Un
regard circonspect
Il est impossible de ne pas jeter un regard
sur quelques aspects de ce qu’on nomme l’actualité.
Certes, chacun voit le monde à travers sa propre lucarne.
Comment faire autrement ?
Elle est parfois choquante, cette actualité.
Parfois banale aussi, pleine de redites et de balbutiements.
Mais dans tous les cas, un simple citoyen doit s’informer
et -éventuellement- s’interroger. Surtout lorsque
ce qu’il entend lui paraît étonnant, voire
scandaleux. Les petits calculs des grands hommes (petits
par la pensée, mais grands par le pouvoir) sont parfois
l’ordinaire des actualités.
Par exemple, lorsqu’un président
Bush dit que l’Afghanistan fournit un modèle
pour ce qui devrait se produire en Irak. Pacification, démocratisation,
nouveau Moyen-Orient… Nous sommes loin des réalités
!
En Afghanistan, le président Hamid Karzai,
n’a de pouvoir que sur un cinquième de son pays.
Malgré quelques dizaines de milliers soldats étrangers
(principalement américains). Est-ce cela qui attend
le président El-yaoulli, mis en place, en Irak, par
le pouvoir occupant ?
C’est en effet ce qui est train de se
passer ! Les rêves chiites ou kurdes ne sont pas les
rêves américains. Et le sentiment d’humiliation
ressenti par les patriotes irakiens –toutes origines
confondues- n’est pas prêt de se dissiper. Les « terrorismes » de
tous bords ont de beaux jours devant eux. Ce qui les fonde
est une occupation sentie comme une humiliation.
Cependant, les occupants sont victimes de leur
succès apparent. Il leur est interdit de cesser d’occuper
le terrain. C’est pourquoi, l’OTAN (l’Europe
?) est incitée à prendre sa part du fardeau
de la « coalition » américano-anglaise.
Il est clair, cependant, que gagner la guerre
n’est pas gagner la paix. Les leçons du passé sont
oubliées. Que les forces occupantes s’en aillent
et ces pays (Afghanistan et Irak, entre autres) sont voués à sombrer
dans les violences. Nous ne sommes qu’au début
de ce processus. Un exemple est donné par la Somalie
où l’état n’existe plus. Les américains
sont venus et sont repartis… laissant place au chaos.
Il est vrai qu’il n’y avait guère
d’intérêts stratégico-économiques
en Somalie. Pas plus qu’au Kossovo que les européens
peuvent bien, dès lors, prendre en charge. Ces derniers
n’ont évidemment rien à gagner, sauf
-peut-être- le sentiment de pouvoir intervenir de façon
quasi indépendante, mais toutefois avec la bénédiction
de l’OTAN.
Pour l’heure, en Afghanistan comme en
Irak, des gouvernements fantoches ont été mis
en place sous l’égide d’un pouvoir d’occupation.
Dans un cas comme dans l’autre, ces présidents
intérimaires sont des marionnettes, et de telles marionnettes
ne seront jamais aimées.
Le reste du monde (dont l’Europe) assiste,
impuissant ou complice, à ces manœuvres. Il arrive
même (comme l’Europe de l’OTAN) qu’il
collabore, directement ou non, à ces faits. Cela est
désolant. Comme est désolant le suivisme et
le conformisme d’une télévision parfois
plus soucieuse d’audience que de vérité.
Un bel emballage peut ne s’ouvrir que sur du vide.
Nécessité politicienne devient
alors noble devoir. Et l’indifférence peu se
parer, dans les discours officiels, d’une sacro-sainte « non-intervention ».
Ainsi, l’Espagne républicaine, en son temps, écrasée
sans l’intervention des démocraties occidentales
-mais avec l’aide active des nazis et des fascistes.
Plus tard, l’abominable tuerie nommée « shoa » n’a été dénoncée
qu’après coup, après l’horreur.
Mais que dire, aujourd’hui, du formidable silence au
sujet du sort qui est fait au peuple palestinien ?
Certes, les circonstances sont différentes,
mais la passivité est la même. Comme toujours,
quelques voix isolées tentent de se faire entendre,
mais leur voix est faible dans le concert médiatique.
Notre monde marchand est un monde de bruit.
Ce qui ne fait pas de bruit risque de ne pas exister. Est
compétitif ce qui est performant en terme de rendement.
Il faut donc être jeune et dynamique, afin d’appartenir
au petit cercle des bons vendeurs, des grands acheteurs et
de leurs serviteurs. C’est –pour prendre des
exemples courants- la qualité mesurée en termes
de chiffre des ventes. Ou la qualité de l’information
mesurée à l’aune du bruit qu’elle
fait.
Bien sûr, il y a toujours eu des marchands.
Toute société humaine vit des échanges
entre ses membres. Mais l’homme n’est pas une
marchandise. En tout cas pas l’homme informé.
Mais la sagesse ne fait pas de bruit. L’honneur
non plus. Et la justice : pas davantage. La vérité est
silencieuse. « Grand fleuve ne fait pas de bruit »,
dit le proverbe.
Europe
?
On peut être européen et ne pas être
fier de l’être. Mais fier ou non, la même
réalité s’impose à tous. Aujourd’hui,
lorsque j’entends le mot « Europe », je
me demande de quelle Europe on parle. Certes, le mot est
beau, mais : quel en est le contenu ?
Pense-t-on au grand marché ? A la liberté des
capitaux ? C’est déjà largement fait.
L’argent ne connaît pas les frontières.
Madame Thatcher disait, en son temps, que l’Europe « c’est
purement économique ». Le politique, apparemment,
n’est pas une perspective européenne. Beaucoup
pensent aujourd’hui ainsi, sans toujours le dire. Les
affaires sont les affaires. Et les puissants lobbys l’emportent,
le plus souvent, sur les velléités démocratiques.
Quant aux restrictions -sous couvert de lutte
contre le terrorisme- des droits élémentaires
de tous les citoyens : nous n’avons pas fini d’en
prendre conscience et de les dénoncer.
À l’inverse, une Europe européenne
et démocratique est une utopie. Un rêve, un
horizon lointain. Sans doute, on nous dira qu’il n’était
pas possible de faire autrement. Les progrès sont
déjà considérables.
Il faut cependant savoir vers quoi nous voulons
marcher. Or, la direction d’une Europe européenne
n’est certainement pas le chemin qui est pris. Au contraire,
voici que l’Europe « élargie » se
dote d’un président de la commission qui est
un « atlantiste » convaincu et d’un « ministre » (non élu)
des affaires étrangères qui est un ancien secrétaire
général de l’OTAN. On peut penser qu’une
Europe européenne, non alignée, n’est
pas à l’horizon.
Mais que disent les peuples européens
? Disent-ils quelque chose ? On parle pudiquement de « déficit
démocratique ». C’est là un euphémisme
! Il faudrait plutôt parler d’abîme ou
de gouffre. À quand une extension significative des
pouvoirs du parlement élu par les peuples ? Le simple
bon sens rappelle qu’il ne peut y avoir de démocratie
sans décision des peuples et de leurs représentants élus.
Les choses étant ce qu’elles sont,
on comprend que le président américain soit
partisan de l’entrée de la Turquie dans l’Europe.
Pour deux raisons : la première est que la Turquie
est un fort pilier de l’OTAN et que son adhésion
renforcerait le pouvoir de l’OTAN sur une Europe bien
arrimée à un commandement suprême (non
européen) de toutes les forces militaires d’un
monde « civilisé ». Le nouveau diable à combattre
porte un nom : terrorisme.
L’autre raison est qu’une Europe
aux frontières floues -aux contours vagues, d’Ankara
aujourd’hui à Vladivostok demain ?- s’éloignerait
d’une Europe
«
européenne » qui pourrait avoir des velléités
d’indépendance. C’est alors que le géant économique
(l’Europe) cesserait peut-être d’être
un nain politique. Mais on ne parlera pas de cela au simple
citoyen.
Cependant, que l’on pense ceci ou cela,
il importe que ce sujet soit clairement abordé et
débattu par tous. Pourtant, il est à craindre
que la question ne soit pas posée. En tout cas, elle
sera pas posée par une commission qui a ses propres
vues et sait, adroitement, avec le temps, les imposer. Au
nom de l’Europe, certes, mais de quelle Europe ?
Et cela se passe avec la passivité (la
complicité ?) des représentants élus
des états européens. C’est, en fait, à ce
niveau que se situe le problème.
Un jour, sans doute, les peuples se réveilleront.
Mais la pente à remonter sera longue, si tant est
qu’elle puisse être remontée. Ce ne sont
là que quelques remarques d’humeur d’un
citoyen circonspect.
Jacques Chopineau, Genappe,
12 juillet 2004
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