La
dérive
Un peu de polémique, car telle est aussi
la particularité de
la démocratie. Il n’est pas de démocratie
conformiste. Et tant pis si ce qui suit paraît trop
acide ou amer à certains européens.
Certes,
critiquer les orientations de l’Europe actuelle
sera dénoncé comme une critique de l’Europe.
C’est là un conformisme habituel. Cependant
critiquer cette Europe suiviste et ultra-libérale
n’est pas une critique de ce grand projet européen.
Pour la première fois dans leur histoire, les peuples
européens décident de s’unir au lieu
de s’opposer et de vivre ensemble au lieu de se faire
la guerre. Ce grand projet mérite mieux que ce qui
est en train d’être mis sur les rails sous le
nom d’Europe. Tel est le sujet des lignes qui suivent.
Passer du grand marché à une
Europe des peuples : tel est le défi lancé à la
génération
actuelle. Après des siècles de guerres fratricides,
beaucoup portent au cœur une Europe réconciliée
avec son histoire. Un grand projet politique, c'est-à-dire
humain…
Encore faut-il que cette Europe soit reconnaissable
par tous. Elle ne sera aimée que si elle est reconnaissable.
Il faut, pour cela, qu’elle possède une constitution,
des frontières, un gouvernement élu….
Bref, qu’elle soit une Europe « européenne » et
démocratique. Une Europe des peuples et non simplement
une Europe des affaires.
Cela n’est pas ce que nous
voyons. Ce qui porte aujourd’hui
ce nom est une ébauche d’Europe. Un projet grandiose,
mais une réalité médiocre. Sur un plan
politique, cette Europe ressemble à un vaste conglomérat
de protectorats dont la volonté « commune » virtuelle
ne se donne guère les moyens de se faire entendre.
Non pas que tel ou tel de ses dirigeants nationaux (élu)
ne manifeste, de temps à autre, quelque velléité de
pensée novatrice –voire audacieuse. Mais ces
velléités sont vite rattrapées par les
nécessités diplomatiques ou par les réalités électorales.
Il faut dénoncer cette dérive de l’Europe.
Une Europe « grand marché » -géant économique
et nain politique- amenée peu à peu (mais sans
consultation des peuples) à s’aligner sur les
intérêts de la seule grande puissance du moment.
Intérêts économiques, souvent, mais intérêts
politiques, toujours, par le biais de l’OTAN.
Cette Europe-OTAN ne peut que plaire aux Etats-Unis.
D’un
point de vue américain, on ne peut, d’ailleurs,
rêver de meilleure Europe que celle qui se donne pour
capitale, la capitale de l’OTAN. Et cette Europe ne
peut être qu’une Europe ultra-libérale.
Les deux projets se tiennent. Comme l’escargot et sa
coquille. L’un sans l’autre ne sont d’ailleurs
pas imaginables. Le fait qu’on n’en parle pas,
ne rend pas les réalités moins pesantes.
Cette « Europe » est celle qui, depuis des années, à coups
de délocalisations, privatisations, délocalisations….
met en place une société à l’américaine
qui ne mettra jamais au premier plan la justice sociale.
Dans une société riche, surtout, il ne fait
pas bon être pauvre. La société américaine
donne un bon exemple de cela. Des dizaines de millions de
citoyens américains vivent en dessous du seuil de
pauvreté, mais –globalement- les affaires sont
bonnes. Et c’est le profit qui l’emporte. La
société « à l’européenne » qui
se met sur les rails ne vaut peut-être guère
mieux.
Et cette anglo-saxonisation des échanges s’avance
masquée de « globalisation » –laquelle
serait inévitable. Le mot (non-dit) est : Soyons réalistes
! Oeuvrons ensemble pour le bien des nantis. Et que les riches
deviennent plus riches. Les pauvres, cependant, auront droit à notre
compassion, voire à notre aide. Pourvu –bien
sûr- qu’ils ne versent pas dans un terrorisme
destructeur des valeurs (lesquelles sont boursières –comme
on sait).
Les acquis sociaux sont d’une autre époque.
L’état-providence est mort. La justice sociale
est une sorte de charité. Même les partis de
la gauche traditionnelle –sous le couvert d’une
terminologie appropriée- le pensent aussi, mais ils
ne le diront certes pas. Grèves et manifestations
sont d’ailleurs mal perçues par une opinion éclairée
Et elles sont mauvaises pour les affaires!
La logique de cela est que ce qui est mis
en avant est la compétitivité, non la solidarité. Comme
si l’homme était fait pour l’argent, non
l’argent pour l’homme.
De ce point de vue, la commission est composée de
gens très éclairés, voire très
compétents. Comme ce commissaire qui succède à M.
Pascal Lamy - lequel était un français pro-américain,
socialiste (mais non social), diseur talentueux. Il est à craindre
que son successeur (anglais) ne soit de la même veine.
Enfin, ce commissaire (peu importe son nom),
est normalement en charge de dossiers économiques essentiels, mais
sans examen extérieur sérieux et, donc, sans
critique démocratique possible. Il semble que l’Europe
des eurocrates ne puisse pas être une Europe européenne.
A la tête de tout cela : un gouvernement mondial, sans
doute, mais bien inspiré. Une Organisation New-Yorkaise
des Nations Unies dont le cerveau serait à Washington
et dont le bras armé serait l’OTAN. Et voilà toutes
les nations du monde placées derrière un géant
qui –pour le bien de tous- protégerait le monde
contre le terrorisme. A l’insu du grand nombre, cette
caricature se profile derrière des déclarations
solennelles qui se veulent apaisantes.
Mais –dira-t-on- il n’est pas d’idéologie
de rechange. Le réalisme est dans le profit matériel.
Malheur à ceux qui n’ont pas le pouvoir de faire
entendre leur voix.
Ils sont nombreux cependant ceux qui feront
entendre leur voix. Pour des raisons fort différentes, sans doute,
mais cependant unanimes sur un point : Nous voulons une Europe
européenne, démocratique et sociale. Malgré la
Commission, non élue, et ses suivants nationaux élus –c'est-à-dire
: responsables devant leurs électeurs. Comment s’étonner
que les électeurs traînent les pieds ?
Un
fait nouveau
Un élément nouveau est la prise de conscience, par les nantis,
de la fragilité du système. Un petit groupe « terroriste » bien
organisé peut déjouer un grand appareil de surveillance et de répression.
Bien sûr, le géant peut vaincre plus petit que lui, mais si le petit –par
son arme- peut arracher un bras au géant, le problème se pose en
termes différents.
La question touche finalement aux armes dont
les protagonistes disposent. Et que les pays de l’axe
du mal n’aient jamais accès aux armes
de destruction massive. Ce vocabulaire absurde parcourt nos « informations ».
Le raisonnement est simple : Le grand et fort –qui est ceinture noire- pourrait mettre facilement à mal
le gringalet qui oserait s’opposer à lui. Mais si le gringalet possède
un pistolet : la question est toute autre. Il faut donc empêcher les opposants éventuels
de posséder des armes… Surtout des armes de destruction massive
!
Pour que le système fonctionne, il faut lutter contre les terrorismes.
La nébuleuse « el-qaida » vient à point pour rassembler
les énergies du monde des nantis. Le mensonge est gros, mais –bien
diffusé- il est efficace. Cette nébuleuse el-qaida n’est
pas un mouvement organisé, centralisé, comme on voudrait nous le
faire croire. Elle est –tout au plus- une sorte de sympathie idéologique
qui peut unir, en tous lieux, des groupuscules différents. Et nos actions
créent beaucoup d’antipathies, ici et là….
N’importe ! Il est plusieurs terrorismes –lesquels, sans doute, n’ont
pas tous la même source. Mais rassemblons-les tous sous une même
bannière et combattons-les énergiquement. Au nom de la démocratie.
Celle de notre pouvoir.
C’est cela qui permet aux russes de
faire régner la terreur en Tchétchénie
et faire passer les opposants pour des terroristes. Les palestiniens
résistants
sont également appelés terroristes. De même,
les irakiens qui s’opposent à la puissance occupante
sont des terroristes. Le cas n’est pas nouveau : les occupants
considèrent tout résistant
comme terroriste.
En fait, la violence engendre toujours la
contre-violence. Laquelle suscite des représailles –qui, à leur tour,
suscitent des contre-représailles
et sont la cause de vengeances….
Le cycle de la violence est sans fin. L’injustice
est son terreau.
Que du moins, s’il se peut, les mensonges soient dénoncés.
Et que les dominations ne soient pas couvertes du manteau de la lutte contre
le terrorisme. Ou encore : que la dictature ne soit pas rituellement condamnée,
sans que soit également dénoncé le pouvoir qui l’a
favorisée.
On a « oublié » que la dictature d’un Pinochet a été suscitée
et aidée par les agents des Etats-Unis. C’était à l’époque
du soutien aux dictatures –pourvu qu’elles soient anti-communistes.
En sorte qu’un éventuel jugement du dictateur, sans dénoncer
le système qui lui a donné naissance, serait
un mensonge par omission.
De telles falsifications de la vérité sont malheureusement monnaie
courante. Aujourd’hui comme hier.
Des révoltes –on peut le prévoir- émailleront cette
marche vers le soi-disant progrès. Nous n’en sommes pas encore là-
pas vraiment. Mais il est clair que ceux qui n’ont rien, n’ont rien à perdre.
Certes, comme dans toutes les guerres, les nantis seront aussi les mieux armés.
Les luttes localisées, sporadiques, limitées… seront longues
et cruelles –comme toutes les guerres. Mais elles auront lieu, pense-t-on,
loin de nos frontières –lesquelles devront cependant être
bien surveillées.
Mais en tout état de cause, la forteresse Europe devra recevoir une partie,
au moins, du flot d’immigrants qui se presse à ses portes. Ils seront,
certes, mal accueillis et resteront longtemps des citoyens de seconde zone dans
une Europe que cependant ils contribuent à créer. A quand une citoyenneté de
résidence ?
Géographie et histoire
Jusqu’où s’étendrait une Europe
reconnaissable ? Un continent européen aimé par
les peuples européens ? Appartient-il
aux responsables en place de décider souverainement
des limites de cette Europe ? Les peuples européens
n’ont-ils rien à dire
?
Il est évident qu’une Europe « européenne » doit établir
un véritable partenariat avec des peuples proches de nous par la géographie
et par l’histoire. Cela est vrai pour l’Asie mineure (l’ancien
empire otoman). Comme cela est vrai pour cette Afrique du Nord à laquelle
la France est liée par des liens nombreux et qui d’ailleurs, aujourd’hui,
contribue fortement à sa population.
Ces nations ne font pas partie de l’Europe, mais il est juste et nécessaire
de tenir compte de ces liens. Cependant, partenariat ne signifie pas adhésion.
Encore une fois, il faut que l’Europe soit reconnaissable et que, par conséquent,
elle tienne compte de la géographie.
Au lieu de cela, le critère (non-dit) est l’appartenance de tel
pays à l’OTAN. La Turquie est un membre important de l’OTAN,
non les pays d’Afrique du nord ! Encore un non-dit qui, cependant, occupe
une grande place dans les pensées et les choix de
beaucoup de gouvernants et de commissionnaires.
Si les peuples européens ne s’opposent pas à ces choix, on
peut s’attendre à de grands problèmes dans le futur. Et d’abord à un
problème d’identité. Pour que l’Europe existe, il faut
certes faire droit à la géographie, mais aussi à l’histoire,
ancienne et récente. Une large façade de l’Europe est méditerranéenne.
L’histoire est largement dépendante de la géographie. De
là, aujourd’hui comme hier, les relations sont nombreuses entre
le nord et le sud de la méditerranée. Cela ne signifie pas que
l’Europe n’a pas de frontières. Et ces frontières
: quelles sont-elles ?
Une constitution ?
Faut-il donner forme écrite à cela et légitimer –par
le moyen d’un texte constitutionnel- un projet informe –malgré Maastricht
(1992), Amsterdam (1997), Nice (2000) ? Un des inconvénients à prévoir –si
un tel texte est adopté- est qu’il sera presque impossible de l’adapter –et
donc de le modifier dans l’avenir. A moins que les 25, unanimes, le désirent….
Ce qui, vraiment, relève de l’utopie.
Il est de bon ton, aujourd’hui, de dénoncer le traité de
Nice, dont cependant on nous avait dit grand bien au moment il a été adopté.
La constitution serait un progrès par rapport à ce mauvais traité.
Mensonge…
En tout état de cause, il paraît clair que les peuples devraient être
consultés (idéalement : le même jour ?). Il est évident
qu’on ne pourrait –dans une perspective démocratique- choisir
le texte d’une loi générale sans que les peuples concernés
n’aient eu leur mot à dire. Les formes de cette consultation peuvent, évidemment, être
différentes, selon les coutumes locales mais –dans tous les cas-
il importe qu’une telle consultation ait lieu.
Dans le cas contraire, faudrait-il croire
les gouvernements qui parlent d’Europe
démocratique ? Cette « démocratie » est de pure façade.
Il est vrai qu’une Europe démocratique se voudrait peut-être
sociale ? Elle s’opposerait alors aux choix économiques ultra-libéraux
qui commandent –depuis des années- les décisions
prises.
Bien qu’on n’en parle jamais, les choix sont faits. L’orientation
ultra-libérale est une réalité. Une société « à l’américaine » se
profile. Nombreux sont les américains qui vivent en dessous du seuil de
pauvreté. Dans un pays où les lois sociales sont largement absentes
! C’est vers cela que nous allons.
Telle est la soi-disant Europe que l’on
met sur les rails. Les opposants seraient d’ailleurs
des rêveurs –voire des gêneurs –qui
ne connaissent rien à l’économie. La « globalisation » (ou
la « mondialisation ») nous impose nos choix.
Les démocraties
devront s’adapter…
Les peuples européens auront sans doute du mal à reconnaître
leur Europe. Les abstentions aux élections européennes
sont nombreuses. Elles pourraient l’être plus
encore. Encore une chose dont on ne parle guère. Un
grand projet européen et une indifférence
assez généralisée. Il serait cependant
bien nécessaire
de se poser des questions à ce sujet.
Et voilà cependant qu’on demande aux peuples européens ce
qu’ils pensent de cette constitution. Sans qu’ils aient, toutefois,
d’autre alternative que de dire « oui », sous peine d’être
taxés de « non-européens»
Pourtant, nombreux sont les opposants. Et
très divers dans leurs motivations.
Souverainistes, communistes, sympathisants d’ATTAC, ONG, syndicats….
Beaucoup n’ont rien d’anti-européen, mais s’opposent à cette
Europe-là.
En fait, la situation actuelle a des racines
anciennes –ainsi que nous
le verrons. Cette Europe invertébrée est vouée à l’ultra-libéralisme.
Outre le rôle grandissant des « multinationales » -chères
aux lobbies et à l’OTAN (sous couvert de « globalisation »),
il faudra également dénoncer une évolution anti-démocratique
de nos démocraties –sous couvert de lutte contre le terrorisme.
Ces problèmes ne peuvent ici qu’être rappelés, mais
les années qui viennent en seront l’illustration.
Jacques Chopineau, Genappe, le 1er septembre
2004
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