Un nouveau conflit
Le
conflit libanais actuel ranime d’anciennes passions .
Il ne faudrait
pourtant pas oublier une autre tragédie : celle qui, depuis des années,
est vécue par le peuple palestinien. Et, surtout, ne pas penser que cette
tragédie n’a rien à voir avec celle qui est, aujourd’hui,
vécue par le peuple libanais. Evidemment, les deux aventures sont différentes,
mais il serait vraiment superficiel de penser qu’elles n’ont rien à voir
entre elles.
D’autre part, les conflits irakiens,
Afghans ou Philippins pourraient être
vus dans une mouvance semblable, dans laquelle l’Occident ne donne pas
toujours une grande image de lui-même. Mais il ne saurait y avoir –pense-t-on-
de lien direct entre l’un et l’autre conflit. Certainement, il
y aura lieu de revenir sur ce point.
En tout cas, « gagner la guerre » et « gagner
la paix » ne sont pas des expressions synonymes. On peut gagner
la guerre et perdre la paix. Le cas s’est vu. Aux militaires de gagner
la guerre ; aux politiques de gagner la paix. Mais lorsqu’un responsable
politique (israélien ou américain) tient un langage de chef
militaire,
il est nécessaire de se poser des questions.
Certes, on trouvera juste
qu’un responsable élu prenne sa part des épreuves
infligées à la population de son pays et qu’il manifeste
sa solidarité avec les défenseurs de son peuple. Mais cela
est vrai aussi pour le président libanais. Le problème n’est évidemment
pas là.
Mais l’on peut attendre d’un responsable
politique que son regard porte plus loin que le résultat
de la bataille. Car le peuple (israélien
ou palestinien) est composé aussi d’enfants qui devront
vivre demain, dans un monde que les anciens auront bâti. Les victoires
militaires seront prises compte dans les manuels d’histoire –si,
du moins, il existe encore un peuple pour lequel il est utile d’en
parler.
Les intérêts en jeu
Malheureux
ceux qui subissent cette guerre ! Une guerre dont, cependant,
les enjeux véritables sont bien au-delà de la volonté de
ceux qui la subissent. Les plus faibles pèsent peu dans les choix
des puissants.
Les « résolutions » du
sommet du G8 étaient
marquées par le fait que la Russie –désireuse d’entrer
dans l’OMC- ne pouvait trop se permettre de s’opposer aux
Etats-Unis. Que ces derniers d’autre part, ne pouvaient retirer à Israël
un soutien qui a –en arrière-plan- signifiait une domination
sur un proche-orient arabe fournisseur de pétrole, mais agité de
convulsions peu propices à l’ordre.
Surtout que l’opinion
américaine est –en majorité-
pro-Israël et qu’elle ne comprendrait pas qu’un
président élu
de Dieu ne défende pas, envers et contre tous, le peuple de
Dieu. Un président élu
pourrait-il l’ignorer ?
De là, une vindicte des
médias contre un cheikh ‘Abd-en-NaSr –chef
d’un mouvement opposant, qualifié de terroriste. Attention
cependant :
beaucoup de libanais soutiennent ce chef « terroriste ».
Les réalités continuant d’être ce qu’elles
sont, il aura bientôt la majorité du pays derrière
lui. Et, dès
aujourd’hui, la plupart des arabes israéliens voient
en lui un défenseur
de la cause arabe. Tous des terroristes ?
Comme le rappelle
l’actuel président libanais, le mouvement Hizb-ullâh
compte des ministres au sein du gouvernement libanais et jouit
d’une bonne
réputation auprès des gouvernements arabes. Ce
même
président
dément d’ailleurs des manœuvres syriennes ou
iraniennes. S’il
a raison, c’est le président américain et
ses suivants qui nous mentent. Et les « informations » emboîtent
le pas…
Des manifestants à Londres, à Paris
et même à Tel-Aviv
expriment leur refus de cette guerre –laquelle, d’autre
part, est qualifiée de criminelle par le président
du Liban. Des manifestants chantaient –en arabe- les
paroles d’une chanson chantée jadis
par la grande Fayrûz : « La colère
montante approche » (1).
La colère monte et pourrait bien, un jour prochain,
submerger toutes les forces politiques des pays concernés.
On ne peut, durablement, semer les destructions et récolter
la paix.
Plus grave : cette guerre, qui risque
d’être
longue, menace d’embraser durablement toute la région.
Les conséquences seraient tragiques –et le sont
déjà-
pour les peuples qui y vivent. Nous ne sommes qu’au
début
de ce processus.
Rappelons cependant que, jadis, le royaume
latin de Jérusalem a duré environ
quatre-vingt ans. Puis, il a disparu pour toujours. Pourtant,
en ce temps-là,
les chrétiens ont pensé que la volonté de
Dieu était
que ce royaume dure éternellement.
Certes, le temps
a passé, mais l’actuel état d’Israël
n’a pas encore atteint l’âge de l’ancien
royaume latin ! Et la greffe n’a pas encore pris. Les
guerres succèdent
aux guerres. Israël a toujours été vainqueur,
grâce à sa
puissante armée. Mais une défaite –une
seule défaite-
aurait des effets tragiques. Peut-on continuer longtemps
cette fuite en avant ?
Il importe qu’un chemin
vers la paix se dessine. Non une paix armée
qui ne dure qu’aussi longtemps que les plus forts demeurent
les plus forts. Et il n’y aura jamais de paix sans
justice. Faute d’un véritable état
palestinien, la région (comme le Liban aujourd’hui)
sera déchirée.
Quand à une « force
d’interposition », il
faut rappeler qu’une telle « force » a
déjà été envoyée –lors
d’une précédente agression du Liban.
Cela s’appelait « FINUL ».
Mais
c’était une force symbolique d’observateurs ….
D’ailleurs, avec ses armes légères, sérieusement,
elle ne pouvait rien faire. Et elle a logiquement –l’arme
au pieds- regardé passer les chars israéliens.
Va-t-on recommencer une telle manœuvre ?
Dans ce
cas, la « communauté internationale » montrerait
son incapacité réelle et son manque de volonté politique.
Cela ne servirait guère aux libanais, mais pourrait
donner une nouvelle bonne conscience aux pays d’Occident
qui auraient envoyé ces casques
bleus pour une mission « humanitaire » largement
inutile. A moins, bien sûr, de changer les règles
du jeu et d’imposer
une paix durable. D’ailleurs, pourrait-on imaginer « faire
dans l’humanitaire » sans que les bombes
ne cessent de pleuvoir ?
Tel responsable israélien
accepterait –paraît-il- l’idée
d’une force militaire d’interposition, pourvu
qu’elle soit
organisée « dans le cadre de l’OTAN ».
Le commandement suprême (américain) d’une
telle force devrait donc être celui du soutien –supposé inconditionnel-
d’Israël.
Autrement dit, l’Europe : oui, mais une Europe
alignée…
La récente (et inutile ?)
réunion romaine a montré –au
moins- que l’unanimité n’existe guère
dans la dite « communauté internationale ».
Le point de vue américain n’est pas le seul
possible. Il peut freiner, mais non bloquer, la mise en place
d’une réelle force de paix.
D’autant que
-comme le rappelait le président français-
beaucoup, dans la région du Moyen-Orient, perçoivent
l’OTAN comme le
bras armé de l’Occident….. et l’allié d’Israël.
Il faut donc que l’ONU dirige une telle force. Et que
les nations européennes
sortent enfin de leur long attentisme…
De fait, la « communauté internationale » peut
bien dire, aujourd’hui, de belles paroles : depuis
des années, elle
est demeurée passive devant la détresse du
peuple palestinien. Comment serait-elle crédible,
aujourd’hui, devant la détresse
du peuple libanais ? Nous serons jugés sur nos
actes ; non sur
nos paroles.
Des erreurs qui seront payées demain ?
Une erreur israélienne a été de
discréditer,
de toutes les manières possibles, l’autorité palestinienne
et son chef charismatique (Yasser ‘Arafât). On
peut dire que ce rejet de tout interlocuteur a été une
cause de la victoire électorale
du Hamas. Une autre erreur (mais l’Europe n’est
pas un exemple) aura été de
refuser ce résultat d’élections palestiniennes
libres.
L’erreur actuelle, cependant, est l’agression
d’un petit pays
voisin. Une agression qui est hors de proportion avec l’enlèvement
de deux soldats –mais l’habitude de domination
semble être
une « justification » suffisante. A
l’imitation,
d’ailleurs, du grand protecteur fournisseur d’armes.
Il ne s’agirait pas –nous dit-on-
d’une
invasion durable. Juste quelques incursions armées
et quelques bombardements. Cela signifie tout de même
plusieurs centaines de morts (y compris des enfants) et quelques
milliers de blessés. Et aussi de nombreux réfugiés
ou fuyards sur les quelques routes encore carrossables… Cela
ne concourra évidemment
pas à la paix !
Au contraire, ces d’erreurs
risquent d’être payées,
dans l’avenir, par les peuples (y compris le peuple
israélien) qui
vivent dans cette région. Représailles et contre-représailles
appellent des vengeances sans fin.
Ceux qui sont attachés à l’existence
durable d’un état
d’Israël sont directement concernés. Une
paix est indispensable. Evidemment, la dialogue ne sera pas
facile. D’autant qu’il a été mal
engagé. Il n’est pourtant pas d’autre
chemin.
À terme, c’est l’existence
même d’Israël
qui est en jeu. L’alternative est la suivante :
ou bien un accord respecté par
tous les partenaires (et l’insertion d’Israël
enfin acceptée
dans cette région du monde) ou bien une guerre multiforme
qui ne prendra jamais fin.
Le règne de la force ne
peut avoir qu’un temps, même si le
soutien américain paraît aujourd’hui indéfectible.
Ce soutien évolue d’ailleurs –d’autant
que les régimes
arabes dits « modérés » (c’est-à-dire :
pro-occidentaux) doivent aussi tenir compte de leur opinion
publique longtemps malmenée.
Dans le cas contraire,
les victoires israéliennes devraient se succéder
sans faille. Mais il faut dire et redire que gagner la guerre
ne signifie pas gagner la paix. On ne peut semer la mort
et assurer la paix. D’ailleurs,
une seule défaite serait, ici et là, applaudie
par beaucoup. De vertueux regrets officiels n’y changeraient
rien.
Avant que l’irréparable ne soit
commis, il est temps que le difficile chemin de la paix soit
retrouvé.
Sinon, les extrémistes de toutes
sortes auraient eu raison. Pour le malheur des peuples.
Les
frustrations engendrent les violences. Voir, sur ce site : « Désespoir
et violence ». Il s’agissait alors du peuple
palestinien. Mais les événements actuels invitent à une
réflexion sur
l’ensemble de la réalité de cette région.
D’autant
que, dans le temps de l’offensive contre le Liban,
l’armée
israélienne est également active dans la petite
bande de Gaza. Là aussi, une population est prise
en otage. Là aussi des enfants
sont tués… et les haines s’accumulent.
Dans les deux cas, une supériorité militaire écrasante
ne va pas dans le sens de la paix. Bien sûr, Israël
a le droit de se défendre. Mais tous les peuples ont
ce même droit. Même les
peuples qui n’ont pas aujourd’hui les moyens
de faire reconnaître
ce droit.
Le petit Israël en a su quelque chose,
tout au long de son histoire. Jadis écrasé,
tour à tour, par l’Assyrie, la Babylonie, les
Séleucides,
les Romains, les rois chrétiens, les racismes européens,
la folie nazie… Il a cependant survécu. Comme
survivront aussi palestiniens et libanais –au travers
du feu.
Jacques Chopineau, Genappe le 28 juillet 2006
(1) Chanson fameuse dans
tout le monde arabe (« madînat
us-SalâT » : la ville de la prière
= Jérusalem).
Les manifestants criaient « ‘âtin » (« venant(e) »)
- parlant de la colère à venir. Une autre chanson
célèbre –que
tous connaissent par cœur- disait : « l’épée :
qu’elle soit tirée ! Maintenant, maintenant
et non demain ».
Nos informateurs feraient bien d’entendre ces paroles. |