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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


Il y a un message qui dit qu'il n'y a pas de message

 

 

Le petit d'homme vient au monde muni d’un certain nombre de facultés : penser, parler, imaginer, sentir… Mais il n'est malheureusement pas capable de les employer sans aide. Sa survie dépend totalement des autres; son bien-être aussi, qui sera rapidement mis en péril en cas d'insoumission. L'autre – individu et groupe – est ainsi détenteur d'un pouvoir qu'il va, dans la plupart des cas, utiliser comme moyen coercitif pour arriver à éduquer l'enfant selon ses règles et ses lois. Des peurs vont alors apparaître conséquemment à la création de besoins factices fabriqués par le groupe : peur de déplaire, d'être ridicule, d'être rejeté, d'être seul, peur du changement, de l'inconnu, peur de souffrir... L'enfant qui ne peut que subir cette influence déterminante est condamné à souffrir s'il n'est pas conforme aux attentes et exigences d'un autrui qui le culpabilise et dont il croit avoir besoin pour être heureux. Combien d'adultes sont-ils sortis de ce système ? Combien n'en sortiront jamais ?

S'il est impossible à l'enfant de muer en humain sans l’action d'une éducation qui va lui apprendre à utiliser son potentiel de départ et l'instruire, lui enseigner les principes et coutumes de la société dont il fait partie, lui transmettre certaines valeurs, le « styler », il lui est en outre extrêmement difficile de sortir des sentiers battus.

L’éveil des facultés s’effectue en effet dans un champ restreint, celui de la société, de la culture, du groupe linguistique auquel l'individu appartient et qui viennent en quelque sorte borner son potentiel, restreindre et quelquefois censurer son entendement. Car ce que l’éducation n'apprend pas, ou peu, c’est à élargir les schémas de pensée qu’elle a inculqués, à chercher d’autres « canons », d’autres critères de référence, à aller au-delà des croyances et des dogmes qu’elle a infligés, à mettre en doute et réviser s'il le faut les systèmes de valeurs.

Le langage par exemple se voit donc ainsi, dans la plupart des cas, réduit à l’apprentissage d’une seule langue et lorsque l'opportunité se présente d'en étudier d'autres, c'est rarement simultanément ou d'un même niveau de qualité et d'approfondissement. Le vocabulaire – trop souvent limité – ne permet pas toujours de concevoir et d'énoncer, de se comprendre et de s'exprimer, avec tout le cortège de conséquences que cela laisse pressentir.

Placé devant un problème qui lui paraît insoluble, l'individu – du moins dans la civilisation occidentale – va, dans le meilleur des cas, tenter de le reformuler, de le poser différemment, de le manipuler dans tous les sens mais – en général – sans remettre en cause les postulats qui lui ont été imposés au départ. Ensuite, si cela ne mène à rien, et pour son propre équilibre, il va s'empresser de classer ce que qu'il n'a pas compris, pas résolu, sous la rubrique « X » – qui peut-être « Mystères », « Enigmes », « Illusions » etc. – ou simplement « en suspens », espérant qu’un jour, au hasard d’un éclairage nouveau ou après de longs efforts, il percevra une étincelle ou accèdera à l'illumination.

Très représentative, la rubrique « Dieu » et ses corollaires fidéistes mystérieux méritent ici une mention particulière de par l'influence aliénante et presque irréversible qu'ils exercent sur l'évolution de la pensée et à tel point que ces concepts greffés dans les cerveaux ne font plus qu'un avec eux. L'idée de Dieu n'est pas innée mais, contrairement à d'autres valeurs inculquées, elle n'est ni indispensable, ni nécessaire au développement harmonieux de l'être humain. Peut-être même, au contraire. Le problème est que la dépendance est injectée en même temps que la potion et qu'un besoin fictif est créé dès la naissance dans la plupart des familles. Le conditionnement à vivre selon ce modèle exemplatif est tel, que la seule idée de le mettre en question paraît rédhibitoire.

Cette observation n'est pas réservée aux religions et dépasse la tradition :
« Au dogmatisme classique, dogmatisme de la certitude, s'est progressivement substitué, non pas un tassement des croyances, mais plutôt un dogmatisme de l'incertitude dont on peut penser qu'il caractérise la plupart des religions modernes (en prenant "religion" au sens le plus large du terme). Incertitude quant à l'objet, mais certitude quant au sujet : on croit de toute façon, peu importe au fond à quoi (…) » (1)

Et, arrivé à l'âge adulte, il n'est pas absurde de s'interroger sur l'opportunité de croire. Croire – c'est-à-dire prendre pour vrai quelque chose qui ne peut être observé ou démontré – n'est donc pas ici synonyme de penser, estimer, supposer etc. Le sceptique, à l'instar de Pyrrhon, pourrait lancer le bouchon plus loin et douter de la pertinence d'accepter la validité des observations et des démonstrations généralement admises dans le réel. Mais l'exercice ici n'est pas de cet ordre et, pour intéressant et amusant qu'il soit, le scepticisme poussé à l'extrême ne peut rien faire d'autre finalement que de se saborder en se plaçant lui-même sur l'autel du doute.

Tout le monde, dit-on, croit en quelque chose : Dieu, l'Homme, le Progrès, la Science… Si cela est vrai, on est en droit de se demander pourquoi. La réponse la plus communément admise – après « je ne sais pas » – est :
« pour donner un sens à la vie ». Mais cette quête immémoriale du sens de la vie n'est-elle pas elle-même, sinon une croyance, au moins un désir de croire ? On ne sort pas du diallèle. Et la rustine classique qui consiste à justifier un comportement par une habitude qui remonte à la nuit des temps ne peut évidemment convenir car ni le nombre de ses adhérents, ni sa durée dans le temps, ni même une éventuelle universalité ne peut valider une croyance.

Coda : Et si la vie n'avait d'autre sens que celui qui est construit et partagé au jour le jour, sans aucun trésor au bout du chemin, sans nécessité d'accomplir une mission ? Et si le secret du bonheur était qu'il n'y a pas de secret ?

Nadine de Vos, 5 juillet 2005

(1) Le réel, Traité de l'idiotie, Clément Rosset, Les Editions de Minuit, Paris, 1997/2004, page 63