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 Les chroniques



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- Violences

- Guerres nouvelles

- Dérives

 

 

   

 


Guerre et paix

 

 

Violences

Notre monde est un monde violent. Certes, de nombreuses guerres ont ensanglanté la terre et continuent de le faire. Mais la violence, aujourd’hui, a des formes nouvelles. Elle prend racine aussi dans les banlieues de nos villes. En réponse à une autre violence ressentie –à tort ou à raison- par ceux qui expriment ainsi leur défiance ou leur révolte contre un « ordre » supposé établi. Que la réponse soit mauvaise, n’entraîne pas que la question soit erronée.

Nos sociétés dites « démocratiques » connaissent une montée régulière des incivilités et des délinquances. Il faut comprendre ce phénomène et le sentiment d’insécurité qu’il engendre.

Dans une société qui –comme la nôtre- est une société de consommateurs (rarement citoyens), il importe de consommer le plus possible. Etre pauvre dans un pays riche s’appelle « misère ». Il est bien des aspects de cette misère. Et bien des conséquences….

C’est qu’une société de consommateurs est une jungle. Ses lois sont les lois de la jungle. La lutte pour la vie est la loi normale. Les forts mangent les faibles. Il faut donc, pour survivre, être fort, rusé, rapide… Ainsi, sont les animaux de la jungle. Ainsi se forment beaucoup de jeunes qui vivent dans l’instant, comme les bêtes de la forêt. Il arrive que la jungle commence aux portes de l’immeuble. La rue et la jungle ont la même loi.

Que l’on soit tenté de donner un visage religieux à cette forme de guerre est compréhensible. A défaut d’idéologie, une « religion » peut donner des arguments en apparence incontournables. En réalité, il n’est pas de religion violente. Mais il est des violences qui se donnent un visage religieux parce qu’elles n’en ont pas d’autre.

Par contre, un citoyen –riche comme pauvre- pense à l’avenir. Sa loi est celle d’une communauté destinée à durer. La solidarité fonde son avenir –au-delà de sa propre personne. Rien de tel dans la jungle : aujourd’hui y est roi.
Un citoyen vit dans la durée. Demain ne peut être séparé d’aujourd’hui. Nos enfants et petits enfants vivront dans le monde que nous leur préparons. C’est dans cette perspective que le respect de la loi prend son sens. Pas de loi sans communauté durable.

C’est ainsi qu’un citoyen pauvre restait un citoyen ; mais un consommateur qui n’a pas les moyens de consommer est exclu et, souvent, révolté contre le « système ». C’est la porte ouverte à toutes les violences et, spécialement, aux violences dites « urbaines ». –qui se produiront surtout en milieu urbanisé : là où les exclusions sont les plus visibles et les plus mal vécues.

Nous ne sommes qu’au début de ce phénomène. Les causes en sont diverses. Exclusion sociale, misère du logement, discrimination à l’embauche, racisme résiduel de telle administration, bavures policières, méconnaissance des solidarités (entre autres : religieuses)… tout cela produit des rejets et des révoltes.

La société qui se met en place est une jungle. Les ci-devant citoyens sont, de plus en plus, comme des animaux de la jungle. Intelligents et rusés, parfois, mais vivant dans l’instant. Pour beaucoup, s’agit de survivre. Demain est un autre monde.

Fait nouveau : les « délinquants » sont de plus en plus jeunes. Les « mineurs » de jadis, ne le sont qu’au regard de la loi. Et la dite « petite délinquance » est le terreau d’une délinquance plus grande.

Par réaction, le sentiment d’insécurité est le fourrier naturel de réactions sécuritaires qui, à leur tour, sont le lit d’extrême-droites sécurisantes. L’Europe vieillissante est appelée à connaître de telles réactions de rejet des différences et d’intolérance généralisée.

Guerres nouvelles   

Mais tout cela n’est qu’une partie du phénomène. Le contexte est beaucoup plus vaste. Les escarmouches sont le signe d’une guerre qui s’ouvre. Quelle guerre ?

La guerre a un nouveau visage. Certes, depuis le commencement du monde, les humains se font la guerre. Pour toutes sortes de raisons : un point d’eau, un site fertile, une position dominante, un surcroît de puissance ou de richesse….. Parfois, simplement, la volonté d’un prince désireux d’assurer sa supériorité ou désireux d’imposer à tous telle ou telle vérité –les cas sont innombrables.

Dans tous les cas, la force dépendait de la puissance et de son parèdre : la richesse. Imaginons que les aztèques l’aient emporté, ou les indiens en Amérique du Nord, ou les aborigènes d’Australie, ou les maoris etc… L’histoire eût été bien différente. L’actualité aussi.

Jadis, de glorieuses armées s’affrontaient sur un champ de bataille. Et la paix, après la victoire, pouvait s’établir selon les vœux du vainqueur. Ce temps n’est plus. Gagner la guerre ne signifie pas gagner la paix. De fait, les armes les plus puissantes ne peuvent rien contre ce qu’on appelle le terrorisme. Ce n’est pas avec des chars, des hélicoptères, des avions et des bombes –même « intelligentes »- que l’on remporte une victoire durable.

Le temps n’est plus aux glorieuses stratégies militaires et aux décisions arrachées par la force des armes. C’est la paix qui doit être gagnée. Mais la paix suppose la justice. On ne peut semer la haine et récolter la paix. Les cœurs sont les vrais champs de batailles.

Le temps n’est plus où les généraux de tel ou tel empereur ou président pouvait dire « je suis le plus fort, donc j’ai raison ». Dans les nouveaux empires, les forces seront proportionnelles aux masses et aux porte-paroles des masses. Juste retour des choses, sans doute : les forces sont encore celles de la minorité riche ; elles seront demain, celles des masses pauvres.
Bien sûr, si jadis l’eau se mettait à bouillir dans le chaudron, on pouvait penser qu’il convenait de renforcer le couvercle. Pourtant, si l’on n’éteind pas le feu : il faut s’attendre à une explosion. Même un fort chaudron peut exploser.

Certes, dit le général, mais j’ai toutes les clés. Bien. Mais sait-il où sont les portes ? De fait, le champ de bataille est dans nos villes et banlieues. Ici, l’armée du général est de peu de poids.

Mais, à plus long terme, le champ de bataille sera aussi dans l’explosion démographique des pays « pauvres », face à la chute des naissances dans les pays « riches ». Sur ce point encore, la force des armes est dérisoire.
Les richesses sont changeantes et les armes ne font pas d’enfants. Ni les unes, ni les autres, ne sont, d’ailleurs, nécessairement liées à un territoire ou à un peuple. En tout cas, les peuples peuvent s’endormir ici et se réveiller là. L’histoire est pleine de ces réveils et de ces sommeils.

En face de cela, les politiques sont myopes parce que l’horizon des responsables politiques est habituellement celui de la date des prochaines élections. Au-delà de cet horizon, le regard ne porte pas.
La même cécité –ou la même ignorance- marque, habituellement, tous les discours politiques. Le monde qui vient n’est guère concerné par les propos actuels ou par les attitudes des élus. Un géant aveugle prétend montrer le chemin…

Dérives   

Les continents dérivent. Nos sociétés aussi. Mais la lenteur de la transformation peut donner l’impression que rien n’a changé. Quelques uns préfèrent penser que les choses s’arrangeront d’elles mêmes.
Avec le temps ...

Mais, habituellement, un grand feu commence par être un petit feu. Et le petit feu ne s’éteind pas simplement parce qu’on n’en parle pas. Où sont les pompiers qui éteindront le feu qui couve ?

Une dérive européenne est d’avoir transformé, peu à peu, les citoyens en consommateurs. Curieusement, le lien est rarement fait entre, d’une part, la mort des patries, le règne du libéralisme, la « mondialisation » de l’économie… et, d’autre part, le règne de l’individualisme -du « chacun pour soi », le culte de la réussite personnelle, la qualité mesurée en termes de chiffre des ventes… ou des votes !

Sans doute : La société actuelle ne va pas faire d’autres choix –ni penser qu’elle pourrait inverser des tendances dominantes. D’autant que le politique tend à s’effacer devant l’économie. Mais il importe d’être conscients des conséquences de nos choix. Nous en sommes loin.

Une autre dérive est qu’un continent riche (le nôtre) est en train d’être dépassé par plus grand et plus fort que lui. Mais la richesse n’est nulle part inscrite dans l’histoire. Elle sourit toujours au plus fort. Et le plus fort est régulièrement dépassé, un jour, par plus fort que lui. Certes, la dérive est lente. Nos enfants en connaîtront les effets. Et les enfants de nos enfants…

Les prophètes, jadis, dénonçaient les dérives. En cela, ils annonçaient l’avenir. Mais –pour diverses raisons- ils n’étaient jamais crus. Sur ce point, l’histoire humaine reste semblable à ce qu’elle a toujours été. Demain est fils d’aujourd’hui.

Jacques Chopineau, Genappe, le 23 décembre 2006