En quoi l’absence
de technologie n’est pas faite pour nous déplaire.
Si Albert Schweitzer et Hélène Bresslau avaient disposé de
téléphone, portable, courriel, nous n’aurions pas le privilège
de pénétrer dans leurs confidences.
En ce début du XXe siècle, ces deux êtres d’exception
liés à la vie à la mort, dialoguent par correspondance.
Ce volume rassemble pour notre plus grand bonheur 148 lettres et billets échangés
entre 1901 et 1905 (un second devrait suivre couvrant la période 1906-1913).
A.S. et H.B. se sont rencontrés à une
fête de mariage. Pas de coup de foudre, non, ce n’est
que très progressivement qu’une très
forte amitié se construit entre eux, puis s’amplifie
avec la majesté d’un torrent.
Un rendez-vous inoubliable, le 22 mars 1902,
où ils sont seuls quelque part dans la forêt
du Rhin, illumine définitivement leur relation.
« Lorsque je
t'ai vue arriver sur notre chemin, ce jour du 22 mars,
alors qu'un rayon de soleil perçait les nuages,
j'ai su tout de suite qu'un événement se
produisait dans ma vie. Mais jamais je n'avais rêvé à tant
de soleil.»
Ils se confient l'un à l'autre, se découvrent
un accord profond, indéfectible et inventent une amitié amoureuse
libre et vertueuse avec l'engagement de toujours se soutenir
mutuellement. Il n'est pas donné à chacun de
rencontrer l'âme sœur. Ces deux-là sont
bien conscients de leur privilège.
Albert Schweitzer a 26 ans quand il écrit
sa première lettre à Hélène.
Elle en a 22. Au fil de cet échange de conversation épistolaire
franche, loyale, confiante on découvre A.S. avec toutes
ses espérances, sa fragilité parfois, son assurance
aussi.
Hélène Bresslau, plus discrète
mais néanmoins volontaire, se cherche comme lui. Elle
le conforte, le soutient.
A.S. est déterminé à ne
pas vivre égoïstement pour lui. Il se veut généreusement
au service d'une cause humanitaire. Il ne sait pas encore
que cette haute aspriration le conduira à Lambaréné.
« Je ressens
le besoin de donner ce que j'ai en moi et de me perfectionner à travers
une grande action désintéressée.
...
Pour le moment, attendons que cet esprit, cet être mystérieux
que l'on nomme Dieu veuille bien m'éclairer et me guider, moi, le
plus hérétique de ses prêtres.» (21/12/1904)
Malgré un emploi du temps très
chargé - il écrit, compose, donne des cours,
des concerts, prêche - A.S. s'octroie des moments d'immersion
dans la nature dont la beauté l'émerveille.
Il parle à "son arbre";
médite sur "son rocher" (au-dessus de Gunsbach),
et se ménage des moments de sérénité pour écrire à son
amie.
« Si je ne
me faisais pas violence, je te parlerais toute la nuit
devant cette feuille.»
Il s'agit donc d'une histoire d'amitié dans
l'amour, d'amour dans l'amitié, comme l'écrit
Jean-Paul Sorg dans sa préface, où chacun exprime à l'autre
sa profonde gratitude d'être ce qu'il est. C'est très
beau.
Merci à J.-P. Sorg de mettre ses passionnantes
archives à notre disposition, de nous permettre d'accéder à ces
feuillets qui racontent la genèse d'un grand amour
et celle d'une grance vocation.
Béatrice Spranghers, Lillois le 8 novembre
2005 |