Violences
Notre monde est un monde violent. Certes, de
nombreuses guerres ont ensanglanté la terre et continuent
de le faire. Mais la violence, aujourd’hui, a des formes
nouvelles. Elle prend racine aussi dans les banlieues de
nos villes. En
réponse à une autre violence ressentie –à tort
ou à raison- par ceux qui expriment ainsi leur défiance
ou leur révolte contre un « ordre » supposé établi.
Que la réponse soit mauvaise, n’entraîne
pas que la question soit erronée.
Nos sociétés
dites « démocratiques » connaissent
une montée régulière des incivilités
et des délinquances. Il faut comprendre ce phénomène
et le sentiment d’insécurité qu’il
engendre.
Dans une société qui –comme
la nôtre-
est une société de consommateurs (rarement
citoyens), il importe de consommer le plus possible. Etre
pauvre dans
un pays riche s’appelle « misère ».
Il est bien des aspects de cette misère. Et bien des
conséquences….
C’est qu’une société de
consommateurs est une jungle. Ses lois sont les lois de la
jungle. La lutte
pour la vie est la loi normale. Les forts mangent les faibles.
Il faut donc, pour survivre, être fort, rusé,
rapide… Ainsi, sont les animaux de la jungle. Ainsi
se forment beaucoup de jeunes qui vivent dans l’instant,
comme les bêtes de la forêt. Il arrive que la
jungle commence aux portes de l’immeuble. La rue et
la jungle ont la même loi.
Que l’on soit tenté de
donner un visage religieux à cette
forme de guerre est compréhensible. A défaut
d’idéologie, une « religion » peut
donner des arguments en apparence incontournables. En réalité,
il n’est pas de religion violente. Mais il est des
violences qui se donnent un visage religieux parce qu’elles
n’en
ont pas d’autre.
Par contre, un citoyen –riche
comme pauvre- pense à l’avenir.
Sa loi est celle d’une communauté destinée à durer.
La solidarité fonde son avenir –au-delà de
sa propre personne. Rien de tel dans la jungle : aujourd’hui
y est roi.
Un citoyen vit dans la durée. Demain ne peut être
séparé d’aujourd’hui. Nos enfants
et petits enfants vivront dans le monde que nous leur préparons.
C’est dans cette perspective que le respect de la loi
prend son sens. Pas de loi sans communauté durable.
C’est ainsi qu’un citoyen pauvre
restait un citoyen ; mais un consommateur qui n’a pas
les moyens de consommer est exclu et, souvent, révolté contre
le « système ».
C’est la porte ouverte à toutes les violences
et, spécialement, aux violences dites « urbaines ». –qui
se produiront surtout en milieu urbanisé : là où les
exclusions sont les plus visibles et les plus mal vécues.
Nous ne sommes qu’au début de
ce phénomène.
Les causes en sont diverses. Exclusion sociale, misère
du logement, discrimination à l’embauche, racisme
résiduel de telle administration, bavures policières,
méconnaissance des solidarités (entre autres
: religieuses)… tout cela produit des rejets et des
révoltes.
La société qui se met en place
est une jungle. Les ci-devant citoyens sont, de plus en plus,
comme des animaux
de la jungle. Intelligents et rusés, parfois, mais
vivant dans l’instant. Pour beaucoup, s’agit
de survivre. Demain est un autre monde.
Fait nouveau : les « délinquants » sont
de plus en plus jeunes. Les « mineurs » de jadis,
ne le sont qu’au regard de la loi. Et la dite « petite
délinquance » est le terreau d’une délinquance
plus grande.
Par réaction, le sentiment d’insécurité est
le fourrier naturel de réactions sécuritaires
qui, à leur tour, sont le lit d’extrême-droites
sécurisantes. L’Europe vieillissante est appelée à connaître
de telles réactions de rejet des différences
et d’intolérance généralisée.
Guerres nouvelles
Mais tout cela n’est
qu’une partie du phénomène. Le
contexte est beaucoup plus vaste. Les escarmouches sont le signe d’une
guerre qui s’ouvre. Quelle guerre ?
La guerre a un nouveau visage. Certes,
depuis le commencement du monde, les humains se font la guerre. Pour toutes
sortes de raisons : un point d’eau, un site
fertile, une position dominante, un surcroît de puissance ou de richesse…..
Parfois, simplement, la volonté d’un prince désireux
d’assurer
sa supériorité ou désireux d’imposer à tous
telle ou telle vérité –les cas sont innombrables.
Dans
tous les cas, la force dépendait de la puissance et de son parèdre
: la richesse. Imaginons que les aztèques l’aient emporté,
ou les indiens en Amérique du Nord, ou les aborigènes d’Australie,
ou les maoris etc… L’histoire eût été bien
différente.
L’actualité aussi.
Jadis, de glorieuses armées s’affrontaient
sur un champ de bataille. Et la paix, après la victoire, pouvait
s’établir selon les
vœux du vainqueur. Ce temps n’est plus. Gagner la guerre ne
signifie pas gagner la paix. De fait, les armes les plus puissantes ne
peuvent rien contre
ce qu’on appelle le terrorisme. Ce n’est pas avec des chars,
des hélicoptères, des avions et des bombes –même « intelligentes »-
que l’on remporte une victoire durable.
Le temps n’est plus
aux glorieuses stratégies militaires et aux
décisions arrachées par la force des armes. C’est
la paix qui doit être gagnée. Mais la paix suppose la
justice. On ne peut semer la haine et récolter la paix. Les
cœurs
sont les vrais champs de batailles.
Le temps n’est plus où les
généraux de tel ou tel
empereur ou président pouvait dire « je suis le plus fort,
donc j’ai raison ». Dans les nouveaux empires, les forces
seront proportionnelles aux masses et aux porte-paroles des masses.
Juste retour des choses, sans doute
: les forces sont encore celles de la minorité riche ; elles
seront demain, celles des masses pauvres.
Bien sûr, si jadis l’eau se mettait à bouillir
dans le chaudron, on pouvait penser qu’il convenait de renforcer
le couvercle. Pourtant, si l’on n’éteind pas le
feu : il faut s’attendre à une
explosion. Même un fort chaudron peut exploser.
Certes, dit
le général, mais j’ai toutes les clés.
Bien. Mais sait-il où sont les portes ? De fait, le champ
de bataille est dans nos villes et banlieues. Ici, l’armée
du général
est de peu de poids.
Mais, à plus long terme, le champ de
bataille sera aussi dans l’explosion
démographique des pays « pauvres », face à la
chute des naissances dans les pays « riches ». Sur
ce point encore, la force des armes est dérisoire.
Les richesses sont changeantes et les armes ne font pas d’enfants.
Ni les unes, ni les autres, ne sont, d’ailleurs, nécessairement
liées à un
territoire ou à un peuple. En tout cas, les peuples peuvent
s’endormir
ici et se réveiller là. L’histoire est pleine
de ces réveils
et de ces sommeils.
En face de cela, les politiques sont myopes
parce que l’horizon des responsables
politiques est habituellement celui de la date des prochaines élections.
Au-delà de cet horizon, le regard ne porte pas.
La même cécité –ou la même
ignorance- marque, habituellement, tous les discours politiques.
Le monde qui vient n’est
guère concerné par les propos actuels ou par
les attitudes des élus.
Un géant aveugle prétend montrer le chemin…
Dérives
Les continents dérivent. Nos sociétés
aussi. Mais la lenteur de la transformation peut donner l’impression
que rien n’a changé.
Quelques uns préfèrent penser que les choses
s’arrangeront
d’elles mêmes.
Avec le temps ...
Mais, habituellement, un grand feu commence
par être un petit feu. Et le
petit feu ne s’éteind pas simplement parce qu’on
n’en
parle pas. Où sont les pompiers qui éteindront
le feu qui couve ?
Une dérive européenne est
d’avoir transformé, peu à peu,
les citoyens en consommateurs. Curieusement, le lien est
rarement fait entre, d’une part, la mort des patries,
le règne du libéralisme,
la « mondialisation » de l’économie… et,
d’autre
part, le règne de l’individualisme -du « chacun
pour soi »,
le culte de la réussite personnelle, la qualité mesurée
en termes de chiffre des ventes… ou des votes !
Sans
doute : La société actuelle ne va pas faire
d’autres
choix –ni penser qu’elle pourrait inverser des
tendances dominantes. D’autant que le politique tend à s’effacer
devant l’économie.
Mais il importe d’être conscients des conséquences
de nos choix. Nous en sommes loin.
Une autre dérive
est qu’un continent riche (le nôtre) est
en train d’être dépassé par plus
grand et plus fort que lui. Mais la richesse n’est
nulle part inscrite dans l’histoire.
Elle sourit toujours au plus fort. Et le plus fort est régulièrement
dépassé, un jour, par plus fort que lui. Certes,
la dérive
est lente. Nos enfants en connaîtront les effets. Et
les enfants de nos enfants…
Les prophètes, jadis,
dénonçaient les dérives. En
cela, ils annonçaient l’avenir. Mais –pour
diverses raisons- ils n’étaient jamais crus.
Sur ce point, l’histoire humaine
reste semblable à ce qu’elle a toujours été.
Demain est fils d’aujourd’hui.
Jacques Chopineau, Genappe, le 23 décembre 2006 |