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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

I - L’Europe invertébrée
- La dérive
- Un fait nouveau
- Géographie et histoire
- Une constitution ?

II - L’Europe invertébrée
- La défense ?
- Les dix « nouveaux »
- Une langue pour tous ?

 

   

 


Non-dit « européen » - L'Europe invertébrée 1.

 

 

La dérive

Un peu de polémique, car telle est aussi la particularité de la démocratie. Il n’est pas de démocratie conformiste. Et tant pis si ce qui suit paraît trop acide ou amer à certains européens.

Certes, critiquer les orientations de l’Europe actuelle sera dénoncé comme une critique de l’Europe. C’est là un conformisme habituel. Cependant critiquer cette Europe suiviste et ultra-libérale n’est pas une critique de ce grand projet européen. Pour la première fois dans leur histoire, les peuples européens décident de s’unir au lieu de s’opposer et de vivre ensemble au lieu de se faire la guerre. Ce grand projet mérite mieux que ce qui est en train d’être mis sur les rails sous le nom d’Europe. Tel est le sujet des lignes qui suivent.

Passer du grand marché à une Europe des peuples : tel est le défi lancé à la génération actuelle. Après des siècles de guerres fratricides, beaucoup portent au cœur une Europe réconciliée avec son histoire. Un grand projet politique, c'est-à-dire humain…

Encore faut-il que cette Europe soit reconnaissable par tous. Elle ne sera aimée que si elle est reconnaissable. Il faut, pour cela, qu’elle possède une constitution, des frontières, un gouvernement élu…. Bref, qu’elle soit une Europe « européenne » et démocratique. Une Europe des peuples et non simplement une Europe des affaires.

Cela n’est pas ce que nous voyons. Ce qui porte aujourd’hui ce nom est une ébauche d’Europe. Un projet grandiose, mais une réalité médiocre. Sur un plan politique, cette Europe ressemble à un vaste conglomérat de protectorats dont la volonté « commune » virtuelle ne se donne guère les moyens de se faire entendre. Non pas que tel ou tel de ses dirigeants nationaux (élu) ne manifeste, de temps à autre, quelque velléité de pensée novatrice –voire audacieuse. Mais ces velléités sont vite rattrapées par les nécessités diplomatiques ou par les réalités électorales.

Il faut dénoncer cette dérive de l’Europe. Une Europe « grand marché » -géant économique et nain politique- amenée peu à peu (mais sans consultation des peuples) à s’aligner sur les intérêts de la seule grande puissance du moment. Intérêts économiques, souvent, mais intérêts politiques, toujours, par le biais de l’OTAN.

Cette Europe-OTAN ne peut que plaire aux Etats-Unis. D’un point de vue américain, on ne peut, d’ailleurs, rêver de meilleure Europe que celle qui se donne pour capitale, la capitale de l’OTAN. Et cette Europe ne peut être qu’une Europe ultra-libérale. Les deux projets se tiennent. Comme l’escargot et sa coquille. L’un sans l’autre ne sont d’ailleurs pas imaginables. Le fait qu’on n’en parle pas, ne rend pas les réalités moins pesantes.

Cette « Europe » est celle qui, depuis des années, à coups de délocalisations, privatisations, délocalisations…. met en place une société à l’américaine qui ne mettra jamais au premier plan la justice sociale. Dans une société riche, surtout, il ne fait pas bon être pauvre. La société américaine donne un bon exemple de cela. Des dizaines de millions de citoyens américains vivent en dessous du seuil de pauvreté, mais –globalement- les affaires sont bonnes. Et c’est le profit qui l’emporte. La société « à l’européenne » qui se met sur les rails ne vaut peut-être guère mieux.

Et cette anglo-saxonisation des échanges s’avance masquée de « globalisation » –laquelle serait inévitable. Le mot (non-dit) est : Soyons réalistes ! Oeuvrons ensemble pour le bien des nantis. Et que les riches deviennent plus riches. Les pauvres, cependant, auront droit à notre compassion, voire à notre aide. Pourvu –bien sûr- qu’ils ne versent pas dans un terrorisme destructeur des valeurs (lesquelles sont boursières –comme on sait).

Les acquis sociaux sont d’une autre époque. L’état-providence est mort. La justice sociale est une sorte de charité. Même les partis de la gauche traditionnelle –sous le couvert d’une terminologie appropriée- le pensent aussi, mais ils ne le diront certes pas. Grèves et manifestations sont d’ailleurs mal perçues par une opinion éclairée Et elles sont mauvaises pour les affaires!

La logique de cela est que ce qui est mis en avant est la compétitivité, non la solidarité. Comme si l’homme était fait pour l’argent, non l’argent pour l’homme.

De ce point de vue, la commission est composée de gens très éclairés, voire très compétents. Comme ce commissaire qui succède à M. Pascal Lamy - lequel était un français pro-américain, socialiste (mais non social), diseur talentueux. Il est à craindre que son successeur (anglais) ne soit de la même veine.

Enfin, ce commissaire (peu importe son nom), est normalement en charge de dossiers économiques essentiels, mais sans examen extérieur sérieux et, donc, sans critique démocratique possible. Il semble que l’Europe des eurocrates ne puisse pas être une Europe européenne.

A la tête de tout cela : un gouvernement mondial, sans doute, mais bien inspiré. Une Organisation New-Yorkaise des Nations Unies dont le cerveau serait à Washington et dont le bras armé serait l’OTAN. Et voilà toutes les nations du monde placées derrière un géant qui –pour le bien de tous- protégerait le monde contre le terrorisme. A l’insu du grand nombre, cette caricature se profile derrière des déclarations solennelles qui se veulent apaisantes.

Mais –dira-t-on- il n’est pas d’idéologie de rechange. Le réalisme est dans le profit matériel. Malheur à ceux qui n’ont pas le pouvoir de faire entendre leur voix.

Ils sont nombreux cependant ceux qui feront entendre leur voix. Pour des raisons fort différentes, sans doute, mais cependant unanimes sur un point : Nous voulons une Europe européenne, démocratique et sociale. Malgré la Commission, non élue, et ses suivants nationaux élus –c'est-à-dire : responsables devant leurs électeurs. Comment s’étonner que les électeurs traînent les pieds ?

Un fait nouveau    

Un élément nouveau est la prise de conscience, par les nantis, de la fragilité du système. Un petit groupe « terroriste » bien organisé peut déjouer un grand appareil de surveillance et de répression. Bien sûr, le géant peut vaincre plus petit que lui, mais si le petit –par son arme- peut arracher un bras au géant, le problème se pose en termes différents.

La question touche finalement aux armes dont les protagonistes disposent. Et que les pays de l’axe du mal n’aient jamais accès aux armes de destruction massive. Ce vocabulaire absurde parcourt nos « informations ».
Le raisonnement est simple : Le grand et fort –qui est ceinture noire- pourrait mettre facilement à mal le gringalet qui oserait s’opposer à lui. Mais si le gringalet possède un pistolet : la question est toute autre. Il faut donc empêcher les opposants éventuels de posséder des armes… Surtout des armes de destruction massive !

Pour que le système fonctionne, il faut lutter contre les terrorismes. La nébuleuse « el-qaida » vient à point pour rassembler les énergies du monde des nantis. Le mensonge est gros, mais –bien diffusé- il est efficace. Cette nébuleuse el-qaida n’est pas un mouvement organisé, centralisé, comme on voudrait nous le faire croire. Elle est –tout au plus- une sorte de sympathie idéologique qui peut unir, en tous lieux, des groupuscules différents. Et nos actions créent beaucoup d’antipathies, ici et là….

N’importe ! Il est plusieurs terrorismes –lesquels, sans doute, n’ont pas tous la même source. Mais rassemblons-les tous sous une même bannière et combattons-les énergiquement. Au nom de la démocratie. Celle de notre pouvoir.

C’est cela qui permet aux russes de faire régner la terreur en Tchétchénie et faire passer les opposants pour des terroristes. Les palestiniens résistants sont également appelés terroristes. De même, les irakiens qui s’opposent à la puissance occupante sont des terroristes. Le cas n’est pas nouveau : les occupants considèrent tout résistant comme terroriste.

En fait, la violence engendre toujours la contre-violence. Laquelle suscite des représailles –qui, à leur tour, suscitent des contre-représailles et sont la cause de vengeances….

Le cycle de la violence est sans fin. L’injustice est son terreau.

Que du moins, s’il se peut, les mensonges soient dénoncés. Et que les dominations ne soient pas couvertes du manteau de la lutte contre le terrorisme. Ou encore : que la dictature ne soit pas rituellement condamnée, sans que soit également dénoncé le pouvoir qui l’a favorisée.

On a « oublié » que la dictature d’un Pinochet a été suscitée et aidée par les agents des Etats-Unis. C’était à l’époque du soutien aux dictatures –pourvu qu’elles soient anti-communistes. En sorte qu’un éventuel jugement du dictateur, sans dénoncer le système qui lui a donné naissance, serait un mensonge par omission.

De telles falsifications de la vérité sont malheureusement monnaie courante. Aujourd’hui comme hier.

Des révoltes –on peut le prévoir- émailleront cette marche vers le soi-disant progrès. Nous n’en sommes pas encore là- pas vraiment. Mais il est clair que ceux qui n’ont rien, n’ont rien à perdre. Certes, comme dans toutes les guerres, les nantis seront aussi les mieux armés. Les luttes localisées, sporadiques, limitées… seront longues et cruelles –comme toutes les guerres. Mais elles auront lieu, pense-t-on, loin de nos frontières –lesquelles devront cependant être bien surveillées.

Mais en tout état de cause, la forteresse Europe devra recevoir une partie, au moins, du flot d’immigrants qui se presse à ses portes. Ils seront, certes, mal accueillis et resteront longtemps des citoyens de seconde zone dans une Europe que cependant ils contribuent à créer. A quand une citoyenneté de résidence ?

Géographie et histoire    

Jusqu’où s’étendrait une Europe reconnaissable ? Un continent européen aimé par les peuples européens ? Appartient-il aux responsables en place de décider souverainement des limites de cette Europe ? Les peuples européens n’ont-ils rien à dire ?

Il est évident qu’une Europe « européenne » doit établir un véritable partenariat avec des peuples proches de nous par la géographie et par l’histoire. Cela est vrai pour l’Asie mineure (l’ancien empire otoman). Comme cela est vrai pour cette Afrique du Nord à laquelle la France est liée par des liens nombreux et qui d’ailleurs, aujourd’hui, contribue fortement à sa population.

Ces nations ne font pas partie de l’Europe, mais il est juste et nécessaire de tenir compte de ces liens. Cependant, partenariat ne signifie pas adhésion. Encore une fois, il faut que l’Europe soit reconnaissable et que, par conséquent, elle tienne compte de la géographie.

Au lieu de cela, le critère (non-dit) est l’appartenance de tel pays à l’OTAN. La Turquie est un membre important de l’OTAN, non les pays d’Afrique du nord ! Encore un non-dit qui, cependant, occupe une grande place dans les pensées et les choix de beaucoup de gouvernants et de commissionnaires.

Si les peuples européens ne s’opposent pas à ces choix, on peut s’attendre à de grands problèmes dans le futur. Et d’abord à un problème d’identité. Pour que l’Europe existe, il faut certes faire droit à la géographie, mais aussi à l’histoire, ancienne et récente. Une large façade de l’Europe est méditerranéenne. L’histoire est largement dépendante de la géographie. De là, aujourd’hui comme hier, les relations sont nombreuses entre le nord et le sud de la méditerranée. Cela ne signifie pas que l’Europe n’a pas de frontières. Et ces frontières : quelles sont-elles ?

Une constitution ?    

Faut-il donner forme écrite à cela et légitimer –par le moyen d’un texte constitutionnel- un projet informe –malgré Maastricht (1992), Amsterdam (1997), Nice (2000) ? Un des inconvénients à prévoir –si un tel texte est adopté- est qu’il sera presque impossible de l’adapter –et donc de le modifier dans l’avenir. A moins que les 25, unanimes, le désirent…. Ce qui, vraiment, relève de l’utopie.

Il est de bon ton, aujourd’hui, de dénoncer le traité de Nice, dont cependant on nous avait dit grand bien au moment il a été adopté. La constitution serait un progrès par rapport à ce mauvais traité. Mensonge…

En tout état de cause, il paraît clair que les peuples devraient être consultés (idéalement : le même jour ?). Il est évident qu’on ne pourrait –dans une perspective démocratique- choisir le texte d’une loi générale sans que les peuples concernés n’aient eu leur mot à dire. Les formes de cette consultation peuvent, évidemment, être différentes, selon les coutumes locales mais –dans tous les cas- il importe qu’une telle consultation ait lieu.

Dans le cas contraire, faudrait-il croire les gouvernements qui parlent d’Europe démocratique ? Cette « démocratie » est de pure façade. Il est vrai qu’une Europe démocratique se voudrait peut-être sociale ? Elle s’opposerait alors aux choix économiques ultra-libéraux qui commandent –depuis des années- les décisions prises.

Bien qu’on n’en parle jamais, les choix sont faits. L’orientation ultra-libérale est une réalité. Une société « à l’américaine » se profile. Nombreux sont les américains qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Dans un pays où les lois sociales sont largement absentes ! C’est vers cela que nous allons.

Telle est la soi-disant Europe que l’on met sur les rails. Les opposants seraient d’ailleurs des rêveurs –voire des gêneurs –qui ne connaissent rien à l’économie. La « globalisation » (ou la « mondialisation ») nous impose nos choix. Les démocraties devront s’adapter…

Les peuples européens auront sans doute du mal à reconnaître leur Europe. Les abstentions aux élections européennes sont nombreuses. Elles pourraient l’être plus encore. Encore une chose dont on ne parle guère. Un grand projet européen et une indifférence assez généralisée. Il serait cependant bien nécessaire de se poser des questions à ce sujet.

Et voilà cependant qu’on demande aux peuples européens ce qu’ils pensent de cette constitution. Sans qu’ils aient, toutefois, d’autre alternative que de dire « oui », sous peine d’être taxés de « non-européens»

Pourtant, nombreux sont les opposants. Et très divers dans leurs motivations. Souverainistes, communistes, sympathisants d’ATTAC, ONG, syndicats…. Beaucoup n’ont rien d’anti-européen, mais s’opposent à cette Europe-là.

En fait, la situation actuelle a des racines anciennes –ainsi que nous le verrons. Cette Europe invertébrée est vouée à l’ultra-libéralisme. Outre le rôle grandissant des « multinationales » -chères aux lobbies et à l’OTAN (sous couvert de « globalisation »), il faudra également dénoncer une évolution anti-démocratique de nos démocraties –sous couvert de lutte contre le terrorisme. Ces problèmes ne peuvent ici qu’être rappelés, mais les années qui viennent en seront l’illustration.

Jacques Chopineau, Genappe, le 1er septembre 2004   

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