sait très bien, en effet, qu’il existe de nombreuses variétés d’athéisme dont certaines ne prennent pas automatiquement la forme de croyances.

Toute affirmation irréfutable parce que non objectivable et non observable devrait requérir l’attitude agnostique.  Or nous savons bien que certaines de ces propositions (comme celle de la théière en orbite quelque part dans l’univers, par exemple, ou l’existence du Père Noël) se voient rejetées à l’unanimité malgré l’impossibilité de les vérifier. Il est un athéisme de cet ordre pour lequel l’existence des dieux n’est rien d’autre qu’une extravagance dénuée de sens, qui ne le concerne pas et qu’il ne souhaite même pas nier car on ne nie pas « rien ».

Ainsi en est-il de l’athéisme indifférent qui ne se pose aucune question mais qui ne fait aucune référence au divin ; de l’athéisme passif, très proche, qui considère que la croyance en un dieu quelconque est inutile et inefficace ; de l’athéisme dit sémantique (3), plus profond, pour lequel le concept « Dieu », vide de tout contenu, n’a pas à être nié…

Ces athées-là ne sont ni militants, ni conquérants.  Ils ne défendent pas une croyance, ils ne combattent pas au nom d’une idéologie. Ils ne dérangent pas, ne s’imposent pas.  Tout au plus, peuvent-ils être contrariés – comme je le suis – par les manifestations démonstratives quelquefois envahissantes de certains croyants.  Car on ne peut échapper aux vœux pieux à vocation sanctificatrice, aux élans mystico-enthousiastes des pèlerins de Compostelle, aux regards compassés et aux jugements condescendants.

L’athée, par contre, n’a pas souvent l’occasion de faire ainsi état ses options de vie, si souvent mal reçues.  Une méconnaissance globale de l’athéisme pousse de nombreux croyants – dont certains se disent ouverts et tolérants – à refuser le dialogue ou bien à camper dans une position de forteresse assiégée, se cabrant au moindre désaccord trop souvent interprété comme une attaque à leur foi.

Ainsi vont les choses, les pailles et les poutres, et il n’est d’autre choix alors pour l’athée tranquille mais excédé que de se rappeler qu’il est « heureux celui qui ne s’acharne pas à avoir raison, parce que personne n’a raison,
ou tous (4) ».  

Nadine de Vos, le 30 décembre 2006.
 
(1) André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme – Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, 2006, page 55.
(2) Voir Thomas Römer, De Sodome et Gomorrhe à David et Jonathan, sur le site d'Evangile et Liberté
(3) Cf. Marcel Conche : «"Athée" ne suis-je même pas, car je ne prononce pas le mot "Dieu", fut-ce pour le dire sans objet. »
(4)Jorge Luis Borges, Fragments d’un évangile apocryphe, in L’Or des Tigres, Gallimard, 1976.