On voit assez souvent,
dans les rubriques nécrologiques (de la presse belge
en particulier) qu'Untel est décédé récemment,
fidèle à ses convictions philosophiques.
Ou bien que, par fidélité à ses convictions
philosophiques, les obsèques se dérouleront
de telle ou telle manière.
Cette expression m'agace par un formalisme
aussi ridicule que celui qui préside aux formulations
saint-sulpiciennes dont les arrières-senteurs de
sacristie se flairent à distance respectable : "il
plu au Seigneur de rappeler à Lui l'âme de
sa fidèle servante" ou "notre bien-aimé défunt
s'en est allé, réconforté par les
sacrements de Notre Mère la Sainte Eglise".
La différence entre la fidélité aux
conceptions philosophiques et la fidélité à la "chose
religieuse" réside dans le fait que la seconde
s'inscrit dans la foi (ou l'affichage de la foi) religieuse,
alors que la première manifeste une appartenance à un
courant laïc de libre pensée ou à la
franc-maçonnerie. Encore que l'on puisse n'adhérer à aucune
institution et tenir à marquer, même post
mortem, la stricte laïcité de son territoire.
Après tout, les chats et les chiens disposent bien
de méthodes de marquage spécifique eux aussi.
Que le Grand Cric me croque si je laissais
entendre ici que l'expression concernée est moins
opportune qu'une autre. On a parfaitement le droit de mourir
plus fidèle à ses conceptions philosophiques
qu'à son conjoint.
Ce qui me dérange, dans cette
formulation se situe à deux niveaux: d'une part,
je crois avoir connu dans ma vie trop de vivants qui n'entendaient
pas le premier mot à une quelconque philosophie
pour que leur référence à leurs conceptions
philosophiques m'apparût à l'évidence
comme une touche de suffisance et de prétention
relevant de ce que l'on nomme souvent l'arrogance des ignorants;
d'autre part, je trouve le caractère définitif
de cette affirmation, de manière générale,
assez agaçant. Il me semble en effet qu'une véritable
attitude "philosophique" repose davantage sur
le doute que sur l'affirmation de type dogmatique que l'on
reproche si souvent à "l'adversaire"...
Dans tous les cas, j'ose affirmer ici
que depuis toujours, en matière (si j'ose dire)
de spiritualité, le doute seul m'habite; comme je
suis plus près de mes dernières heures en
ce bas monde que de me premiers balbutiements, et que plus
le temps passe, plus le doute s'accroît, je serais
très reconnaissant à mes survivants de ne
rien mentionner dans mon annonce mortuaire qui pût
se référer à mes convictions. La chose
ne regarde personne. Elle n'intéresse personne non
plus, ce qui arrange tout.
Que l'on ajoute "sum quod eris,
modicum cineris" (1) qui invite à la
réflexion, ou une image de l'équerre et
du compas entrecroisés qui constituent une sorte
de signature, ou la photo d'une jolie naïade, plus
plaisante sans doute au lecteur qu'une citation de Saint-Augustin
ou de Bossuet , peu me chaut. Mais que l'on s'abstienne
de références religieuses tout autant que
de la mention de mes "conceptions philosophiques". De
grâce, en quelque sorte...
Jacques Herman, Pully,
le 22 mai 2006
(1) "Je
suis ce que tu seras : un peu de cendre (restes mortels)"
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