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 Les chroniques



    André Gounelle

 

- Un slogan oecuménique

- Citer à bon escient

- Aux origines de l'église

- La situation contemporaine

- Unité et union

 

   

 


Divisés afin que le monde croie

 

 

Un slogan oecuménique

Depuis les débuts de l'œcuménisme, les partisans d'une unification des églises ne cessent de citer la parole de Jésus dans la prière dite "sacerdotale" (Jn 17, 21) : « qu'ils soient un afin que le monde croie ». Et ils commentent : « La division des chrétiens est un scandale qui détourne beaucoup de gens de l'évangile. Notre témoignage serait bien plus fort et aurait de meilleurs résultats si nous formions une seule et même église ». Ce discours a pour intention et effet de culpabiliser. La diversité chrétienne et la pluralité des églises seraient une faute contre l'amour fraternel, une désobéissance au souhait ou au commandement du Christ, et un obstacle dans l'accomplissement de la mission évangélisatrice. Elles seraient responsables, au moins en partie, de la sécularisation de notre monde et de l'incroyance répandue parmi nos contemporains.

Ces propos, tenus avec une sincérité que je ne mets pas en doute, ne sont ni justes, ni sérieux.

Citer à bon escient  

D'abord, ils font une utilisation abusive de paroles de Jésus. Ils en détournent et en tordent le sens. Souvent, en général sans s'en rendre compte (ce qui n'excuse rien, ni ne légitime ces interprétations), on « sollicite » des textes bibliques pour les appliquer à des situations contemporaines sans rapport avec celles où ils ont été écrits. Ces paroles de Jésus n'ont rien à voir avec l'unité des églises. Pour s'en apercevoir, il suffit de les lire dans leur contexte. Ce n'est pas leur appartenance à une église unique qui fait que les disciples sont « uns », mais leur commune référence à la « parole ». Il s'agit de la recevoir et non de se grouper à l'intérieur d'une seule et même organisation paroissiale ou dénominationnelle.

Ensuite, les faits démentent que la division des chrétiens entraîne directement et nécessairement la stagnation, voire le recul du christianisme. On ne peut pas établir un lien de cause à effet. Au contraire, on constate que l'unité ecclésiale loin de contribuer au rayonnement de l'évangile lui a, en général, nui. Elle n'a pas donné de la force à la proclamation du message chrétien, elle a plutôt contribué à ce qu'on ne lui accorde pas une grande attention, voire qu'on s'en détourne.

Aux origines de l'église  

Ainsi dans ses débuts, le christianisme a été divers et divisé. Ses différents courants polémiquaient durement les uns contre les autres. On en a des traces dans les épîtres de Paul où l'apôtre ne manifeste pas beaucoup de compréhension ni de tolérance pour ses adversaire. L'esprit d'entente oecuménique lui est étranger et il n'en donne pas un modèle. Il n'en a pas moins converti beaucoup de gens, et il a fortement contribué à répandre l'évangile. On peut en dire autant de Jean ou de Pierre. Comme l'écrit G. Riley dans Un Jésus, plusieurs Christs (Labor et fides)*, les premiers «missionnaires chrétiens qui partirent prêcher l'Évangile » avaient des conceptions « certes intelligentes et défendables mais contradictoires ... Cela n'empêcha pas le christianisme de s'imposer dans le monde romain » (p.13).

La pluralité a constitué un atout et non un handicap. Elle a permis de présenter l'évangile dans un langage et sous des formes adaptées à des gens dont les cultures, les traditions et les orientations étaient très différentes, parfois divergentes. Cette première chrétienté aux prises avec de fortes et de nombreuses luttes internes a été rayonnante. Quand au troisième siècle son officialisation par l'empereur a conduit (malgré la résistance de quelques-uns) à unifier son organisation sous la direction de l'évêque de Rome, et à définir une doctrine commune (ce qu'ont fait les conciles des quatrième et cinquième siècles), elle a cessé d'attirer à elle, ou, plus exactement, elle a conquis de nouvelles populations non plus par la persuasion, mais par la force (celle des armes, celle de la puissance économique, celle du prestige des idéologies dominantes).

La situation contemporaine  

Aujourd'hui en Occident, on constate que là où la pluralité est la plus grande, la pratique religieuse reste forte. Quand une église domine massivement et que le christianisme peut paraître uni, à quelques dissidences minimes près, la sécularisation et l'athéisme se sont fortement développés. On le constate, pour citer quelques exemples parmi beaucoup d'autres, dans la Scandinavie luthérienne, ainsi que dans la France, l'Espagne, ou au Québec catholiques.

L'explication de ce phénomène, Adam Smith (1723-1790) l'avait déjà bien vue. Quand il y a une seule église, celui qui entre en conflit avec elle sur un sujet quelconque, ou qui est en désaccord avec tel ou tel point de son enseignement et de ses orientations, n'a pas beaucoup de choix : ou il y reste, un peu malgré lui, et son malaise intérieur l'incite à ne pas trop s'y engager ; ou il s'en éloigne, rompt avec elle et la quitte. Dans les deux cas, il n'a plus de lieu où entretenir et cultiver ses convictions religieuses et où pratiquer la forme de piété qu'il affectionne. Bien souvent, il en résulte un affaiblissement de la pratique religieuse, parfois suivi par une complète disparition. Par contre, là où existent de nombreuses églises, l'insatisfait a des chances d'en trouver une qui lui convienne (ne fût-ce qu'à peu près), qui lui permette d'alimenter et d'approfondir sa foi. Le monopole ou l'exclusivité d'une forme de religion enferme dans une solution unique à accepter ou à rejeter, alors que la diversité offre un éventail de possibilités alternatives.

Quand, dans une rencontre œcuménique, catholiques, orthodoxes et protestants disent la même chose, un ennui profond s'empare des auditeurs. Ils se disent satisfaits, mais au fond cela ne les touche guère. Au contraire quand des différences s'expriment, quand une discussion s'engage, ils sont souvent vivement intéressés, et se sentent concernés par ce qui est en débat. Certes, et ils ont bien raison, ils répugnent à ces joutes (trop fréquentes dans le monde politique) où chacun cherche à démolir par n'importe quel moyen l'adversaire. Mais quand les interlocuteurs s'écoutent, se respectent mutuellement, tiennent compte de ce que l'autre dit, alors les désaccords favorisent la réflexion, stimulent les énergies et suscitent une recherche spirituelle beaucoup plus qu'une fade, endormante et souvent frustrante unanimité.

Unité et union  

Laurent Gagnebin a souvent et justement souligné que les échecs et impasses de l'œcuménisme viennent de ce que l'on a confondu union et unité. L'idéal latin de l'unité a un aspect dictatorial. Il nie ce que la diversité a de légitime, et il n'admet un juste exercice de la liberté que dans les étroites limites d'un « théologiquement correct » dont le contenu varie d'ailleurs : il n'est pas le même pour les catholiques, les orthodoxes, les protestants, les traditionalistes et les modernistes. À l'opposé, le communautarisme, cher aux anglo-saxons, qui donne une grande valeur aux particularités de chaque famille religieuse, risque de fragmenter la chrétienté en de multiples groupes sans rapport les uns avec les autres. Les modèles fédératifs, dans le domaine ecclésial comme politique, ont le mérite de vouloir (sans toujours y réussir) établir une union qui ne soit pas une unité. L'union consiste à vivre, à penser, à agir en concertation les uns avec les autres, à établir des réseaux d'échanges et de collaboration en respectant les diversités. Aimer son prochain ne signifie pas annuler ce qui le distingue de nous, mais y être attentif, respecter sa différence, en tenir compte. Ce n'est pas la division qu'il faut stigmatiser et qui s'oppose à l'esprit du Christ ; c'est le conformisme dominateur et le conflit haineux (l'un entraîne souvent l'autre).

Quel est le témoignage le plus juste et le plus fort à l'évangile ?

- Avoir une seule organisation ecclésiastique, une même dogmatique, des rites identiques ?
- Ou savoir s'écouter et débattre ensemble dans un respect mutuel alors que croyances, opinions et pratiques ne concordent pas ?

Dans le monde d'aujourd'hui, qu'est ce qui va frapper le plus les gens ?

- Que nous soyons tous uns, semblables, coulés dans le même moule (comme dans les sectes ou les partis totalitaires de naguère)
- ou que divisés nous sachions vivre paisiblement et activement ensemble, différents certes, mais néanmoins profondément et amicalement liés ?

André Gounelle  

Lire, sur ce site, les articles de Béatrice Spranghers:
Au risque de la recherche
, Par delà Dyonisos,