Un préalable
D’abord, une précision : Toute démocratie
est « laïque ». Il n’existe pas de démocratie
théocratique. La démocratie est un système
de gouvernement. La religion relève de la vie privée.
Si l’une veut intervenir dans le champ de l’autre,
la démocratie est malade. A chacune son domaine propre.
Sans concurrence et sans interférence. Pour autant,
la religion est une composante fondamentale des sociétés
humaines. Et la laïcité n’est pas un substitut
de religion.
Naturellement, il existe plusieurs formes juridiques
de laïcité.
De la séparation inscrite dans un texte, ou dans une
forme ou l’autre de concordat. Un même pays peut
d’ailleurs, pour des raisons historiques, connaître
deux régimes. C’est le cas en France où la
loi de séparation entre l’église et l’état
n’a jamais été d’application en
Alsace. Ainsi, l’université de Strasbourg comprend –comme
en Allemagne ou en Suisse- des facultés de théologie.
C’est là un usage local qui –quel que
soit le pays- ne remet pas en question la loi générale.
La laïcité n’est pas fondamentalement différente
ici ou là.
Une laïcité de fait est le
cas de toutes les démocraties.
Un concordat est, éventuellement, une manière
pour l’état de contrôler une pratique
religieuse inscrite dans la vie culturelle du pays et de
son histoire.
Mais dans tous les cas, laïcité et démocratie
sont inséparables. Religion
Laissons les aspects extérieurs
de ce qu’on appelle « religion ».
Ces aspects sont nombreux (sociaux, culturels, historiques,
psychologiques,…) et peuvent avoir –en un temps
et localement- une grande importance. Les études sur
cet aspect formel sont nombreuses. Ce n’est pas ce
qui est envisagé ici.
Pas davantage, n’est envisagée
une étude
sur le terme « religion ». Certaines langues
n’ont
d’ailleurs pas de terme « religion ». Les
langues néolatines recourent évidemment au
mot « religio » -lequel
procéderait du verbe « religare » (« relier »).
Notons que Cicéron ou Isidore de Séville n’ont
pas cette interprétation et préfèrent
le verbe « relegere » (« relire »).
Peut importe ici.
Les discussions étymologiques ou
les interprétations
philosophiques sont certainement intéressantes en
soi, mais elles ne touchent guère la réalité du
phénomène. Car il ne s’agit pas d’un « dire »,
mais d’un « faire ». Et que ce « faire » n’est
pas concerné par le « dire » -ni même
par le « bien-dire » ou le « bien-penser ».
Un autre regard
Peut-il exister une société humaine
sans religion ? Pour le dire autrement : un athée
ou un agnostique sont-ils nécessairement sans religion
? Si la religion était
une manière de penser, il faudrait, sans doute, répondre
par l’affirmative. « Je ne crois à rien »,
donc « je n’ai pas de religion ». Mais
est-ce si simple ?
Sans doute, aujourd’hui, les églises
sont en crise. Du moins : elles se vident. Mais cela ne signifie
pas que la
religion soit en crise. Cela signifie simplement qu’une
confession, une institution comme telles, ainsi que leur
langage, sont en crise. Le religieux se continue sous d’autres
formes, sur d’autres chemins. Les croyances anciennes
ne sont plus un passage obligé.
D’ailleurs, « foi » (religieuse)
et « croyance » (confessionnelle)
n’ont jamais été des termes synonymes. « Croire » est
une manière de penser –et donc une manière
de parler. « Foi » est une manière d’être –même
là où les mots font défaut.
En termes
protestants, ce qu’on appelle le « salut
par la foi » (sola fide) réfère à autre
chose qu’à une simple croyance. Aucun théologien
n’a jamais parlé de « salut par la croyance ».
Ce serait, d’ailleurs, penser à une sorte de
salut par les mots. Un tel « salut » ne pourrait
paraître
crédible qu’à des esprits préparés à voir
la vérité dans les mots qui en parlent. Autant
penser que la réalité et le doigt qui la désigne
sont la même chose !
En réalité, une
foi religieuse n’est pas
la croyance en ceci ou cela. Certes, elle en prend souvent
la forme, pour un regard extérieur. Mais le corps
n’est
pas le vêtement. De même que le pot n’est
pas le contenu.
Tout religieux reconnaît ce que telle
religion –même
très étrangère à sa culture-
porte en soi. Les différences visibles sont de l’ordre
du vêtement. Les rites comme les habits. Les mythes
comme les langues.
Il ne s’agit évidemment pas
de faire une moyenne, ni de trouver un langage commun. Il
n’est pas d’esperanto
spirituel ! Les « oecuménismes » de rassemblement
supposent que les différences sont des « divisions ».
Il n’en est pas ainsi : Les différences ont à être
respectées. Toute voie particulière possède
une saveur unique. Voilà le premier pas de ce qu’on
appelle « religion ».
Les chemins sont différents.
On ne peut en parcourir deux à la fois. Et dans tous
les cas : mieux vaut un chemin long et difficile qu’une
absence de chemin.
Jacques Chopineau, Genappe le 4 décembre 2006 |