Les écueils de l’information
Comme
en d’autres sujets, il convient d’examiner,
de façon critique, les informations dont nous sommes,
aujourd’hui, abreuvés par la presse (écrite
et parlée) quotidienne. Cet examen critique est indispensable.
De là, ce billet d’humeur.
Nous avons, certainement,
l’actualité que nous
méritons. Toute critique de l’information est
donc réversible. L’informateur est à la
fois fils et père de l’informé. Et le
fils est, à son tour, un futur père… Mais
cette filiation-là ne crée pas une famille.
Chaque citoyen est, pour lui-même, un individu responsable.
Responsable devant qui ? C’est une
responsabilité à nombreux
tiroirs. L’individu, le chef de famille, le citoyen,
l’électeur, l’auditeur….tous ont
leur mot à dire : même s’ils le disent
rarement –d’autant qu’on ne leur demande
guère.
De même, la forme du discours doit aussi être
examinée de façon critique. Vaut-il mieux un
mensonge bien emballé ou une vérité mal
dite ? On peut défendre avec talent une idée
fausse. Dans tous les cas, un diseur talentueux remporte
plus de suffrages qu’un sage qui bégaye.
On
a aussi l’histoire que l’on mérite.
Un ancien dirigeant soviétique a eu cette déclaration
forte : « L’histoire n’a pas
besoin du passé ». De fait, l’histoire
se fabrique en fonction des besoins d’une communauté actuelle.
Sans peuple pour l’écrire, il n’y aurait
pas d’histoire. De même, l’actualité est
mise en forme en fonction du présent.
Cependant,
il est évident qu’un journalisme
libre est un élément indispensable de toute
démocratie. Sans une expression libre de la diversité des
opinions, il n’est pas de démocratie.
Il existe
de nombreux journalistes compétents et dévoués
dont le travail (parfois difficile) est l’honneur de
la profession. Et quelle démocratie pourrait se passer
de ce travail ? A presse muselée : démocratie
baillonnée.
Il n’empêche que l’ensemble
de l’information
(ses insistances et ses « oublis »)
est conditionné parfois par tout autre chose que le
simple désir de vérité. Et une belle
voix peut aussi exprimer une vue courte.
Il est vrai aussi
que les journalistes « informateurs » doivent
surmonter des obstacles importants. Pressions économiques,
conformisme ambiant, actualité « porteuse » ou
non porteuse etc…. Il serait peu sérieux de
prétendre que ces contraintes ou ces écueils
n’existent pas.
Sans refaire ici l’état
des lieux de cette presse, relevons, cependant, deux écueils
du discours médiatique –et,
donc, de toute l’information. Et rappelons au passage,
pour mémoire, le rôle prégnant de la
publicité et de ses techniques. Tout événement –sous
peine de non-existence- doit être médiatisé.
L’information crée l’événement.
Premier écueil
: l'emballage
Il arrive
que l’information,
elle-même, soit marquée par l’emballage
propre aux discours de vente. Ce qui est « bon » est
ce qui se vend. De même, est « vrai » ce
qui se répète, aujourd’hui, en tous lieux.
Encore faut-il que l’emballage soit beau. Il y a, certes,
des professionnels compétents pour cela. Dans cette
perspective, le « bon » discours
est le discours qui gagne –ou que l’on souhaite
voire gagner. C’est une nouvelle mouture du vieux débat
entre réalisme et nominalisme. La « vérité » est
dans les mots qui la définissent. L’Europe existe
puisqu’on en parle. Mais quelle Europe ? L’habit
est beau, mais quel est le corps ? Réalité économique
ou réalité politique ? L’emballage
est magnifique, mais : qu’y a-t-il dans le paquet ?
Ce premier écueil met en lumière
l’absolue
nécessité de la libre diversité des
moyens d’information. Le mot « magique » doit
bien être examiné de façon critique Les
mots « Europe », « démocratie », « liberté », « terrorisme » et
autres…. ne font pas exception.
Second
écueil : l'arbre
Un autre écueil
permanent (et un piège dans
lequel tombe souvent la presse écrite ou parlée)
est de grossir le détail et d’ignorer l’essentiel.
Le détail bien exposé peut frapper, mais l’essentiel
n’est pas toujours spectaculaire. Un proverbe indien
dit : « Un arbre qui tombe
fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ».
Une certaine information courante aura donc tendance à se
focaliser sur l’arbre tombé : gros plan
sur l’arbre ! Vous saurez tout sur l’arbre
tombé. Mais on ne vous parlera pas de la forêt
qui pousse lentement et silencieusement.
Bien sûr,
tel spécialiste pourra, éventuellement,
exprimer sa pensée au sujet de tel problème
ou à propos du futur prévisible de telle action.
Il existe d’ailleurs des émissions pour cela.
Non programmées, d’ailleurs, à une heure
de grande écoute. Et parfois difficilement intelligibles
pour un grand public. Ceci est, sans doute, une conséquence
de cela.
Mais –en tout cas- ces propos ne feront
partie de l’information
que si la question touche à une actualité considérée
comme brûlante. De plus, il est rare qu’une vérité qui
gêne soit au devant de l’information. Ou bien,
alors, cette « vérité » ne
gêne qu’une minorité. En général,
un gros titre accrocheur –s’il va dans le sens
du vent- ne gêne personne et fait vendre large.
La
forêt qui pousse ignore nos convictions politiques.
Ne soyons pas aveuglés par l’arbre qui tombe.
Les réalités ne se conforment pas aux actualités.
Et l’information n’est pas toujours innocente.
Langue et jargon
Une langue est une manière
de penser, une manière
de sentir, une manière de percevoir la réalité.
Cette réalité semble être inconnue de
nos médias. Pourtant, tout jargon désigne aussi
une manière de penser –voire à l’insu
de celui qui prétend penser « comme tout
le monde, aujourd’hui ». On pense comme
on parle.
Un indice de la négligence (ou de l’ignorance ?)
de nos informateurs peut être vu dans les approximations
langagières. Et parmi elles, les fautes de prononciations
des noms étrangers. On pourrait faire un florilège
de négligences parfois comiques.
Assez de Miguel prononcé « Migouèl »,
de Quito (Kito) prononcé « Küito »,
de Be’er Chéva’ prononcé « Bîr
Sheva », pour ne rien dire (la liste serait longue)
des autres aberrations à la mode informative.
Certes,
les anglicismes sont nombreux –surtout là où ils
inutiles- mais l’ignorance (voire le mépris)
de la langue est une caractéristique courante de la
mode télévisuelle..
Pour les anglicismes –d’autant
plus courants qu’ils sont bien diffusés par
nos ondes et deviennent, peu à peu, incontournables,
les exemples seraient –là aussi-
très nombreux.
Restons ici à une seule sonorité : « crash », « clash », « trash », « slash », « flash », “scratch” ……… et
autres joyeusetés du « french » basique.
On ne dira pas –à la télé- qu’un
avion s’est écrasé, mais qu’il
s’est « crashé ». De même,
on dira rarement « tueur en série »,
mais plutôt : « serial killer ».
C’est différent ?
Les mêmes –pour
dire : « réparti », « distribué » ou « ventilé »-
ne manqueront pas de dire « dispatché ».
Ou ce farfelu de la radio qui prononce « Auswitch » au
lieu de « Auschwitz ». Cela doit lui
faire penser à « switch » ?
Gageons que ses ancêtres n’ont pas vécu
cette horreur.
Passons sur les « overbouqué », « storybordé »,
et autre « marketingpipel » (le tout
entendu à la radio). Quel sorte de français
enseignera-t-on, demain, dans les écoles ?
Le
jargon des journalistes sportifs est en pointe. Citons au
moins : « partir en pôle » pour « partir
en tête », « warm up » pour « tour
de chauffe »…. Je ne sais plus comment ils
appellent un pneu pluie distinct d’un pneu lisse…..
Mais gageons que ce jargon deviendra l’usage.
Sans être
puriste, on peut tenter de s’exprimer
correctement. Dans le français que je parle, je me
souviens DE quelque chose, mais je me rappelle quelque chose.
Voilà la genre de distinction que beaucoup d’informateurs
ignorent ou veulent ignorer. De là ces « Ouais,
j’m’en rappelle ». Vient parfois,
ensuite, l’habituel passe-partout : OK ! » (mis
pour : « Oui », « d’accord », « ça
va », « c’est bon » etc…).
Depuis toujours, une langue s’enrichit
d’emprunts étrangers.
Nos ancêtres ne connaissaient pas les robots, ni les
spoutniks. Pas davantage, les tsunami, kamikaze, judo, karaté etc… mais,
par contre, ils connaissaient les termes musicaux italiens.
La langue française n’a évidemment rien
perdu en s’enrichissant. À réalités
nouvelles : mots nouveaux.
Le problème ne commence
que lorsque des termes français
existants sont remplacés par des termes étrangers « à la
mode ». Le jargon chasse alors la langue et finit
par niveler la pensée au niveau du jargon choisi.
Certains
informateurs en arrivent même à inventer
des mots « anglais »… qui n’existent
pas en anglais ! Comme les « recordmen » (pluriel),
la « pipolisation », le « poursuiving » etc…
Une manière de penser
Laissons ces modes (heureusement, il arrive que l’on
veuille –comme au Québec- s’exprimer dans
une langue véritable). Le jargon est une manière
de penser. Mais il n’est pas de pensée rigoureuse
sans langue rigoureuse. Simplicité, clarté,
précision…. ne relèvent pas de la répétition,
voire du matraquage à la mode. Remarquons cependant
que ces « à-peu-près » langagiers
sont conformes aux « à-peu-près » journalistiques.
Là est l’essentiel. Et l’à-peu-près,
s’il est bien emballé, bien dit « vite
fait », passe pour de l’information. Et
même, s’il est assez répété,
un contre-sens peut devenir une « vérité ».
Un exemple –parmi beaucoup d’autres-
est l’image
négative et superficielle de l’Islam donnée
régulièrement par les medias. De même,
l’information sur une nébuleuse nommée « El-Qaida ».
On semble croire qu’il existe une telle organisation
centralisée et ramifiée. Rien de semblable
n’existe, mais des groupes –éventuellement
extrémistes- peuvent se réclamer de la « base »,
ou du « fondement » (sens du mot arabe « qâ’ida »).
Certes, cette soi-disant « organisation » est
souvent qualifiée de « nébuleuse » ou
de « mouvance », à laquelle
tel terroriste est « présumé » appartenir.
La preuve n’est pas faite, sans doute, mais l’information
passe bien. D’ailleurs, les suspects « présumés » sont
certainement coupables. Et –en bonne « justice »-
on ne doit pas attendre qu’ils passent à l’acte.
Il faut donc punir préventivement.
Notons qu’on
peut ainsi remplir les prisons (voyez Guantanamo ou Abou-ghraïb).
Ou encore, ces prisons européennes
aux ordres de la CIA. Ces abominations sont censées
lutter pour la démocratie ! Dans cette logique,
les milliers de militaires « européens » (de
l’Europe alignée) envoyés en Afganistan
sont censés lutter contre le terrorisme. C’est
bien ce qui est dit…
Parfois, il ne s’agit pas
formellement de mensonges :
ce sont seulement des à-peu-près. Mais, sans
doute, expliquer cela impliquerait de dénoncer la
supercherie (ou la propagande) –de source américaine,
mais fidèlement reproduite par l’Occident- d’un
ennemi diabolique, justement combattu par les défenseurs
de la civilisation (et de son hégémonie).
Comme
souvent, mieux vaut ne rien expliquer en langage clair. D’une
part, parce qu’ainsi l’information
pourrait être critiquée, et d’autre part,
parce que la visée politique serait démasquée.
Et cela : il ne le faut pas. Ce qu’on vous dit
est la vérité et le débat éventuel
ne souffre pas de contradiction.
D’autres « informations » langagières
avaient jadis été dénoncées par
Etiemble (« Parlez-vous franglais ? »).
Il s’agissait alors, entre autre, du conformisme pro-OTAN
et du jargon usuel (anglais) que bien peu comprenaient. Mais
on a oublié ce livre. Pourtant, le même suivisme
l’emporte toujours.
Il arrive qu’ainsi l’information
soit le masque de la désinformation. Pour cela, le
jargon est opportun. Un terme technique à la mode
peut donner l’impression
que le professionnel sait réellement de quoi il parle.
Que demande le peuple ? Une vérité assimilable.
Suit le refrain : « Ils l’ont dit, à la
télé »
Le garde-fou
Peut-être dira-t-on
que tout cela est inévitable. Ne doit-on pas courir
au plus pressé ?
Evidemment, la rapidité de l’information ne
se conjugue pas toujours avec la vérité. Mais –dit-on-
c’est à la justice de faire son travail et –éventuellement-
aux historiens de rétablir la vérité.
Place à l’actualité !
D’ailleurs,
pour un certain journalisme, la présomption,
si elle se vend bien, a presque valeur de preuve. Dans ce
cas, un parfum de scandale vaut bien un vrai scandale. D’ailleurs –si
besoin est- on pourra toujours démentir. Et le démenti
sera aussi de l’information !
Mais surtout :
parlez jargon ; parlez « basique ».
Et si vous savez rien : dîtes-le en franglais.
Surtout s’ils l’ont dit sur CNN. Pour quelques
uns de nos informateurs, c’est apparemment le bon critère.
Sans doute, cette négligence dans
le langage est proportionnelle aux besoins d’une expression « populaire » et
efficace. L’information risque pourtant d’être
de la même farine. C’est souvent le règne
de l’à-peu-près bien enveloppé.
Les modes langagières ne sont qu’un
indice d’une
information approximative. Il convient de se méfier
des « informations » données
par quelqu’un qui ignore (voire qui méprise)
la langue de ses auditeurs.La pensée de l’informateur
doit, dès lors, être sujette à caution.
Il est à craindre, en effet, que son information ne
soit le produit des mêmes approximations.
Mais bien
souvent, tout se passe comme si –dans le
discours- la « qualité » était
mesurée en termes de chiffres des ventes. La qualité d’un
produit se mesurerait alors à la qualité de
son emballage. Et l’information serait, de même,
proportionnelle à la diffusion du produit.
Un garde-fou (il
n’en est peut-être pas
d’autre) réside dans la diversité des
moyens d’expression. Il importe que les informations
soient contradictoires. La diversité des opinions
exprimées est le seul garant possible. C’est
encore le cas des journaux, mais non de la télévision.
A quand une émission (hebdomadaire ?) dans laquelle
des journalistes de la presse écrite (toutes les tendances étant
représentées) seraient invités à donner
leur avis ou à poser leurs questions sur les sujets
abordés par la télévision ? Ce
serait un « droit de réponse » polémique
propre à ouvrir l’esprit de l’auditeur-citoyen.
On préfère diffuser des variétés
ou des jeux. Cela –au moins- ne gêne personne.
Et en cas d’une critique de ces pratiques, on peut
s’attendre à des protestations vertueuses de
la part de partisans du système actuel. Nul doute
que de brillants professionnels défendraient ces habitudes
D’autant que l’on peut toujours couper un peu
et qu’ainsi ces émissions sont propices à la
publicité. Ce verbiage qui fait vivre le système…..
Il importe cependant de dénoncer les à-peu-près
langagiers et journalistiques. Et comme jadis en terre occupée :
faire de la résistance….. laquelle, en ce temps-là, était
une lutte tout à fait irréaliste. Défendre
la langue et défendre une information claire :
même combat.
Jacques Chopineau, Genappe, le 21 mai 2006
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