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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

- Un nouveau conflit

- Les intérêts en jeu

- Des erreurs qui seront payées demain ?

 

   

 


Mensonges de guerre

 

 

Un nouveau conflit

Le conflit libanais actuel ranime d’anciennes passions . Il ne faudrait pourtant pas oublier une autre tragédie : celle qui, depuis des années, est vécue par le peuple palestinien. Et, surtout, ne pas penser que cette tragédie n’a rien à voir avec celle qui est, aujourd’hui, vécue par le peuple libanais. Evidemment, les deux aventures sont différentes, mais il serait vraiment superficiel de penser qu’elles n’ont rien à voir entre elles.

D’autre part, les conflits irakiens, Afghans ou Philippins pourraient être vus dans une mouvance semblable, dans laquelle l’Occident ne donne pas toujours une grande image de lui-même. Mais il ne saurait y avoir –pense-t-on- de lien direct entre l’un et l’autre conflit. Certainement, il y aura lieu de revenir sur ce point.

En tout cas, « gagner la guerre » et « gagner la paix » ne sont pas des expressions synonymes. On peut gagner la guerre et perdre la paix. Le cas s’est vu. Aux militaires de gagner la guerre ; aux politiques de gagner la paix. Mais lorsqu’un responsable politique (israélien ou américain) tient un langage de chef militaire, il est nécessaire de se poser des questions.

Certes, on trouvera juste qu’un responsable élu prenne sa part des épreuves infligées à la population de son pays et qu’il manifeste sa solidarité avec les défenseurs de son peuple. Mais cela est vrai aussi pour le président libanais. Le problème n’est évidemment pas là.

Mais l’on peut attendre d’un responsable politique que son regard porte plus loin que le résultat de la bataille. Car le peuple (israélien ou palestinien) est composé aussi d’enfants qui devront vivre demain, dans un monde que les anciens auront bâti. Les victoires militaires seront prises compte dans les manuels d’histoire –si, du moins, il existe encore un peuple pour lequel il est utile d’en parler.

Les intérêts en jeu   

Malheureux ceux qui subissent cette guerre ! Une guerre dont, cependant, les enjeux véritables sont bien au-delà de la volonté de ceux qui la subissent. Les plus faibles pèsent peu dans les choix des puissants.

Les « résolutions » du sommet du G8 étaient marquées par le fait que la Russie –désireuse d’entrer dans l’OMC- ne pouvait trop se permettre de s’opposer aux Etats-Unis. Que ces derniers d’autre part, ne pouvaient retirer à Israël un soutien qui a –en arrière-plan- signifiait une domination sur un proche-orient arabe fournisseur de pétrole, mais agité de convulsions peu propices à l’ordre.

Surtout que l’opinion américaine est –en majorité- pro-Israël et qu’elle ne comprendrait pas qu’un président élu de Dieu ne défende pas, envers et contre tous, le peuple de Dieu. Un président élu pourrait-il l’ignorer ?

De là, une vindicte des médias contre un cheikh ‘Abd-en-NaSr –chef d’un mouvement opposant, qualifié de terroriste. Attention cependant : beaucoup de libanais soutiennent ce chef « terroriste ». Les réalités continuant d’être ce qu’elles sont, il aura bientôt la majorité du pays derrière lui. Et, dès aujourd’hui, la plupart des arabes israéliens voient en lui un défenseur de la cause arabe. Tous des terroristes ?

Comme le rappelle l’actuel président libanais, le mouvement Hizb-ullâh compte des ministres au sein du gouvernement libanais et jouit d’une bonne réputation auprès des gouvernements arabes. Ce même président dément d’ailleurs des manœuvres syriennes ou iraniennes. S’il a raison, c’est le président américain et ses suivants qui nous mentent. Et les « informations » emboîtent le pas…

Des manifestants à Londres, à Paris et même à Tel-Aviv expriment leur refus de cette guerre –laquelle, d’autre part, est qualifiée de criminelle par le président du Liban. Des manifestants chantaient –en arabe- les paroles d’une chanson chantée jadis par la grande Fayrûz : « La colère montante approche » (1). La colère monte et pourrait bien, un jour prochain, submerger toutes les forces politiques des pays concernés. On ne peut, durablement, semer les destructions et récolter la paix.

Plus grave : cette guerre, qui risque d’être longue, menace d’embraser durablement toute la région. Les conséquences seraient tragiques –et le sont déjà- pour les peuples qui y vivent. Nous ne sommes qu’au début de ce processus.

Rappelons cependant que, jadis, le royaume latin de Jérusalem a duré environ quatre-vingt ans. Puis, il a disparu pour toujours. Pourtant, en ce temps-là, les chrétiens ont pensé que la volonté de Dieu était que ce royaume dure éternellement.

Certes, le temps a passé, mais l’actuel état d’Israël n’a pas encore atteint l’âge de l’ancien royaume latin ! Et la greffe n’a pas encore pris. Les guerres succèdent aux guerres. Israël a toujours été vainqueur, grâce à sa puissante armée. Mais une défaite –une seule défaite- aurait des effets tragiques. Peut-on continuer longtemps cette fuite en avant ?

Il importe qu’un chemin vers la paix se dessine. Non une paix armée qui ne dure qu’aussi longtemps que les plus forts demeurent les plus forts. Et il n’y aura jamais de paix sans justice. Faute d’un véritable état palestinien, la région (comme le Liban aujourd’hui) sera déchirée.

Quand à une « force d’interposition », il faut rappeler qu’une telle « force » a déjà été envoyée –lors d’une précédente agression du Liban. Cela s’appelait « FINUL ».

Mais c’était une force symbolique d’observateurs …. D’ailleurs, avec ses armes légères, sérieusement, elle ne pouvait rien faire. Et elle a logiquement –l’arme au pieds- regardé passer les chars israéliens. Va-t-on recommencer une telle manœuvre ?

Dans ce cas, la « communauté internationale » montrerait son incapacité réelle et son manque de volonté politique. Cela ne servirait guère aux libanais, mais pourrait donner une nouvelle bonne conscience aux pays d’Occident qui auraient envoyé ces casques bleus pour une mission « humanitaire » largement inutile. A moins, bien sûr, de changer les règles du jeu et d’imposer une paix durable. D’ailleurs, pourrait-on imaginer « faire dans l’humanitaire » sans que les bombes ne cessent de pleuvoir ?

Tel responsable israélien accepterait –paraît-il- l’idée d’une force militaire d’interposition, pourvu qu’elle soit organisée « dans le cadre de l’OTAN ». Le commandement suprême (américain) d’une telle force devrait donc être celui du soutien –supposé inconditionnel- d’Israël. Autrement dit, l’Europe : oui, mais une Europe alignée…

La récente (et inutile ?) réunion romaine a montré –au moins- que l’unanimité n’existe guère dans la dite « communauté internationale ». Le point de vue américain n’est pas le seul possible. Il peut freiner, mais non bloquer, la mise en place d’une réelle force de paix.

D’autant que -comme le rappelait le président français- beaucoup, dans la région du Moyen-Orient, perçoivent l’OTAN comme le bras armé de l’Occident….. et l’allié d’Israël. Il faut donc que l’ONU dirige une telle force. Et que les nations européennes sortent enfin de leur long attentisme…

De fait, la « communauté internationale » peut bien dire, aujourd’hui, de belles paroles : depuis des années, elle est demeurée passive devant la détresse du peuple palestinien. Comment serait-elle crédible, aujourd’hui, devant la détresse du peuple libanais ? Nous serons jugés sur nos actes ; non sur nos paroles.

Des erreurs qui seront payées demain ?   

Une erreur israélienne a été de discréditer, de toutes les manières possibles, l’autorité palestinienne et son chef charismatique (Yasser ‘Arafât). On peut dire que ce rejet de tout interlocuteur a été une cause de la victoire électorale du Hamas. Une autre erreur (mais l’Europe n’est pas un exemple) aura été de refuser ce résultat d’élections palestiniennes libres.

L’erreur actuelle, cependant, est l’agression d’un petit pays voisin. Une agression qui est hors de proportion avec l’enlèvement de deux soldats –mais l’habitude de domination semble être une « justification » suffisante. A l’imitation, d’ailleurs, du grand protecteur fournisseur d’armes.

Il ne s’agirait pas –nous dit-on- d’une invasion durable. Juste quelques incursions armées et quelques bombardements. Cela signifie tout de même plusieurs centaines de morts (y compris des enfants) et quelques milliers de blessés. Et aussi de nombreux réfugiés ou fuyards sur les quelques routes encore carrossables… Cela ne concourra évidemment pas à la paix !

Au contraire, ces d’erreurs risquent d’être payées, dans l’avenir, par les peuples (y compris le peuple israélien) qui vivent dans cette région. Représailles et contre-représailles appellent des vengeances sans fin.
Ceux qui sont attachés à l’existence durable d’un état d’Israël sont directement concernés. Une paix est indispensable. Evidemment, la dialogue ne sera pas facile. D’autant qu’il a été mal engagé. Il n’est pourtant pas d’autre chemin.

À terme, c’est l’existence même d’Israël qui est en jeu. L’alternative est la suivante : ou bien un accord respecté par tous les partenaires (et l’insertion d’Israël enfin acceptée dans cette région du monde) ou bien une guerre multiforme qui ne prendra jamais fin.

Le règne de la force ne peut avoir qu’un temps, même si le soutien américain paraît aujourd’hui indéfectible. Ce soutien évolue d’ailleurs –d’autant que les régimes arabes dits « modérés » (c’est-à-dire : pro-occidentaux) doivent aussi tenir compte de leur opinion publique longtemps malmenée.

Dans le cas contraire, les victoires israéliennes devraient se succéder sans faille. Mais il faut dire et redire que gagner la guerre ne signifie pas gagner la paix. On ne peut semer la mort et assurer la paix. D’ailleurs, une seule défaite serait, ici et là, applaudie par beaucoup. De vertueux regrets officiels n’y changeraient rien.

Avant que l’irréparable ne soit commis, il est temps que le difficile chemin de la paix soit retrouvé. Sinon, les extrémistes de toutes sortes auraient eu raison. Pour le malheur des peuples.

Les frustrations engendrent les violences. Voir, sur ce site : « Désespoir et violence ». Il s’agissait alors du peuple palestinien. Mais les événements actuels invitent à une réflexion sur l’ensemble de la réalité de cette région. D’autant que, dans le temps de l’offensive contre le Liban, l’armée israélienne est également active dans la petite bande de Gaza. Là aussi, une population est prise en otage. Là aussi des enfants sont tués… et les haines s’accumulent.

Dans les deux cas, une supériorité militaire écrasante ne va pas dans le sens de la paix. Bien sûr, Israël a le droit de se défendre. Mais tous les peuples ont ce même droit. Même les peuples qui n’ont pas aujourd’hui les moyens de faire reconnaître ce droit.

Le petit Israël en a su quelque chose, tout au long de son histoire. Jadis écrasé, tour à tour, par l’Assyrie, la Babylonie, les Séleucides, les Romains, les rois chrétiens, les racismes européens, la folie nazie… Il a cependant survécu. Comme survivront aussi palestiniens et libanais –au travers du feu.

Jacques Chopineau, Genappe le 28 juillet 2006

(1) Chanson fameuse dans tout le monde arabe (« madînat us-SalâT » : la ville de la prière = Jérusalem). Les manifestants criaient « ‘âtin » (« venant(e) ») - parlant de la colère à venir. Une autre chanson célèbre –que tous connaissent par cœur- disait : « l’épée : qu’elle soit tirée ! Maintenant, maintenant et non demain ». Nos informateurs feraient bien d’entendre ces paroles.