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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

- Les écueils de l’information
   - L'emballage
   - L'arbre

- Langue et jargon
   - Une manière de penser

- Le garde-fou

 

   

 


Journalisme

 

 

Les écueils de l’information

Comme en d’autres sujets, il convient d’examiner, de façon critique, les informations dont nous sommes, aujourd’hui, abreuvés par la presse (écrite et parlée) quotidienne. Cet examen critique est indispensable. De là, ce billet d’humeur.

Nous avons, certainement, l’actualité que nous méritons. Toute critique de l’information est donc réversible. L’informateur est à la fois fils et père de l’informé. Et le fils est, à son tour, un futur père… Mais cette filiation-là ne crée pas une famille. Chaque citoyen est, pour lui-même, un individu responsable.

Responsable devant qui ? C’est une responsabilité à nombreux tiroirs. L’individu, le chef de famille, le citoyen, l’électeur, l’auditeur….tous ont leur mot à dire : même s’ils le disent rarement –d’autant qu’on ne leur demande guère.

De même, la forme du discours doit aussi être examinée de façon critique. Vaut-il mieux un mensonge bien emballé ou une vérité mal dite ? On peut défendre avec talent une idée fausse. Dans tous les cas, un diseur talentueux remporte plus de suffrages qu’un sage qui bégaye.

On a aussi l’histoire que l’on mérite. Un ancien dirigeant soviétique a eu cette déclaration forte : « L’histoire n’a pas besoin du passé ». De fait, l’histoire se fabrique en fonction des besoins d’une communauté actuelle. Sans peuple pour l’écrire, il n’y aurait pas d’histoire. De même, l’actualité est mise en forme en fonction du présent.

Cependant, il est évident qu’un journalisme libre est un élément indispensable de toute démocratie. Sans une expression libre de la diversité des opinions, il n’est pas de démocratie.

Il existe de nombreux journalistes compétents et dévoués dont le travail (parfois difficile) est l’honneur de la profession. Et quelle démocratie pourrait se passer de ce travail ? A presse muselée : démocratie baillonnée.

Il n’empêche que l’ensemble de l’information (ses insistances et ses « oublis ») est conditionné parfois par tout autre chose que le simple désir de vérité. Et une belle voix peut aussi exprimer une vue courte.

Il est vrai aussi que les journalistes « informateurs » doivent surmonter des obstacles importants. Pressions économiques, conformisme ambiant, actualité « porteuse » ou non porteuse etc…. Il serait peu sérieux de prétendre que ces contraintes ou ces écueils n’existent pas.

Sans refaire ici l’état des lieux de cette presse, relevons, cependant, deux écueils du discours médiatique –et, donc, de toute l’information. Et rappelons au passage, pour mémoire, le rôle prégnant de la publicité et de ses techniques. Tout événement –sous peine de non-existence- doit être médiatisé. L’information crée l’événement.

Premier écueil : l'emballage  

Il arrive que l’information, elle-même, soit marquée par l’emballage propre aux discours de vente. Ce qui est « bon » est ce qui se vend. De même, est « vrai » ce qui se répète, aujourd’hui, en tous lieux. Encore faut-il que l’emballage soit beau. Il y a, certes, des professionnels compétents pour cela.

Dans cette perspective, le « bon » discours est le discours qui gagne –ou que l’on souhaite voire gagner. C’est une nouvelle mouture du vieux débat entre réalisme et nominalisme. La « vérité » est dans les mots qui la définissent. L’Europe existe puisqu’on en parle. Mais quelle Europe ? L’habit est beau, mais quel est le corps ? Réalité économique ou réalité politique ? L’emballage est magnifique, mais : qu’y a-t-il dans le paquet ?

Ce premier écueil met en lumière l’absolue nécessité de la libre diversité des moyens d’information. Le mot « magique » doit bien être examiné de façon critique Les mots « Europe », « démocratie », « liberté », « terrorisme » et autres…. ne font pas exception.

Second écueil : l'arbre 

Un autre écueil permanent (et un piège dans lequel tombe souvent la presse écrite ou parlée) est de grossir le détail et d’ignorer l’essentiel. Le détail bien exposé peut frapper, mais l’essentiel n’est pas toujours spectaculaire.

Un proverbe indien dit : « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». Une certaine information courante aura donc tendance à se focaliser sur l’arbre tombé : gros plan sur l’arbre ! Vous saurez tout sur l’arbre tombé. Mais on ne vous parlera pas de la forêt qui pousse lentement et silencieusement.

Bien sûr, tel spécialiste pourra, éventuellement, exprimer sa pensée au sujet de tel problème ou à propos du futur prévisible de telle action. Il existe d’ailleurs des émissions pour cela. Non programmées, d’ailleurs, à une heure de grande écoute. Et parfois difficilement intelligibles pour un grand public. Ceci est, sans doute, une conséquence de cela.

Mais –en tout cas- ces propos ne feront partie de l’information que si la question touche à une actualité considérée comme brûlante. De plus, il est rare qu’une vérité qui gêne soit au devant de l’information. Ou bien, alors, cette « vérité » ne gêne qu’une minorité. En général, un gros titre accrocheur –s’il va dans le sens du vent- ne gêne personne et fait vendre large.

La forêt qui pousse ignore nos convictions politiques. Ne soyons pas aveuglés par l’arbre qui tombe. Les réalités ne se conforment pas aux actualités. Et l’information n’est pas toujours innocente.

Langue et jargon   

Une langue est une manière de penser, une manière de sentir, une manière de percevoir la réalité. Cette réalité semble être inconnue de nos médias. Pourtant, tout jargon désigne aussi une manière de penser –voire à l’insu de celui qui prétend penser « comme tout le monde, aujourd’hui ». On pense comme on parle.

Un indice de la négligence (ou de l’ignorance ?) de nos informateurs peut être vu dans les approximations langagières. Et parmi elles, les fautes de prononciations des noms étrangers. On pourrait faire un florilège de négligences parfois comiques.

Assez de Miguel prononcé « Migouèl », de Quito (Kito) prononcé « Küito », de Be’er Chéva’ prononcé « Bîr Sheva », pour ne rien dire (la liste serait longue) des autres aberrations à la mode informative.

Certes, les anglicismes sont nombreux –surtout là où ils inutiles- mais l’ignorance (voire le mépris) de la langue est une caractéristique courante de la mode télévisuelle..

Pour les anglicismes –d’autant plus courants qu’ils sont bien diffusés par nos ondes et deviennent, peu à peu, incontournables, les exemples seraient –là aussi- très nombreux.

Restons ici à une seule sonorité : « crash », « clash », « trash », « slash », « flash », “scratch” ……… et autres joyeusetés du « french » basique. On ne dira pas –à la télé- qu’un avion s’est écrasé, mais qu’il s’est « crashé ». De même, on dira rarement « tueur en série », mais plutôt : « serial killer ». C’est différent ?

Les mêmes –pour dire : « réparti », « distribué » ou « ventilé »- ne manqueront pas de dire « dispatché ». Ou ce farfelu de la radio qui prononce « Auswitch » au lieu de « Auschwitz ». Cela doit lui faire penser à « switch » ? Gageons que ses ancêtres n’ont pas vécu cette horreur.

Passons sur les « overbouqué », « storybordé », et autre « marketingpipel » (le tout entendu à la radio). Quel sorte de français enseignera-t-on, demain, dans les écoles ?

Le jargon des journalistes sportifs est en pointe. Citons au moins : « partir en pôle » pour « partir en tête », « warm up » pour « tour de chauffe »…. Je ne sais plus comment ils appellent un pneu pluie distinct d’un pneu lisse….. Mais gageons que ce jargon deviendra l’usage.

Sans être puriste, on peut tenter de s’exprimer correctement. Dans le français que je parle, je me souviens DE quelque chose, mais je me rappelle quelque chose. Voilà la genre de distinction que beaucoup d’informateurs ignorent ou veulent ignorer. De là ces « Ouais, j’m’en rappelle ». Vient parfois, ensuite, l’habituel passe-partout : OK ! » (mis pour : « Oui », « d’accord », « ça va », « c’est bon » etc…).

Depuis toujours, une langue s’enrichit d’emprunts étrangers. Nos ancêtres ne connaissaient pas les robots, ni les spoutniks. Pas davantage, les tsunami, kamikaze, judo, karaté etc… mais, par contre, ils connaissaient les termes musicaux italiens. La langue française n’a évidemment rien perdu en s’enrichissant. À réalités nouvelles : mots nouveaux.

Le problème ne commence que lorsque des termes français existants sont remplacés par des termes étrangers « à la mode ». Le jargon chasse alors la langue et finit par niveler la pensée au niveau du jargon choisi.

Certains informateurs en arrivent même à inventer des mots « anglais »… qui n’existent pas en anglais ! Comme les « recordmen » (pluriel), la « pipolisation », le « poursuiving » etc…

Une manière de penser 

Laissons ces modes (heureusement, il arrive que l’on veuille –comme au Québec- s’exprimer dans une langue véritable). Le jargon est une manière de penser. Mais il n’est pas de pensée rigoureuse sans langue rigoureuse. Simplicité, clarté, précision…. ne relèvent pas de la répétition, voire du matraquage à la mode.

Remarquons cependant que ces « à-peu-près » langagiers sont conformes aux « à-peu-près » journalistiques. Là est l’essentiel. Et l’à-peu-près, s’il est bien emballé, bien dit « vite fait », passe pour de l’information. Et même, s’il est assez répété, un contre-sens peut devenir une « vérité ».

Un exemple –parmi beaucoup d’autres- est l’image négative et superficielle de l’Islam donnée régulièrement par les medias. De même, l’information sur une nébuleuse nommée « El-Qaida ». On semble croire qu’il existe une telle organisation centralisée et ramifiée. Rien de semblable n’existe, mais des groupes –éventuellement extrémistes- peuvent se réclamer de la « base », ou du « fondement » (sens du mot arabe « qâ’ida »).

Certes, cette soi-disant « organisation » est souvent qualifiée de « nébuleuse » ou de « mouvance », à laquelle tel terroriste est « présumé » appartenir. La preuve n’est pas faite, sans doute, mais l’information passe bien. D’ailleurs, les suspects « présumés » sont certainement coupables. Et –en bonne « justice »- on ne doit pas attendre qu’ils passent à l’acte. Il faut donc punir préventivement.

Notons qu’on peut ainsi remplir les prisons (voyez Guantanamo ou Abou-ghraïb). Ou encore, ces prisons européennes aux ordres de la CIA. Ces abominations sont censées lutter pour la démocratie ! Dans cette logique, les milliers de militaires « européens » (de l’Europe alignée) envoyés en Afganistan sont censés lutter contre le terrorisme. C’est bien ce qui est dit…

Parfois, il ne s’agit pas formellement de mensonges : ce sont seulement des à-peu-près. Mais, sans doute, expliquer cela impliquerait de dénoncer la supercherie (ou la propagande) –de source américaine, mais fidèlement reproduite par l’Occident- d’un ennemi diabolique, justement combattu par les défenseurs de la civilisation (et de son hégémonie).

Comme souvent, mieux vaut ne rien expliquer en langage clair. D’une part, parce qu’ainsi l’information pourrait être critiquée, et d’autre part, parce que la visée politique serait démasquée. Et cela : il ne le faut pas. Ce qu’on vous dit est la vérité et le débat éventuel ne souffre pas de contradiction.

D’autres « informations » langagières avaient jadis été dénoncées par Etiemble (« Parlez-vous franglais ? »). Il s’agissait alors, entre autre, du conformisme pro-OTAN et du jargon usuel (anglais) que bien peu comprenaient. Mais on a oublié ce livre. Pourtant, le même suivisme l’emporte toujours.

Il arrive qu’ainsi l’information soit le masque de la désinformation. Pour cela, le jargon est opportun. Un terme technique à la mode peut donner l’impression que le professionnel sait réellement de quoi il parle. Que demande le peuple ? Une vérité assimilable. Suit le refrain : « Ils l’ont dit, à la télé » 

Le garde-fou   

Peut-être dira-t-on que tout cela est inévitable. Ne doit-on pas courir au plus pressé ? Evidemment, la rapidité de l’information ne se conjugue pas toujours avec la vérité. Mais –dit-on- c’est à la justice de faire son travail et –éventuellement- aux historiens de rétablir la vérité. Place à l’actualité !

D’ailleurs, pour un certain journalisme, la présomption, si elle se vend bien, a presque valeur de preuve. Dans ce cas, un parfum de scandale vaut bien un vrai scandale. D’ailleurs –si besoin est- on pourra toujours démentir. Et le démenti sera aussi de l’information !

Mais surtout : parlez jargon ; parlez « basique ». Et si vous savez rien : dîtes-le en franglais. Surtout s’ils l’ont dit sur CNN. Pour quelques uns de nos informateurs, c’est apparemment le bon critère.

Sans doute, cette négligence dans le langage est proportionnelle aux besoins d’une expression « populaire » et efficace. L’information risque pourtant d’être de la même farine. C’est souvent le règne de l’à-peu-près bien enveloppé.

Les modes langagières ne sont qu’un indice d’une information approximative. Il convient de se méfier des « informations » données par quelqu’un qui ignore (voire qui méprise) la langue de ses auditeurs.La pensée de l’informateur doit, dès lors, être sujette à caution. Il est à craindre, en effet, que son information ne soit le produit des mêmes approximations.

Mais bien souvent, tout se passe comme si –dans le discours- la « qualité » était mesurée en termes de chiffres des ventes. La qualité d’un produit se mesurerait alors à la qualité de son emballage. Et l’information serait, de même, proportionnelle à la diffusion du produit.

Un garde-fou (il n’en est peut-être pas d’autre) réside dans la diversité des moyens d’expression. Il importe que les informations soient contradictoires. La diversité des opinions exprimées est le seul garant possible. C’est encore le cas des journaux, mais non de la télévision.
A quand une émission (hebdomadaire ?) dans laquelle des journalistes de la presse écrite (toutes les tendances étant représentées) seraient invités à donner leur avis ou à poser leurs questions sur les sujets abordés par la télévision ? Ce serait un « droit de réponse » polémique propre à ouvrir l’esprit de l’auditeur-citoyen.

On préfère diffuser des variétés ou des jeux. Cela –au moins- ne gêne personne. Et en cas d’une critique de ces pratiques, on peut s’attendre à des protestations vertueuses de la part de partisans du système actuel. Nul doute que de brillants professionnels défendraient ces habitudes D’autant que l’on peut toujours couper un peu et qu’ainsi ces émissions sont propices à la publicité. Ce verbiage qui fait vivre le système…..

Il importe cependant de dénoncer les à-peu-près langagiers et journalistiques. Et comme jadis en terre occupée : faire de la résistance….. laquelle, en ce temps-là, était une lutte tout à fait irréaliste. Défendre la langue et défendre une information claire : même combat.

Jacques Chopineau, Genappe, le 21 mai 2006