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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

- La croisée des chemins

- Le fil de l’espérance

- Et demain ?

 

   

 


Écoute Israël

 

 

La croisée des chemins 

« Écoute », est le début d’un texte biblique fameux qui est aussi une prière familière… Ici cependant le mot est pris dans son sens usuel d’exhortation et de mise en garde. C’est ce qu’on dit lorsqu’on veut attirer l’attention d’un ami.

Au-delà d’une actualité tragique au Moyen-Orient (bombardements, maisons détruites, populations déplacées… tant au Liban que dans la bande de Gaza), il faut poser la question de l’avenir –celui des enfants et des petits enfants d’aujourd’hui. Quel monde leur préparons-nous ?

Car la question n’est pas simplement de gagner la guerre. C’est finalement la paix qui doit être gagnée. Sans quoi les guerres ne cesseront pas et il faudra toujours qu’elles soient gagnées par le même vainqueur afin d’éviter d’autres violences en retour. De sorte que la question est bien : quel monde construisons-nous ?

Toute opposition est une croisée des chemins. Irons-nous vers la paix ou vers la guerre ? Vers un accord négocié ou vers une domination sans partage ? Le moins coûteux, sans doute, est d’être le plus fort. Même si le prix à payer pour cette domination est de plus en plus élevé. Et l’on peut penser que nous ne sommes, au Proche-orient, qu’au début d’un vaste processus.

Revenons aux commencements… Par la création d’un état d’Israël, une vieille espérance prenait forme d’état constitué. Mais le nouveau-né est –en grandissant- devenu un adulte violent. Le petit David s’est transformé en Goliath. Tout le monde aime David, mais on n’aime Goliath que si l’on est dans son camp.

On dira, sans doute, que –dès le début- les arabes ont attaqué. D’autres diront qu’ils n’ont fait que se défendre. Dans tous les cas, les violences engendrèrent d’autres violences. Pour le malheur des populations palestiniennes.

Il est vrai que certains dirigeants arabes ont alors manqué de clairvoyance. Le petit état d’Israël, naissant, a dû se battre, durement, pour finalement s’imposer contre des armées coalisées. Il n’avait d’ailleurs pas d’autre alternative : c’était la victoire ou le rejet à la mer. Ce fut la victoire. Pour les vaincus (palestiniens en premier lieu) cela signifiait aussi des années d’expulsion, de discriminations, d’humiliations et de contraintes ordinaires.

Mais ce n’était rien encore… Dans les années suivantes, des frontières mouvantes, des colonies nouvelles, un mur séparant des paysans de leurs terres, des oliviers arrachés, des maisons détruites… et bien d’autres malheurs ! Tout cela dans une formidable indifférence d’une « communauté internationale » aveugle ou alignée. De là –éventuellement- de belles paroles et des actes symboliques –mettant sur le même plan l’agresseur et l’agressé, manière de « parler à tous », selon les diplomates.

D’autre part, il est vrai que l’Occident a toujours eu ses fantasmes. Et l’un remplace l’autre. Autrefois (mais cet autrefois sera peut-être, de nouveau, d’actualité ?), ce fut le « péril jaune ». Puis ce fut la « subversion communiste », au temps de l’« empire du mal ». C’est aujourd’hui le terrorisme sous toutes ses formes –et même, selon certains- le terrorisme islamiste.

Il semble qu’un tel fantasme –souterrainement- commande depuis des années le soutien à Israël et à la politique pro-américaine (une Amérique dont une grande partie de l’Europe a épousé les fantasmes).

Cependant –nous dit-on- une tête de pont (et fer de lance !) a été jetée sur cet Orient instable, violent et … musulman. Cette tête de pont avancée de la civilisation se nommerait Israël. Voilà qui justifierait le soutien au petit état bien armé appelé à régenter la grande région instable. Et voilà ce petit état appelé à être le pivot régional de la politique des USA. Le rêve est bien mort… Place aux armes !

Ce jeu des grandes puissances (les USA et leurs suivants) est un jeu dangereux pour les populations locales. Mais c’est aussi une position dangereuse pour tous, à plus long terme. Que les enjeux pétroliers et/ou stratégiques ne nous aveuglent pas : tous les peuples n’ont pas les mêmes attentes, ni les mêmes exigences. La justice n’est pas d’un seul côté. Et seule, la justice est le terrain sur lequel une paix durable pourra être édififiée.

Le fil de l’espérance   

L’espérance (ha-tiqwa) est le titre de l’hymne national israélien. Une espérance de deux mille ans –après bien des péripéties, des ghettos, des pogroms, des expulsions, des discriminations de toutes sortes…

Le sommet de l’horreur fut atteint à l’époque du nazisme. Un génocide organisé avec méthode –dans le sillage d’une pensée folle. Ce passé est à l’origine d’un nouvel état dont les palestiniens –pourtant innocents- furent aussi les victimes.

Cependant, ce qui commence avec la fondation d’un état nouveau ressemble à cette renaissance évoquée par le texte fameux d’Ezekiel 37 (la vision des ossements qui reprennent vie). L’image est d’ailleurs évoquée dans les paroles de l’hymne national actuel: « notre espérance n’est pas encore morte ».

Mais cette espérance est un fil (« qaw » -de même racine que « tiqwa »). Un fil peut se rompre. Surtout lorsque ce fil est utilisé à des fins stratégiques et politiques, par des mains étrangères et intéressées.

Cette renaissance après la terrible épreuve fut justement saluée par beaucoup, en Europe, Pour cette raison, justement, la déception est grande. Comment le petit David est-il devenu un grand Goliath violent et arrogant ? Un David-Goliath condamné à être toujours le plus fort, afin d’avoir raison. Jusqu’à quand ?

L’image d’Israël est fortement changée. Et ce ne sont pas les discours d’un certain judaïsme sioniste de combat qui changeront cette image. Pour certains, d’ailleurs, toute critique d’Israël est dénoncée comme étant de l’antisémitisme, voire de l’anti-judaïsme. C’est absurde, mais c’est une absurdité courante…

Pour comprendre la situation actuelle, il faut faire retour à la situation des commencements. Lorsque le petit état naissant devait lutter pour sa survie. Il faut d’ailleurs rappeler que quelques dirigeants arabes ont pensé que –par la force des armes- ils allaient chasser le nouveau peuple. Ils ont échoué.

Du coup, des populations entières, ont été chassées de leurs terres ancestrales pour des camps de réfugiés (au Liban, en Jordanie et ailleurs). Des camps qui ont pris la relève (provisoire ?) d’une patrie perdue. Leurs enfants ne l’ont pas oublié.

À l’inverse, un peuple nouveau voyait le jour. Mais pour qu’un tel projet grandiose (une renaissance…) s’inscrive dans la durée, une chose, au moins, était nécessaire : La justice. Rien de durable ne peut être construit sur la seule force des armes. Or, Israël s’est –depuis les origines- constitué comme une société de combat. Pour sa survie, d’abord, pour sa domination ensuite.

Cependant, là où l’humiliation, les frustrations, les injustices sont à demeure : la guerre fait sa patrie. Et peu importe que les résistants soient appelés terroristes –ou l’inverse- la violence, toujours, engendre la violence. Et les gamins palestiniens de 10 ou 12 ans qui aujourd’hui lancent des pierres, auront 20 ou 22 ans dans 10 ans. Les pierres seront, sans doute, remplacées par d’autres armes. Et il ne servira à rien d’invoquer le « terrorisme ». Quelle société préparons-nous ?

Et demain ?   

La partie était donc bien mal engagée. On aurait peut-être pu imaginer « une terre et un peuple ». Jacob et Esaü –enfin réconciliés- habitant le même pays… Une forte minorité juive libre d’être ce qu’elle est, dans un grand pays où tous (juifs, chrétiens, musulmans) ont des racines communes.

Cela n’a pas été le cas. Les puissances de l’époque ont voulu deux peuples distincts sur un territoire partagé. En fait, ce sont les armes qui ont déterminé ce partage. On ne refera certes pas l’histoire, mais on doit se demander de quoi, dans ces conditions, demain sera fait.

Nous avons ainsi, dès le début : « une terre et deux peuples ». Situation compliquée !
Il faut donc apprendre à vivre ensemble ou côte à côte et, pour cela –d’abord- apprendre à se respecter. Il n’est pas d’autre chemin. Sans quoi les violences sont appelées à s’enchaîner l’une l’autre, sans fin.

Reconnaissons pourtant qu’un tel chemin de paix n’est pas celui qui a été engagé. Et sorte qu’aujourd’hui, ce chemin sera long et difficile. Pourtant, le temps presse. Pourquoi ?

D’abord parce qu’aucun état dominant, aucun empire, jamais, n’est éternel. Aucune armée n’est longtemps invincible. La vraie sécurité est celle que donne la paix. Mais pas de paix sans respect et pas de respect sans justice. Vielles évidences oubliées…
Ensuite parce qu’une nouvelle sensibilité se fait jour, tant dans le monde arabe que dans les démocraties européennes dont l’image d’Israël se ternit toujours plus

Dans tout le monde arabe, de plus en plus, une nouvelle prise de conscience solidaire se fait jour. Dans le monde arabe tout entier –et non seulement dans les pays voisins de la Palestine. Nous assistons, dans plusieurs pays musulmans -évidemment sous des formes diverses selon les pays- à la montée d’une nouvelle prise de conscience, sociopolitique –certes- mais souvent à visage religieux.

Si les occidentaux ne le perçoivent pas, il ne leur restera plus qu’à se réfugier derrière des fantasmes comme un prétendu « choc des civilisations » ou même derrière des absurdités du genre : « l’Islam terroriste ». Ou encore –ce qui est fait couramment- accuser l’Iran ou la Syrie de fomenter ces violences.

Ce vaste sujet ne peut être abordé ici, mais il serait bon que les médias occidentaux entendent –au moins- les paroles des chansons qui ont fait le tour du monde arabe. Souvent, plus que ce est dit (officiellement), ce qu’on chante dans la rue est significatif.

« L’épée : qu’elle soit tirée !» (Titre d’une chanson chantée par Fayrûz la libanaise). Bien d’autres chansons très connues pourraient être citées. Mais l’Occident n’entend que les chansons qui conviennent à son suivisme complice. Le réveil risque d’être pénible.

Déjà, l’égyptien ‘Abd el-Halîm Hâfez chantait jadis « Bienvenue sur les champs de bataille ». Cet appel finira par passer dans les faits, pour le malheur des peuples certainement, mais aussi pour le malheur de plusieurs gouvernements de pays arabes. Et l’incompréhension des occidentaux….

Dans tous les cas, il faut savoir que ce ne sont pas des terroristes qui chantent cela, mais des arabes –souvent désespérés- qui parfois n’attendent plus rien d’un monde occidental dont le discours « démocratique » est perçu comme étant une autre forme d’un discours de pouvoir.

Enfin –pour en revenir à notre quotidien- il importe de dénoncer les consternantes « informations » télévisées et les consternants « experts » autoproclamés qui s’y produisent. Ainsi que l’objectivité moitié-moitié (une alouette-un cheval) qui renvoie dos à dos les crimes réels commis contre Gaza –par exemple- et les crimes imaginaires d’un Iran réel, mais encore inconnu.

Quant à l’opposition chiisme-sunnisme –qui peut, certes, jouer un rôle localement- elle tend à passer au second plan. Un sheikh Nasr-allah –de chef local, qu’il était- devient un héros célébré bien au delà des frontières du Liban.

L’Europe (géant économique, mais nain politique) a choisi son camp ? Dans cette optique, le représentant de la politique extérieure européenne a logiquement refusé, récemment, de lier le problème de Gaza et le problème libanais : ce seraient deux cas différents ! Cependant les masses arabes ressentent ces conflits comme des volets de la même lutte contre un sionisme allié des grandes puissances.

En bref, il faut absolument (mais n’est-ce pas trop tard ?) trouver une forme de justice, vis-à-vis du peuple palestinien. Si, du moins, l’on veut éviter des affrontements futurs, dans toute cette région… Le mal ne disparaît pas parce que l’on en parle, mais seulement lorsqu’on extirpe sa racine.

Écoute Israël …

Jacques Chopineau, Genappe le 18 août 2006