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 Les chroniques



    Jacques Herman

 

 

 

   

 


Fidèle à ses conceptions philosophiques

 

 

On voit assez souvent, dans les rubriques nécrologiques (de la presse belge en particulier) qu'Untel est décédé récemment, fidèle à ses convictions philosophiques. Ou bien que, par fidélité à ses convictions philosophiques, les obsèques se dérouleront de telle ou telle manière.

Cette expression m'agace par un formalisme aussi ridicule que celui qui préside aux formulations saint-sulpiciennes dont les arrières-senteurs de sacristie se flairent à distance respectable : "il plu au Seigneur de rappeler à Lui l'âme de sa fidèle servante" ou "notre bien-aimé défunt s'en est allé, réconforté par les sacrements de Notre Mère la Sainte Eglise".

La différence entre la fidélité aux conceptions philosophiques et la fidélité à la "chose religieuse" réside dans le fait que la seconde s'inscrit dans la foi (ou l'affichage de la foi) religieuse, alors que la première manifeste une appartenance à un courant laïc de libre pensée ou à la franc-maçonnerie. Encore que l'on puisse n'adhérer à aucune institution et tenir à marquer, même post mortem, la stricte laïcité de son territoire. Après tout, les chats et les chiens disposent bien de méthodes de marquage spécifique eux aussi.

Que le Grand Cric me croque si je laissais entendre ici que l'expression concernée est moins opportune qu'une autre. On a parfaitement le droit de mourir plus fidèle à ses conceptions philosophiques qu'à son conjoint.

Ce qui me dérange, dans cette formulation se situe à deux niveaux: d'une part, je crois avoir connu dans ma vie trop de vivants qui n'entendaient pas le premier mot à une quelconque philosophie pour que leur référence à leurs conceptions philosophiques m'apparût à l'évidence comme une touche de suffisance et de prétention relevant de ce que l'on nomme souvent l'arrogance des ignorants; d'autre part, je trouve le caractère définitif de cette affirmation, de manière générale, assez agaçant. Il me semble en effet qu'une véritable attitude "philosophique" repose davantage sur le doute que sur l'affirmation de type dogmatique que l'on reproche si souvent à "l'adversaire"...

Dans tous les cas, j'ose affirmer ici que depuis toujours, en matière (si j'ose dire) de spiritualité, le doute seul m'habite; comme je suis plus près de mes dernières heures en ce bas monde que de me premiers balbutiements, et que plus le temps passe, plus le doute s'accroît, je serais très reconnaissant à mes survivants de ne rien mentionner dans mon annonce mortuaire qui pût se référer à mes convictions. La chose ne regarde personne. Elle n'intéresse personne non plus, ce qui arrange tout.

Que l'on ajoute "sum quod eris, modicum cineris" (1) qui invite à la réflexion, ou une image de l'équerre et du compas entrecroisés qui constituent une sorte de signature, ou la photo d'une jolie naïade, plus plaisante sans doute au lecteur qu'une citation de Saint-Augustin ou de Bossuet , peu me chaut. Mais que l'on s'abstienne de références religieuses tout autant que de la mention de mes "conceptions philosophiques". De grâce, en quelque sorte...

Jacques Herman, Pully, le 22 mai 2006   

(1) "Je suis ce que tu seras : un peu de cendre (restes mortels)"