Pas de réplique
! La main levée accompagne la voix tonitruante. « On
ne répond pas à son père… »
Ce pouvoir est absolu, discrétionnaire.
Le pourquoi, on ne le saura jamais. Cela est. C’est
comme ça, et c’est tout. Cela est, point. Rien à ajouter.
Pas de justification, simple tautologie. Je suis ton père,
et je suis qui je suis.
Mais l’enfant ne comprend
rien à tout cela. Papa, qu’est-ce qu’il
y a, qu’est-ce que je t’ai fait ? Dis-moi, rends-moi
compte. Au moins, si j’ai fauté, pardonne-moi,
prends pitié…
Rien à dire. Je pardonne
si je veux, j’ai pitié si je veux. C’est
mon affaire, pas la tienne. Je fais grâce à qui
je fais grâce, j’ai pitié de qui j’ai
pitié. Attention donc à ma colère,
elle peut t’anéantir.
- L’enfant pleure, il
ne comprend pas.
***
Puis il grandit, l’ancien
enfant a naturellement à son tour des enfants. C’est
un rôle à jouer, se dit-il. Il faut bien qu’il
y ait une autorité. Les sociétés ne
fonctionnent que comme cela. Où va-t-on si on discute
? Bien sûr, tout cela, il faut grandir, mûrir,
pour l’apprendre. Aujourd’hui en tout cas je
préfère une injustice à un désordre.
Alors recommence l’antienne.
Tu m’embêtes. On ne répond pas à son
père… De toute façon, c’est comme
cela que j’ai été moi-même élevé,
et mon père par mon grand’père. Est-ce
que je m’en suis mal sorti ? Et puis j’ai mon
pouvoir à préserver, je ne veux pas que tu
me détrônes. Tu comprendras plus tard, quand
ce sera ton tour. Tout père voit dans son fils son
propre assassin (depuis Œdipe tout le monde le sait).
Aussi depuis que tu es né tu as pris bien de la place
ici, tu m’as beaucoup dérobé, beaucoup
volé de ta mère : je ne l’ai pas supporté,
et maintenant c’est toi ou moi, de toute façon.
Pour l’instant le combat n’est pas égal,
tu le vois bien.
Ne demande pas ma pitié : Je
fais grâce à qui je fais grâce, j’ai
pitié de qui j’ai pitié.
- L’enfant pleure, encore…
***
On dit ensuite (ceux qui savent)
qu’il ne faut pas tout prendre au tragique, qu’il
faut toujours contextualiser les paroles, qu’aussi
la toute-puissance peut s’exercer dans tous les sens,
que si la grâce est arbitraire, chacun peut en bénéficier,
que ce qui n’est garanti à personne peut être
donné à tous. Que le soleil brille pour
tous, méchants et bons n’est pas qu’ironique,
ou absurde. Que chacun peut avoir sa chance, indépendamment
de son mérite. Qu’on ne sait jamais, etc. Peut-être… C’est
bien tourné en tout cas, bien subtil. – Mais
l’enfant pleure toujours…
Aussi sachons lire dans le regard
immédiat des enfants : incompréhension, imploration,
certes, et très souvent. Mais un jour, peut-être,
y viendra le mépris. Et à ce regard, si on
ne répond pas à son père, que répondre
?
• Exode
3/14 Dieu dit à Moïse : « Je suis qui
je suis. »
• Exode 33/19 Et il dit : « Je fais grâce à qui je fais
grâce et j’ai pitié de qui j’ai pitié. »
• Matthieu 5/45 « …afin de devenir fils de votre Père
qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur
les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »
Michel Théron,
Lunel, le 19 février 2006 |
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