Communautarismes et solidarité
Dans notre société –faute
de commun dénominateur pour
tous les citoyens- tout communautarisme est gros de difficultés. Une
patrie, une nation, un idéal commun, un drapeau-symbole commun aux communautés
les plus diverses…. Tout cela fait défaut.
Il est à craindre
que –sous le nom d’Europe- se mette en place
un grand marché aux frontières floues. C’est alors que
les familles communautaires seront appelées à remplacer efficacement
les anciennes patries –faute d’une véritable patrie européenne,
démocratique et sociale.
Toute communauté définit son
orbe de solidarité. Cependant,
le « tout économique » serait une jungle mortifère
pour les anciennes solidarités. Un consommateur n’est pas
encore un citoyen. Le profit n’est pas une patrie. Un monde qui reposerait
sur le profit serait un monde éclaté, une jungle dans laquelle
tous les coups seraient permis. La démocratie serait alors une façade.
Un paravant honoré derrière lequel se feraient les affaires.
C’est
parfois déjà le cas. Nous sommes en haut d’une pente
savonneuse !
Il est clair que la jungle
ignore la solidarité.
Les plus forts mangent les petits, sans forme et sans procédure.
C’est
le règne
de l’action directe, même si –chez nous- il convient
de donner un visage « démocratique » à l’action
entreprise.
C’est là une particularité de
notre monde de publicité-reine.
La question est : comment vendre plus, afin que les profits (ou les
suffrages) augmentent. Quant au particulier –faute
d’être un citoyen-
il ne pourra que se rechercher une « famille », à moins
d’être
assez riche pour n’avoir pas besoin de ce cadre et de cette solidarité.
Les années qui viennent sont grosses de manifestations et de
revendications sans réponses autres que violentes.
D’autre
part, la société qui se met en place est plurielle
(pluri-ethnique, pluriculturelle, plurireligieuse…), mais nous
n’en
avons guère pris conscience. Il faut du temps pour que des réflexes
anciens soient en harmonie avec la réalité.Cependant,
une société ne
peut durer que si chacun respecte l’autre dans sa différence.
Pas de fraternité sans égalité.
La disgrâce du monde actuel
Nous vivons une époque
de communication mondiale et de méconnaissance
du voisin. Non seulement –comme jadis- à cause du
téléphone et
la télévision, mais surtout, aujourd’hui, à cause
de la grande toile qu’Internet tisse sur le monde et à laquelle
beaucoup ont accès. Cependant connaître n’est
pas aimer : être
en contact n’est pas être proche. « Eloignez
vos tentes ; rapprochez vos cœurs », disaient les
gens du désert. Nous faisons le contraire
!
Nous avions déjà un avant-goût
de cette distance entre les voisins, dans ces grands immeubles
où –parfois-
on ne se connaissait pas, même lorsqu’on vivait
sur le même palier. C’est
ainsi qu’une grève de la télè permettait
aux voisins de se connaître !
Mais il arrive aujourd’hui
qu’au sein de la même famille, l’un
vive –par la grâce d’Internet- à des
milliers de kilomètres
de ses cohabitants. On peut ainsi connaître le lointain
et ignorer le proche.
De même, dans la rue, on peut
manifester ensemble, sans être véritablement
solidaires. On peut aussi se vouloir solidaires et ne pas
connaître exactement
les vraies raisons de cette unanimité. Il appartiendra
aux historiens de faire la part de la manipulation et de
la désinformation
des foules.
Pourtant, apparemment, tous manifestent ensemble.
La vertu des grandes manifestations est de rassembler des
foules.
Finalement, le déclencheur occasionnel est
marginal. L’union est essentielle. Une condition cependant
: que la manifestion ne sombre pas dans les désordres.
La réponse aux grands désordres
est l’action des nécessaires forces de l’ordre.
Une révolution conduit à la dictature.
Les exemples sont nombreux. On peut d’ailleurs prévoir
que la gabegie actuelle sera le lit d’un
retour à l’ordre et –donc- à l’élection
d’un homme d’ordre. Qui sera le cheval gagnant
?
Peut-on, d’ailleurs, agir autrement,
lorsque le parlement est si peu représentatif
de la nation véritable. Pris ensemble, majorité et
opposition ne font pas, en France, la moitié du corps électoral.
N’y-a-t-il
pas là une question ? Une autre question est posée
par la sous-représentation
(voire la non-représentation) d’une part importante
du peuple concret. Les extrêmes, bien sûr, sont
sous-représentés,
mais aussi la grande masse des non-votants.
Autre étrangeté :
celle d’un pays qui –depuis des lustres-
est incapable de mener à bien une seule réforme.
Un pays où le
dialogue social est parfois prôné, mais toujours
absent. Un fort monologue (manifestons !) ne remplacera jamais
le dialogue.
Les réformes impossibles
Croissance
et développement sont la condition indispensable,
sans quoi chômage et précarité sont la
règle. Chose curieuse
: cette réalité n’est pas inscrite dans
le discours politique. Comme s’il s’agissait
d’une vérité d’ordre
général, mais qui se trouve rarement à l’ordre
du jour. Mais si l’on rappelait la vérité,
il faudrait procéder à des
réformes importantes. Des réformes impopulaires…..
Certes, ici et là, de nouveaux financements
seraient admis par tous. Il est ainsi plus simple –en
cas de chômage important- de subventionner
l’emploi. Dans un premier temps, le contribuable n’y
verra rien. Et lorsqu’il s’en apercevra : d’autres
seront « aux affaires ».
Ainsi, nos choix actuels seront pris en compte par d’autres
que nous. En attendant, les dettes peuvent grandir, pourvu
que le présent soit assumé.
Etonnante courte vue du discours politique !
Il est vrai qu’il
est plus facile de revendiquer que de réformer.
D’autant qu’une réforme qui ne gênerait
personne n’existe
pas. Dès lors, toute réforme risque d’être
impopulaire. En sorte qu’un parti qui se veut populaire
(élections obligent)
risque d’écarter toute réforme autre
que terminologique.
Promesses, rappels de principes et grandes affirmations… sont la trame
habituelle du discours politique. La pièce est jouée derrière
le rideau.
Certes, le paquet est beau et le vendeur est talentueux mais
: que contient l’emballage
? En fait, l’acheteur (ou son fils) découvrira
ce qu’il a « acquis » lorsqu’il
ouvrira le paquet !
Il faut se souvenir de ce que des « droits » justement
revendiqués
ne sont pas inscrits dans l’éternité.
Si l’économie
est en crise, droit au travail, droit au logement, droit à la
santé,
droit à la sécurité etc… ne seront
garantis par personne. Il ne suffit pas de revendiquer fortement
pour changer la réalité.
Même impopulaires, les faits sont les faits.
Soyons
donc moins dogmatiques, mais plus pragmatiques. C’est,
finalement, le résultat qui seul importe. Les affirmations
sur les principes et les discussions sur les stratégies
sont conditionnées par les résultats
concrets obtenus. Pas de sens sans bon-sens. Mais pas de
bon-sens sans choix. Même si les choix sont parfois
douloureux.
Les dogmatiques sont semblables à des
joueurs de pétanque qui discuteraient
pour savoir s’il convient de tirer ou de pointer… sans
savoir où est
le cochonnet ! Les principes, cependant, pour un dogmatique
(de droite comme de gauche) sont souvent plus forts que la
simple réalité. Surtout
lorsque cette réalité est sombre.
Certes, le
cheval est beau, mais s’il n’est pas à l’arrivée,
il convient de se poser des questions. Ou bien : le joueur
est habile et il court vite, mais il n’a pas le ballon.
Il est donc impossible qu’il marque
un but. Vers quoi cours-tu, ô peuple ?
Les manifestations-montagnes
risquent d’accoucher d’une réforme-souris.
Ou même d’un « retrait » de tout
projet, sans essai de le mettre en œuvre. Comme si l’on
pouvait garantir, en revendiquant fortement, un passé glorieux
ou un futur lumineux.
Combien de projets de réforme ne sont-ils pas déjà passés à la
trappe ? Une réforme du système éducatif est un bel exemple
de cette situation. Beaucoup de ministres s’y sont cassé les dents.
Mais le mamouth est toujours debout. Et il ne se mettra pas à voler, même
si un parlement unanime (en accord avec les syndicats) décrétait
que le mamouth est un volatile !
Le bon sens voudrait donc que les chiffres qui commandent
les choix économiques
soient rappelés clairement. Y compris lorsque ces chiffres mettent en
lumière des erreurs passées, voire des choix immoraux –comme
une dette énorme que nos enfants et petits enfants devront traîner
comme un boulet. Les seuls intérêts annuels de cette dette suffiraient,
par exemple, à financer, l’enseignement, la recherche, la justice,
les hôpitaux etc….
Mais de cela, il n’est jamais question sérieusement.
Nous vivons, certes, au dessus de nos moyens : les générations à venir
paieront pour leurs anciens. Est-ce moral ? Non, sans doute,
mais on n’en
parle pas, parce que cela mettrait en cause des pratiques
actuelles.
Les scandales sont nombreux. D’autant
que la France est un pays curieux. Certes, un beau pays et
un
vivier de talents remarquables. Mais aussi un pays
dans lequel toute réforme prend des allures de révolution.
Un pays aussi où des particularités uniques
sont des habitudes considérées
comme normales.
Par exemple, nul pays européen n’a
mis en œuvre une loi des
trente-cinq heures hebdomadaires de travail. Nul non plus,
ne dépense
plus pour un étudiant de l’enseignement secondaire
que pour un étudiant
universitaire. Cela a sans doute quelque rapport avec le
fossé qui sépare
la formation universitaire et le marché de l’emploi.
Certes, chacun peut bien entreprendre les études qu’il
désire. Liberté !
Et pas de sélection : la vie se chargera de la faire.
Et quels sont les pays qui ont autant de jours
de congé scolaire
? Ou encore : quel pays compte autant de fonctionnaires par
habitant ? Les montagnes
de papiers nécessaires ont un rapport direct avec
ce qu’on nomme
les « lourdeurs administratives ». Sujet tabou
!
Les exemples seraient nombreux de ces exceptions
françaises.
A gauche comme à droite, les réformes sont
tenues au large dans les faits, sinon dans les discours.
Et pour peu que les jeunes, ou les syndicats, ou tel
parti politique –voire tous ensemble- interviennent,
tout projet de réforme
sera condamné, rejeté, combattu, voué aux
gémonies.
En fin de compte, il faudra continuer comme auparavant –éventuellement
en changeant la terminologie.
Comment sortir de ce carcan
?
Il est permis de rêver. D’abord : que
tous (à gauche comme à droite) se mettent autour
de la table et donnent leur avis. Mais, surtout, que le constat
soit fait. Et que la volonté de
changement soit clairement exprimée, même si
cela est coûteux
en termes électoraux.
La précarité est actuelle. Le chômage
est tragiquement actuel. Ce ne sont pas des créations
voulues, évidemment. Nul CPE n’a
créé le chômage . Il voulait être
une réponse –certes
incomprise. Il n’a jamais été mis en œuvre.
Evidemment, il eût fallu en limiter l’application
dans le temps. Et si au bout de six mois ou un an, le chômage
n’avait pas diminué, on aurait
justement pu dire : « cette réforme ne fonctionne
pas : il faut inventer autre chose ». Soyons empiriques
!
Il est vrai que le pouvoir en place s’y
est certainement mal pris. Passer en force est la pire des
choses dans un
pays rebelle aux réformes. Et
se déclarer après-coup « ouvert au dialogue » est
une attitude étrange. N’eût-il pas été préférable
de commencer par là. D’abord expliquer et convaincre
et décider
ensuite.
Une décision doit être prise,
certes, à la
majorité.
Mais seulement après examen. Sinon, nous aboutirions à des
oppositions à toute
réforme. C’est bien ce que nous voyons : des
discussions proposées
après-coup, lorsque la réforme est rejetée
par un grand nombre. Ne pouvait-on le prévoir ? Ne
devait-on pas, avant toute décision,
expliquer et –peut-être- convaincre ?
Voilà bien
une tare d’un pouvoir faible : Je tire d’abord
et j’explique après ! C’est susciter les
grandes manifestations. Mais si le pouvoir est dans la rue
: pourquoi voter ? De telles réactions
sont à attendre ! Et s’il suffit de revendiquer
pour obtenir : nous allons vers une zone de turbulences.
L’histoire s’écrit sous
nos yeux –lors
même que
nous regardons ailleurs. Les réveils seront pénibles.
Mais d’autres,
plus tard, se réveilleront. Trop tard, sans doute
!
Jacques Chopineau, Genappe, le 17 avril 2006 |