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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

- Un regard circonspect

- Quelle Europe ?

 

   

 


Regard sur l’actualité

 

 

Un regard circonspect

Il est impossible de ne pas jeter un regard sur quelques aspects de ce qu’on nomme l’actualité. Certes, chacun voit le monde à travers sa propre lucarne. Comment faire autrement ?

Elle est parfois choquante, cette actualité. Parfois banale aussi, pleine de redites et de balbutiements. Mais dans tous les cas, un simple citoyen doit s’informer et -éventuellement- s’interroger. Surtout lorsque ce qu’il entend lui paraît étonnant, voire scandaleux. Les petits calculs des grands hommes (petits par la pensée, mais grands par le pouvoir) sont parfois l’ordinaire des actualités.

Par exemple, lorsqu’un président Bush dit que l’Afghanistan fournit un modèle pour ce qui devrait se produire en Irak. Pacification, démocratisation, nouveau Moyen-Orient… Nous sommes loin des réalités !

En Afghanistan, le président Hamid Karzai, n’a de pouvoir que sur un cinquième de son pays. Malgré quelques dizaines de milliers soldats étrangers (principalement américains). Est-ce cela qui attend le président El-yaoulli, mis en place, en Irak, par le pouvoir occupant ?

C’est en effet ce qui est train de se passer ! Les rêves chiites ou kurdes ne sont pas les rêves américains. Et le sentiment d’humiliation ressenti par les patriotes irakiens –toutes origines confondues- n’est pas prêt de se dissiper. Les « terrorismes » de tous bords ont de beaux jours devant eux. Ce qui les fonde est une occupation sentie comme une humiliation.

Cependant, les occupants sont victimes de leur succès apparent. Il leur est interdit de cesser d’occuper le terrain. C’est pourquoi, l’OTAN (l’Europe ?) est incitée à prendre sa part du fardeau de la « coalition » américano-anglaise.

Il est clair, cependant, que gagner la guerre n’est pas gagner la paix. Les leçons du passé sont oubliées. Que les forces occupantes s’en aillent et ces pays (Afghanistan et Irak, entre autres) sont voués à sombrer dans les violences. Nous ne sommes qu’au début de ce processus. Un exemple est donné par la Somalie où l’état n’existe plus. Les américains sont venus et sont repartis… laissant place au chaos.

Il est vrai qu’il n’y avait guère d’intérêts stratégico-économiques en Somalie. Pas plus qu’au Kossovo que les européens peuvent bien, dès lors, prendre en charge. Ces derniers n’ont évidemment rien à gagner, sauf -peut-être- le sentiment de pouvoir intervenir de façon quasi indépendante, mais toutefois avec la bénédiction de l’OTAN.

Pour l’heure, en Afghanistan comme en Irak, des gouvernements fantoches ont été mis en place sous l’égide d’un pouvoir d’occupation. Dans un cas comme dans l’autre, ces présidents intérimaires sont des marionnettes, et de telles marionnettes ne seront jamais aimées.

Le reste du monde (dont l’Europe) assiste, impuissant ou complice, à ces manœuvres. Il arrive même (comme l’Europe de l’OTAN) qu’il collabore, directement ou non, à ces faits. Cela est désolant. Comme est désolant le suivisme et le conformisme d’une télévision parfois plus soucieuse d’audience que de vérité. Un bel emballage peut ne s’ouvrir que sur du vide.

Nécessité politicienne devient alors noble devoir. Et l’indifférence peu se parer, dans les discours officiels, d’une sacro-sainte « non-intervention ». Ainsi, l’Espagne républicaine, en son temps, écrasée sans l’intervention des démocraties occidentales -mais avec l’aide active des nazis et des fascistes. Plus tard, l’abominable tuerie nommée « shoa » n’a été dénoncée qu’après coup, après l’horreur. Mais que dire, aujourd’hui, du formidable silence au sujet du sort qui est fait au peuple palestinien ?

Certes, les circonstances sont différentes, mais la passivité est la même. Comme toujours, quelques voix isolées tentent de se faire entendre, mais leur voix est faible dans le concert médiatique.

Notre monde marchand est un monde de bruit. Ce qui ne fait pas de bruit risque de ne pas exister. Est compétitif ce qui est performant en terme de rendement. Il faut donc être jeune et dynamique, afin d’appartenir au petit cercle des bons vendeurs, des grands acheteurs et de leurs serviteurs. C’est –pour prendre des exemples courants- la qualité mesurée en termes de chiffre des ventes. Ou la qualité de l’information mesurée à l’aune du bruit qu’elle fait.

Bien sûr, il y a toujours eu des marchands. Toute société humaine vit des échanges entre ses membres. Mais l’homme n’est pas une marchandise. En tout cas pas l’homme informé.

Mais la sagesse ne fait pas de bruit. L’honneur non plus. Et la justice : pas davantage. La vérité est silencieuse. « Grand fleuve ne fait pas de bruit », dit le proverbe.

Europe ?

On peut être européen et ne pas être fier de l’être. Mais fier ou non, la même réalité s’impose à tous. Aujourd’hui, lorsque j’entends le mot « Europe », je me demande de quelle Europe on parle. Certes, le mot est beau, mais : quel en est le contenu ?

Pense-t-on au grand marché ? A la liberté des capitaux ? C’est déjà largement fait. L’argent ne connaît pas les frontières. Madame Thatcher disait, en son temps, que l’Europe « c’est purement économique ». Le politique, apparemment, n’est pas une perspective européenne. Beaucoup pensent aujourd’hui ainsi, sans toujours le dire. Les affaires sont les affaires. Et les puissants lobbys l’emportent, le plus souvent, sur les velléités démocratiques.

Quant aux restrictions -sous couvert de lutte contre le terrorisme- des droits élémentaires de tous les citoyens : nous n’avons pas fini d’en prendre conscience et de les dénoncer.

À l’inverse, une Europe européenne et démocratique est une utopie. Un rêve, un horizon lointain. Sans doute, on nous dira qu’il n’était pas possible de faire autrement. Les progrès sont déjà considérables.

Il faut cependant savoir vers quoi nous voulons marcher. Or, la direction d’une Europe européenne n’est certainement pas le chemin qui est pris. Au contraire, voici que l’Europe « élargie » se dote d’un président de la commission qui est un « atlantiste » convaincu et d’un « ministre » (non élu) des affaires étrangères qui est un ancien secrétaire général de l’OTAN. On peut penser qu’une Europe européenne, non alignée, n’est pas à l’horizon.

Mais que disent les peuples européens ? Disent-ils quelque chose ? On parle pudiquement de « déficit démocratique ». C’est là un euphémisme ! Il faudrait plutôt parler d’abîme ou de gouffre. À quand une extension significative des pouvoirs du parlement élu par les peuples ? Le simple bon sens rappelle qu’il ne peut y avoir de démocratie sans décision des peuples et de leurs représentants élus.

Les choses étant ce qu’elles sont, on comprend que le président américain soit partisan de l’entrée de la Turquie dans l’Europe. Pour deux raisons : la première est que la Turquie est un fort pilier de l’OTAN et que son adhésion renforcerait le pouvoir de l’OTAN sur une Europe bien arrimée à un commandement suprême (non européen) de toutes les forces militaires d’un monde « civilisé ». Le nouveau diable à combattre porte un nom : terrorisme.

L’autre raison est qu’une Europe aux frontières floues -aux contours vagues, d’Ankara aujourd’hui à Vladivostok demain ?- s’éloignerait d’une Europe
« européenne » qui pourrait avoir des velléités d’indépendance. C’est alors que le géant économique (l’Europe) cesserait peut-être d’être un nain politique. Mais on ne parlera pas de cela au simple citoyen.

Cependant, que l’on pense ceci ou cela, il importe que ce sujet soit clairement abordé et débattu par tous. Pourtant, il est à craindre que la question ne soit pas posée. En tout cas, elle sera pas posée par une commission qui a ses propres vues et sait, adroitement, avec le temps, les imposer. Au nom de l’Europe, certes, mais de quelle Europe ?

Et cela se passe avec la passivité (la complicité ?) des représentants élus des états européens. C’est, en fait, à ce niveau que se situe le problème.

Un jour, sans doute, les peuples se réveilleront. Mais la pente à remonter sera longue, si tant est qu’elle puisse être remontée. Ce ne sont là que quelques remarques d’humeur d’un citoyen circonspect.

Jacques Chopineau, Genappe, 12 juillet 2004