La croisée des chemins
« Écoute », est le début
d’un texte biblique fameux qui est aussi une prière
familière… Ici cependant le mot est pris dans
son sens usuel d’exhortation et de mise en garde. C’est
ce qu’on dit lorsqu’on veut attirer l’attention
d’un ami.
Au-delà d’une actualité tragique
au Moyen-Orient (bombardements, maisons détruites,
populations déplacées… tant
au Liban que dans la bande de Gaza), il faut poser la question
de l’avenir –celui des enfants et des petits
enfants d’aujourd’hui. Quel monde leur préparons-nous ? Car
la question n’est pas simplement de gagner la guerre.
C’est finalement la paix qui doit être gagnée.
Sans quoi les guerres ne cesseront pas et il faudra toujours
qu’elles soient gagnées par le même vainqueur
afin d’éviter d’autres violences en retour.
De sorte que la question est bien : quel monde construisons-nous ?
Toute
opposition est une croisée des chemins. Irons-nous
vers la paix ou vers la guerre ? Vers un accord négocié ou
vers une domination sans partage ? Le moins coûteux,
sans doute, est d’être le plus fort. Même
si le prix à payer pour cette domination est de plus
en plus élevé. Et l’on peut penser que
nous ne sommes, au Proche-orient, qu’au début
d’un vaste processus.
Revenons aux commencements… Par
la création
d’un état d’Israël, une vieille espérance
prenait forme d’état constitué. Mais
le nouveau-né est –en grandissant- devenu un
adulte violent. Le petit David s’est transformé en
Goliath. Tout le monde aime David, mais on n’aime Goliath
que si l’on est dans son camp.
On dira, sans doute,
que –dès le début-
les arabes ont attaqué. D’autres diront qu’ils
n’ont fait que se défendre. Dans tous les cas,
les violences engendrèrent d’autres violences.
Pour le malheur des populations palestiniennes.
Il est vrai
que certains dirigeants arabes ont alors manqué de
clairvoyance. Le petit état d’Israël, naissant,
a dû se battre, durement, pour finalement s’imposer
contre des armées coalisées. Il n’avait
d’ailleurs pas d’autre alternative : c’était
la victoire ou le rejet à la mer. Ce fut la victoire.
Pour les vaincus (palestiniens en premier lieu) cela signifiait
aussi des années d’expulsion, de discriminations,
d’humiliations et de contraintes ordinaires.
Mais ce
n’était rien encore… Dans les
années suivantes, des frontières mouvantes,
des colonies nouvelles, un mur séparant des paysans
de leurs terres, des oliviers arrachés, des maisons
détruites… et bien d’autres malheurs !
Tout cela dans une formidable indifférence d’une « communauté internationale » aveugle
ou alignée. De là –éventuellement-
de belles paroles et des actes symboliques –mettant
sur le même plan l’agresseur et l’agressé,
manière de « parler à tous »,
selon les diplomates.
D’autre part, il est vrai que
l’Occident a toujours
eu ses fantasmes. Et l’un remplace l’autre. Autrefois
(mais cet autrefois sera peut-être, de nouveau, d’actualité ?),
ce fut le « péril jaune ». Puis
ce fut la « subversion communiste »,
au temps de l’« empire du mal ». C’est
aujourd’hui le terrorisme sous toutes ses formes –et
même, selon certains- le terrorisme islamiste.
Il semble
qu’un tel fantasme –souterrainement-
commande depuis des années le soutien à Israël
et à la politique pro-américaine (une Amérique
dont une grande partie de l’Europe a épousé les
fantasmes).
Cependant –nous dit-on- une tête
de pont (et fer de lance !) a été jetée
sur cet Orient instable, violent et … musulman. Cette
tête
de pont avancée de la civilisation se nommerait Israël.
Voilà qui justifierait le soutien au petit état
bien armé appelé à régenter la
grande région instable. Et voilà ce petit état
appelé à être le pivot régional
de la politique des USA. Le rêve est bien mort… Place
aux armes !
Ce jeu des grandes puissances (les USA et
leurs suivants) est un jeu dangereux pour les populations
locales. Mais c’est
aussi une position dangereuse pour tous, à plus long
terme. Que les enjeux pétroliers et/ou stratégiques
ne nous aveuglent pas : tous les peuples n’ont
pas les mêmes attentes, ni les mêmes exigences.
La justice n’est pas d’un seul côté.
Et seule, la justice est le terrain sur lequel une paix durable
pourra être édififiée.
Le fil
de l’espérance
L’espérance (ha-tiqwa) est le
titre de l’hymne national israélien. Une espérance
de deux mille ans –après bien des péripéties,
des ghettos, des pogroms, des expulsions, des discriminations
de toutes sortes…
Le sommet de l’horreur fut atteint à l’époque
du nazisme. Un génocide organisé avec méthode –dans
le sillage d’une pensée folle. Ce passé est à l’origine
d’un nouvel état dont les palestiniens –pourtant
innocents- furent aussi les victimes.
Cependant, ce qui commence
avec la fondation d’un état
nouveau ressemble à cette renaissance évoquée
par le texte fameux d’Ezekiel 37 (la vision des ossements
qui reprennent vie). L’image est d’ailleurs évoquée
dans les paroles de l’hymne national actuel: « notre
espérance n’est pas encore morte ».
Mais
cette espérance est un fil (« qaw » -de
même racine que « tiqwa »). Un
fil peut se rompre. Surtout lorsque ce fil est utilisé à des
fins stratégiques et politiques, par des mains étrangères
et intéressées.
Cette renaissance après
la terrible épreuve
fut justement saluée par beaucoup, en Europe, Pour
cette raison, justement, la déception est grande.
Comment le petit David est-il devenu un grand Goliath violent
et arrogant ? Un David-Goliath condamné à être
toujours le plus fort, afin d’avoir raison. Jusqu’à quand ?
L’image
d’Israël est fortement changée.
Et ce ne sont pas les discours d’un certain judaïsme
sioniste de combat qui changeront cette image. Pour certains,
d’ailleurs, toute critique d’Israël est
dénoncée comme étant de l’antisémitisme,
voire de l’anti-judaïsme. C’est absurde,
mais c’est une absurdité courante…
Pour
comprendre la situation actuelle, il faut faire retour à la
situation des commencements. Lorsque le petit état
naissant devait lutter pour sa survie. Il faut d’ailleurs
rappeler que quelques dirigeants arabes ont pensé que –par
la force des armes- ils allaient chasser le nouveau peuple.
Ils ont échoué.
Du coup, des populations entières,
ont été chassées
de leurs terres ancestrales pour des camps de réfugiés
(au Liban, en Jordanie et ailleurs). Des camps qui ont pris
la relève (provisoire ?) d’une patrie perdue.
Leurs enfants ne l’ont pas oublié.
À
l’inverse, un peuple nouveau voyait le jour. Mais pour
qu’un tel projet grandiose (une renaissance…)
s’inscrive dans la durée, une chose, au moins, était
nécessaire : La justice. Rien de durable ne peut être
construit sur la seule force des armes. Or, Israël s’est –depuis
les origines- constitué comme une société de
combat. Pour sa survie, d’abord, pour sa domination
ensuite.
Cependant, là où l’humiliation,
les frustrations, les injustices sont à demeure :
la guerre fait sa patrie. Et peu importe que les résistants
soient appelés terroristes –ou l’inverse-
la violence, toujours, engendre la violence. Et les gamins
palestiniens
de 10 ou 12 ans qui aujourd’hui lancent des pierres,
auront 20 ou 22 ans dans 10 ans. Les pierres seront, sans
doute, remplacées par d’autres armes. Et il
ne servira à rien d’invoquer le « terrorisme ».
Quelle société préparons-nous ?
Et demain ?
La partie était donc bien mal engagée.
On aurait peut-être pu imaginer « une terre
et un peuple ». Jacob et Esaü –enfin
réconciliés- habitant le même pays… Une
forte minorité juive libre d’être ce qu’elle
est, dans un grand pays où tous (juifs, chrétiens,
musulmans) ont des racines communes.
Cela n’a pas été le
cas. Les puissances de l’époque ont voulu deux
peuples distincts sur un territoire partagé. En fait,
ce sont les armes qui ont déterminé ce partage.
On ne refera certes pas l’histoire, mais on doit se
demander de quoi, dans ces conditions, demain sera fait.
Nous
avons ainsi, dès le début : « une
terre et deux peuples ». Situation compliquée !
Il faut donc apprendre à vivre ensemble ou côte à côte
et, pour cela –d’abord- apprendre à se
respecter. Il n’est pas d’autre chemin. Sans
quoi les violences sont appelées à s’enchaîner
l’une l’autre, sans fin.
Reconnaissons pourtant
qu’un tel chemin de paix n’est
pas celui qui a été engagé. Et sorte
qu’aujourd’hui, ce chemin sera long et difficile.
Pourtant, le temps presse. Pourquoi ?
D’abord parce
qu’aucun état dominant,
aucun empire, jamais, n’est éternel. Aucune
armée n’est longtemps invincible. La vraie sécurité est
celle que donne la paix. Mais pas de paix sans respect et
pas de respect sans justice. Vielles évidences oubliées…
Ensuite parce qu’une nouvelle sensibilité se
fait jour, tant dans le monde arabe que dans les démocraties
européennes dont l’image d’Israël
se ternit toujours plus
Dans tout le monde arabe, de plus
en plus, une nouvelle prise de conscience solidaire se fait
jour. Dans le monde arabe
tout entier –et non seulement dans les pays voisins
de la Palestine. Nous assistons, dans plusieurs pays musulmans
-évidemment sous des formes diverses selon les pays- à la
montée d’une nouvelle prise de conscience, sociopolitique –certes-
mais souvent à visage religieux.
Si les occidentaux
ne le perçoivent pas, il ne leur
restera plus qu’à se réfugier derrière
des fantasmes comme un prétendu « choc
des civilisations » ou même derrière
des absurdités du genre : « l’Islam
terroriste ». Ou encore –ce qui est fait
couramment- accuser l’Iran ou la Syrie de fomenter
ces violences.
Ce vaste sujet ne peut être abordé ici,
mais il serait bon que les médias occidentaux entendent –au
moins- les paroles des chansons qui ont fait le tour du monde
arabe. Souvent, plus que ce est dit (officiellement), ce
qu’on chante dans la rue est significatif.
«
L’épée : qu’elle soit tirée !» (Titre
d’une chanson chantée par Fayrûz la libanaise).
Bien d’autres chansons très connues pourraient être
citées. Mais l’Occident n’entend que les
chansons qui conviennent à son suivisme complice.
Le réveil risque d’être pénible.
Déjà,
l’égyptien ‘Abd el-Halîm
Hâfez chantait jadis « Bienvenue sur les
champs de bataille ». Cet appel finira par passer
dans les faits, pour le malheur des peuples certainement,
mais aussi pour le malheur de plusieurs gouvernements de
pays arabes. Et l’incompréhension des occidentaux….
Dans
tous les cas, il faut savoir que ce ne sont pas des terroristes
qui chantent cela, mais des arabes –souvent
désespérés- qui parfois n’attendent
plus rien d’un monde occidental dont le discours « démocratique » est
perçu comme étant une autre forme d’un
discours de pouvoir.
Enfin –pour en revenir à notre
quotidien- il importe de dénoncer les consternantes « informations » télévisées
et les consternants « experts » autoproclamés
qui s’y produisent. Ainsi que l’objectivité moitié-moitié (une
alouette-un cheval) qui renvoie dos à dos les crimes
réels commis contre Gaza –par exemple- et les
crimes imaginaires d’un Iran réel, mais encore
inconnu.
Quant à l’opposition chiisme-sunnisme –qui
peut, certes, jouer un rôle localement- elle tend à passer
au second plan. Un sheikh Nasr-allah –de chef local,
qu’il était- devient un héros célébré bien
au delà des frontières du Liban.
L’Europe
(géant économique, mais nain
politique) a choisi son camp ? Dans cette optique, le
représentant de la politique extérieure européenne
a logiquement refusé, récemment, de lier le
problème de Gaza et le problème libanais :
ce seraient deux cas différents ! Cependant les
masses arabes ressentent ces conflits comme des volets de
la même lutte contre un sionisme allié des grandes
puissances.
En bref, il faut absolument (mais n’est-ce
pas trop tard ?) trouver une forme de justice, vis-à-vis
du peuple palestinien. Si, du moins, l’on veut éviter
des affrontements futurs, dans toute cette région… Le
mal ne disparaît pas parce que l’on en parle,
mais seulement lorsqu’on extirpe sa racine.
Écoute Israël …
Jacques
Chopineau, Genappe le 18 août 2006
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