Les chroniques | 31|12|2003 |
Une Europe inconnue : questions naïves | Imprimer |
- Une
Europe inconnue Beaucoup parlent de l’Europe. Mais les idées
que l’on se fait de l’Europe sont diverses et, généralement,
le contenu n’est pas explicité. Le mot fait rêver,
mais la réalité est largement inconnue. D’ailleurs,
l’Europe ne deviendra populaire que lorsqu’elle sera réellement
démocratique : comme un peuple qui dispose d’une constitution
et un gouvernement élu. Ce qui est loin d’être le cas. Certes, que des pays qui ont si souvent été
opposés, dans le passé, décident enfin de vivre ensemble,
dans la paix, dans l’entente et la coopération… Cela
est un projet grandiose. Que ce grand ensemble de peuples différents
décide de donner figure concrète à son rêve
est une perspective magnifique. C’est aussi une raison de ne pas
se bercer de mots, mais au contraire de savoir de quoi nous parlons. Pour
cela, il importe de regarder les faits et non de s’en tenir aux
idées affirmées et proclamées. Une erreur surprenante a été commise
: l’élargissement de l’Europe avant son approfondissement.
Il fallait sans doute mettre au point une constitution avant de discuter
à 25 de cette constitution. Pouvait-on demander à de futurs
membres de définir les termes de leur future adhésion ?
Plus logique eut été de se mettre d’accord à
15 et d’accueillir ensuite les (éventuels) futurs adhérents.
Cela n’a pas été fait dans cet ordre. 0n peut prévoir
des problèmes futurs. La question qui semble présentement bloquer les discussions
touche au nombre des voix revendiqué par tel pays. Il peut sembler
conforme au bon sens que le pays européen le plus peuplé
(l’Allemagne) ne soit pas trop contraint par tel pays deux fois
ou trois fois moins peuplé. Majorité oblige… C’est
là, apparemment, une simple question de réalisme. Pourquoi ne l’a-t-on pas compris en Pologne ou en
Espagne ? Et pourquoi ces mêmes pays veulent-ils que soit inscrite
dans le texte de la constitution une référence aux sources
chrétiennes de l’Europe ? La réponse à
ces deux questions conditionne, sans doute, la compréhension de
l’ensemble du problème. En fait, le problème est double (mais problème
« non dit » : on a l’habitude de ne pas
expliquer aux peuples européens de quoi sera faite leur Europe).
Ce double problème peut sans doute être résumé
ainsi : L’OTAN et la Turquie… Si les voix étaient proportionnelles au nombre d’habitants,
alors dans une quinzaine d’années, le pays le plus peuplé
de cette Europe serait la Turquie. Elle pèserait donc d’un
poids considérable dans cet ensemble. Un poids proportionnel à
sa population… La Turquie n’est européenne ni par la géographie,
ni par l’histoire, ni par la culture, ni par la religion. Mais elle
fait partie de l’OTAN. On comprend que les Etats-Unis soient attachés
à la voir entrer dans une Europe liée à la grande
alliance qu’ils dirigent et dont ils sont bien décidés
à conserver les rennes. On dira que Pologne et Espagne sont attachées à
l’OTAN. Comme d’autres pays européens pour lesquels
l’OTAN est le pilier central de la défense européenne
–en sorte que l’Europe ne peut guère que fournir des
supplétifs à cette grande alliance. Nous reviendrons sur
cette manière de voir les choses. Mais dans le cas présent, un grand paradoxe serait
qu’un pays non-européen pèse, en Europe, d’un
poids plus grand que tous les pays européens. C’est bien
vers cela que nous allons si la Turquie fait partie de cet ensemble. Et
c’est cela que des pays européens comme l’Espagne ou
la Pologne refusent. En sorte que leur opposition à certains termes
de cette constitution européenne peut se comprendre, même
s’ils n’en font pas officiellement état. Une manière (mauvaise, sans doute : mais, comment
faire ?) serait d’inclure, dans une constitution européenne,
une clause qui ferait explicitement référence au passé
chrétien de cette Europe. La Turquie pourrait difficilement se
réclamer d’un passé semblable ! Ainsi, ce qui pouvait passer pour une revendication intolérable
pour une majorité laïque et/ou agnostique, ou bien pour une
majorité localement « religieuse » mais attachée
à une autre confession, cache peut-être tout autre chose.
Ce serait le paravent d’une visée politique à plus
long terme. Le refus du président français
d’inclure dans le calendrier officiel des fêtes chômées,
en France, des fêtes religieuses juives ou musulmanes, procède
peut-être d’une préoccupation semblable ? En effet,
à première vue, l’occasion était belle de donner
place -dans le calendrier français- à des dates significatives
pour de nombreux français dont les attaches religieuses traditionnelles
ne sont pas celles du seul calendrier chrétien. Toutes les traditions
ont leur place dans un état laïque. Mais, à terme,
ce serait une manière d’accueillir les dizaines de millions
de musulmans turcs que compterait l’Europe future. Venons-en au problème posé par l’OTAN.
Le problème (nous a-t-on dit, autrefois) est que l’Organisation
du Traité de l’Atlantique Nord était faite pour défendre
ces petits européens contre l’ogre soviétique qui
menaçait de les engloutir. Cette lutte contre la « subversion
communiste » justifiait tout. En ce compris le soutien accordé, par le grand
Empire, à quelques-unes des pires dictatures de la planète
(la liste ici serait longue). Y compris également les bombardements
des B52 sur le Viêt-Nam ou le Cambodge. Sait-on qu’aujourd’hui
encore, des enfants viet-namiens naissent difformes, à cause des
tonnes de produit orange déversé, en ce temps-là,
sur les forêts et les rizières de ce pays ? Tout cela
dans le silence des agneaux européens alignés sur une politique
« réaliste ». Mais aujourd’hui ? Il faut encore être
convaincu que l’Europe ne peut exister sans l’autorisation
du grand Empire, lequel pratique la vieille recette de tous les empires :
diviser pour régner. Opposer les grands aux petits, en se donnant
le visage de prendre le parti des petits contre les grands. Ces européens seraient d’ailleurs incapables
de se défendre. Il faut donc qu’ils soient défendus
et qu’ils participent, en leur rang (c’est le rôle des
supplétifs) à leur défense. Comme un protectorat,
ils n’ont guère besoin d’une diplomatie indépendante.
Qu’en feraient-ils ? Eux qui n’ont pas défense
indépendante. Une figuration diplomatique est bien suffisante pour
donner la figure d’un choix décidé à ce qui
est une obligation. Qu’en disent les européens ? Rien, officiellement.
Et il est habituel de revendiquer le « réalisme »
pour dissimuler un réel manque de vision. La question est cependant
de savoir s’il s’agit de réalisme à long terme
ou à court terme. Il est vrai que pour beaucoup d’hommes politiques,
dans tous les pays, la ligne de l’horizon est la date des prochaines
élections. Le réalisme est alors borné par un horizon
tout proche. Un horizon plus lointain ne serait pas leur problème.
Cependant, cet horizon lointain est celui des humains jeunes ou à
naître. Quelle sera la figure de la société de demain ?
Quelle Europe sommes-nous en train de préparer ? Dans quel
monde ? Autant de questions qui -trop souvent- ne sont évoquées
que si elles ont une importance électorale. Il faudra, cependant, un jour, faire un choix clair :
Europe ou OTAN. Non pas que l’Europe soit le moins du monde opposée
aux Etats-Unis. Mais si elle veut exister autrement que comme un géant
économique et un nain politique –si elle ne veut pas devenir
un conglomérat de protectorats unis par le grand marché
« libre »… Il faudra bien qu’elle se
dote de cet attribut de toute nation vraiment libre (grande ou petite) :
une défense indépendante. Et si par malheur elle devait
se défendre : au moins, qu’elle en choisisse les moyens.
Depuis le commencement du monde, en effet, un peuple n’a que la
paix qu’il est capable de défendre par lui-même. Il ne s’agit pas ici d’anti-américanisme.
Rappelons qu’il y eut des américains pour refuser la guerre
du Viêt-Nam ou les bombardements du Cambodge. De même, beaucoup
manifestèrent leur désaccord avec le soutien apporté
aux dictatures latino-américaines (au Paraguay, au Nicaragua, en
république dominicaine…) ou à l’aide efficace
apportée au coup d’état de Pinochet (un autre 11 septembre….).
De même, beaucoup d’américains (et d’européens)
ont manifesté contre la guerre d’Iraq. Décidément,
les européens ont la mémoire courte ! Retrouveront-ils une mémoire moins sélective ?
Encore faudrait-il que l’Europe ait le désir d’exister
par elle-même. Elle en a les moyens, mais non le désir apparemment. Et dans l’état actuel des choses, ceux qui
ont fait le pari de construire l’Europe sur la disparition des nations,
ont fait un mauvais choix. Ce choix pourrait être ainsi résumé :
Pour vivre ensemble, disparaissons d’abord en tant que peuple. Résumons :
L’économie serait notre seule raison d’être.
Liberté… pour les capitaux d’abord ! Les peuples
suivront ? Dès lors, quelles sont les
sources de cette Europe ? Une culture ? Oui, mais en voie d’uniformisation.
D’ailleurs, ces véhicules privilégiés que sont
les langues, sont appelés à devenir des langues régionales.
La langue (et donc aussi la culture et la manière de voir le monde)
du grand Empire serait suffisante. Marginalisation des langues implique
marginalisation des cultures. Le protectorat est une forme maligne de
colonisation. Inversement, une Europe européenne sera une Europe
des peuples. Il ne faut guère compter, pour nous éclairer,
sur ce qu’on nomme l’information. Le propre de toute information
est d’accorder plus de place à l’événement
brut qu’au sens de cet événement. Un arbre qui tombe
fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse, dit un proverbe
indien. L’actualité, c’est un gros-plan sur l’arbre
qui est tombé. Sauf exception, la forêt qui pousse n’est
pas d’actualité. Mais –dira-t-on- les nations existent encore et leurs
citoyens sont dotés d’un bulletin de vote par lequel ils
peuvent exprimer librement leurs choix. Le croit-on vraiment ? Et
s’il en est ainsi : pourquoi le taux d’abstention est-il
si élevé ? Sait-on que –en France- plus de la
moitié du corps électoral ne vote pas pour les partis dits
« de pouvoir ». En effet, si nous additionnons aux abstentions, les votes
des extrêmes (de gauche ou de droite) ainsi que les votes « ailleurs »
(comme « chasse-pêche-traditions) : le total dépassera
la moitié du corps électoral. Ce qu’on appelle « majorité »
n’est ainsi telle qu’à l’intérieur d’une
minorité. Telle est la loi de l’arithmétique : opposition
+ majorité, ensemble, ne forment pas la moitié du corps
électoral. N’y a-t-il pas là matière à
réflexion ? Nul doute que les appareils politiques savent
cela, mais la question ne semble pas être digne d’un débat
public sur les causes. Dès lors : que peut faire ce citoyen auquel
on répète qu’il faut voter, s’informer, croire
ce que lui disent les autorités responsables et les sources habituelles
d’information ? La question est ouverte. Et la confiance est entamée.
Jusqu’à quand ? Je suis de ceux qui pensent qu’un jour les peuples
se réveilleront. Mais peut-être sera-t-il trop tard ?
Peut-être les réactions seront-elles qualifiées de
désordres –et comme telles réprimées ? De toutes façons, si les peuples ne réveillent
pas, il est clair que le poids des décisions prises, sera tel qu’il
ne sera plus possible de changer –sauf à concevoir une véritable
résolution. Mais il arrive que les révolutions échouent
ou soient la cause d’un nouvel ordre injuste. D’ailleurs, les servants de « l’ordre
mondial » sont puissants. Et leurs désirs font loi.
Même si ces lois sont analogues à des filets de pêche
qui laisserait passer les gros poissons, mais arrêteraient les petits.
Un gros poisson est plus cher qu’un petit. La justice a un prix ! Il sera, en tout cas, vain d’en appeler à la
légalité. Une révolution ne respecte pas les lois :
elle les change. Il en est toujours ainsi. Naturellement, elle doit d’abord
l’emporter. Une révolution vaincue s’appelle désordre.
Et le désordre s’appelle « ordre »
aussi longtemps qu’il a le pouvoir. C’est seulement si la
révolution l’emporte que ses lois seront celles de l’ordre.
Il en est ainsi depuis le commencement du monde. De même, des résistants
à une occupation seront appelés « terroristes »
par l’occupant. C’est là une vieille recette qui fonctionne
toujours. Mais lorsque l’occupation prendra fin, ces « terroristes »
seront des héros –parfois à titre posthume. Amalgames courants
et mensonges officiels Rien n’est plus « citoyen » que de tenter d’y voir clair, mais pour cela il importe de dénoncer des amalgames –voir des mensonges-- qui sont le pain quotidien de nos « démocraties ». Le principal problème (non le seul !) paraît
bien être le suivant : L’argent ne connaît pas
les frontières, mais police et justice connaissent bien ces frontières.
On peut tenter de contrôler les petits fraudeurs. Et certes, il
est bien juste de le faire. Toute fraude se fait sur le dos des gens honnêtes
–ou pauvres. Dans tous les cas, cependant, cela ne porte que sur
petite partie des mouvements financiers. Par contre, les grands flux financiers échappent
largement aux contrôles. Et les paradis fiscaux sont accueillants
aux capitaux voyageurs. Ici, la fraude est énorme, mais elle échappe
largement aux organismes nationaux de contrôle. Sans doute, l’Europe pourrait-elle jouer ici un rôle
central. Mais il faudrait alors qu’elle définisse clairement
ses frontières. Et aussi -bien sûr- que les pays européens
soient d’accord pour mettre en œuvre des règles communes.
Nous en sommes loin, surtout si ces règles pouvaient paraître
entraver le sacro-saint commerce mondial. Ce n’est pas l’Europe
de l’OTAN qui se dotera de telles règles. Tout se passe comme
si cette Europe-là n’était pas celle des travailleurs,
mais celle des financiers. Il faut donc qu’elle ne soit pas trop
démocratique en fait –tout en conservant une belle apparence
démocratique. Pourtant, le grand art des puissants a toujours été
de paraître soucieux de l’intérêt des petits.
C’est d’ailleurs la petite épargne qui est la source
des grandes fortunes. Méfions-nous des discours vertueux et des
affirmations solennelles. Voyons les faits, non les paroles. Non le pot,
mais ce qu’il contient. Nos médias se font souvent l’écho de
formulations absurdes qui ont cependant, un court moment, l’air
de vérités. Entendu à la radio : « Les marchés financiers
veulent…… ». Veulent-ils quelque chose, ces marchés ? On sait, qu’en grammaire élémentaire,
il est nécessaire de distinguer l’agent et le sujet grammatical.
Certaines langues, d’ailleurs, rendent formellement obligatoire
cette distinction. « La clé ouvre la porte ».
Sujet du verbe « ouvrir » : la clé.
En fait, la clé ne veut rien. L’agent véritable (non
nommé) est celui qui tient la clé dans sa main et peut -par
elle- ouvrir ou fermer. De même, « la voiture tourne
dans la rue ». Mais la voiture (sujet) ne veut rien :
l’agent est celui qui tient le volant et dirige… Dans l’expression, « les marchés
financiers veulent… »,
le sujet grammatical n’est pas l’agent. Ces marchés
ne « veulent » rien, mais : qui les dirige ?
Qui oriente ces marchés ? Voilà le véritable
agent ! De là, cette expression (entendue, elle aussi, dans
la bouche d’un de ces « experts » qui
confondent brillamment les non-avertis) : « Cette
année a été une bonne année pour les marchés
financiers ». Qu’est-ce à dire ? Pour ceux qui ont des
capitaux à placer, au mieux de leurs intérêts, la
situation est plutôt bonne. Evidemment, pour ceux qui n’ont
pas d’argent, la situation est beaucoup moins bonne. Sans être
expert, chacun sait cela ! Il importe de dénoncer cette logique formidable qui
fait que la technocratie et la ploutocratie s’avancent vêtues
de démocratie. Partout, le revenu du travail est plus imposé
que le revenu du capital. Ce que produit le capital est, de fait, mieux
traité que ce que produit le travail. Qui donc a fait ce choix ?
Le peuple ? Dans tous les cas de figure, certes, il faudra parler d’argent.
Simplement, la question est de savoir si l’argent occupe la première
place et l’homme la deuxième place, ou bien l’inverse.
. Autrement dit, si l’homme est pour l’argent ou bien si l’argent
est pour l’homme. Question simple qui engendre des réponses
compliquées. Mais ce n’est pas parce que la réponse
est compliquée que la question n’est pas simple. De fait, la question sera toujours posée : Qu’est-ce
qui est premier ? Au vu d’une politique dite « européenne »,
la réponse est claire. L’argent est premier. Et l’on
met sur les rails –depuis des années- une société
à l’américaine dans laquelle tous les coups sont permis
pourvu qu’ils suscitent des profits. Il faut évidemment qu’un discours technico-édifiant
puisse faire passer la fin des acquis sociaux pour une mutation irréversible
et, finalement, un progrès. Mais nous ne manquons pas de jeunes et
brillants diplômés qui vous démontreront, arguments
à l’appui, qu’il en est bien ainsi. L’avenir est au profit. Même s’il faut,
pour cela, en passer par des privatisations, délocalisations, dénationalisations,
dérégulations « inévitables ».
D’ailleurs, les syndicats de la vieille Europe appartiennent au
passé. La société qu’on met sur les rails n’a
que faire des « acquis sociaux ». Le « réalisme »
a des couleurs hyper-libérales. Sans que l’assentiment des
peuples à ces choix ait jamais été sérieusement
demandé. Un mot souvent cité est « internationalisation »,
laquelle rendrait nécessaire cette logique du profit sans frontières.
Tout aujourd’hui est « international », y
compris la justice. De là, la création d’un tribunal
international, chargé de juger les crimes contre l’humanité.
La visée est belle, mais la portée est discutable. En effet,
les crimes sont ceux –exclusivement- de petits dictateurs locaux.
La vérité oblige à dire qu’un tel « tribunal
international » n’est pas international pour tout le
monde. Le grand Empire, sur ce point, a fait connaître son
opposition à ce qu’un de ses citoyens puisse être jugé
par un tel tribunal. En cela, il a d’ailleurs été
appuyé pas des états européens bien alignés.
Il est vrai que les victimes de bombardements auraient peut-être
été tentées de porter plainte. Qu’on se rassure :
ils ne pourront pas le faire ! La pollution de la planète est un autre scandale
–certes : international. Sans doute, les effets ne se feront
vraiment sentir que pour les générations futures. D’ici-là,
bien des profits pourront être réalisés. De même, un cancer ne se fait pas toujours connaître
rapidement. Même une mine antipersonnelle n’explose pas toujours.
Que fabricants et vendeurs se rassurent : Elle restera cachée
jusqu’au jour où elle tuera un passant. Fait divers… Un autre amalgame doit être dénoncé.
Celui qui met sur le même plan misère et pauvreté.
Est-ce la même chose ? Juger de cela selon le seul critère
du « niveau de vie » est une plaisanterie. Pauvreté
ne va pas sans dignité. Tel citoyen d’un pays « pauvre »
peut être localement perçu comme fier, honnête, juste…
même s’il ne possède ni voiture, ni télévision,
ni compte en banque. Selon nos critères, c’est un pauvre.
Mais dans son pays -pour le regard des autres- c’est peut-être
un homme considéré et/ou aimé. Par contre, dans un pays riche,
celui qui n’a pas de travail et ne peut pas payer son loyer :
celui-là est un vrai pauvre –bien près d’être
un miséreux. Et cette misère nous entoure, même si
nous ne la voyons pas. Notre Europe compte des millions de chômeurs.
Donc des millions d’enfants de chômeurs, de conjoints de chômeurs,
de parents de chômeurs… Cela fait beaucoup de monde ! Rêvons un instant : Pourquoi cette Europe ne
serait-elle pas celle des peuples ? Un peuple se
caractérise par un lieu et par une langue. Une terre natale et
une culture. À quand des frontières ouvertes aux hommes,
mais étanches aux profits ? Il ne s’agit pas supprimer
le libre marché, évidemment, mais d’en contrôler
les flux, au service de l’homme. Soyons clairs : Il n’y a pas de solidarité
dans le profit. Justice et vérité ne sont pas « rentables ».
Elles n’ont pas de valeur marchande. Sans elles pourtant, l’homme
est une bête. Et si « tous les hommes sont frères » :
ce n’est certes pas en vertu du profit que l’un peut tirer
de l’autre. Il n’est qu’une race humaine.
Les « races » sont une création des racismes.
Mais il est des différences quant à l’accès
aux biens de consommation. En fait, nous le savons, une grande partie
de l’humanité meure de faim. Les guerres et les maladies
seraient plus facilement combattues –même si nous n’en
prenons guère le chemin, malgré le dévouement de
quelques-uns. C’est l’homme qui est « international »
-non l’argent. C’est l’homme -tout
homme- qui a besoin de justice sur une terre intacte.
Et c’est une telle terre que nous voulons léguer à
ceux qui viennent après nous. Nous le savons : La logique du profit peut entraîner
la pollution durable d’une mer ou d’une région. Les
« marées noires » ne sont d’ailleurs
qu’une petite partie (forcément médiatisée)
de la pollution des mers. Comme les pluies acides ne sont qu’une
petite partie de la pollution terrestre. Quand aux gaz à effet
de serre : l’industrie en produira longtemps encore, parce
que les profits en dépendent. L’Europe dont nous rêvons se ferait concrètement
le hérault d’une solidarité mondiale.
Non par de vertueuses déclarations, mais par des mesures concrètes.
Et d’abord en combattant la misère, non la pauvreté. Il y a sans doute plus à gagner en combattant la
pauvreté. Les pauvres sont de mauvais acheteurs. Aux bonnes œuvres
de s’occuper de la misère (nos pays riches ont leur « quart-monde »),
mais la pauvreté est le mal pour les vendeurs ! Il faut encore dénoncer cette scandaleuse « dette
du tiers-monde » dont bien des nations s’échinent
à payer les seuls intérêts. En sorte que les peuples
de ces pays sont aujourd’hui écrasés par des dettes
contractées jadis. À l'origine de cette situation, se trouve
le fait que beaucoup de capitaux pouvaient être investis dans des
pays peu solvables, mais aux grands besoins. Il est vrai que tout commerçant ne vaut que par le
nombre de ses clients et que, dans ce cas, les prêts étaient
garantis par les états des pays emprunteurs. Ainsi, si le client
éventuel était ruiné, le commerçant pouvait
généreusement « prêter » à
l’acheteur, moyennant un assez faible intérêt. Aux générations actuelles de régler
les intérêts d’une « dette »
devenue colossale. Sinon : gare au FMI, gare à l’OMC,
gare à la suppression des aides… Supprimer cette « dette »
serait une opération de justice –si ce mot avait
un sens, dans la logique du profit. Mais peut-être faut-il attendre
cinquante ans pour que le jubilé soit atteint et, avec lui, la
remise des dettes, selon la pratique indiquée dans la Bible (Lévitique
25) ? C’est le système qui doit changer –non
pas nécessairement les personnes. Le malheur serait que
la démocratie se convertisse, ici et là, en ploutocratie.
Et que les flux d’opinion soient arrimés aux flux financiers.
La « vérité » d’une idée
étant alors simplement mesurée en termes de rendement électoral.
N’est-ce pas là, souvent, une réalité actuelle ?
Est « vrai » ce qui apporte le plus grand nombre
de voix. La politique serait ainsi commandée par une logique de
vendeur. Ainsi en est-il de la qualité mesurée en termes
de chiffre des ventes. C’est bon, ce produit ? Oui : on
en vend beaucoup ! Évidemment, si l’on en vend pas :
ce n’est pas bon. Mais si l’on en vend beaucoup : c’est
très bon. Faute de vision, bien des partis politiques semblent partager
une logique mercantile semblable –ce qui est la réalité
tant à « gauche » qu’à « droite ».
L’emballage est habituellement différent, mais le produit
est souvent le même. Nous attendons une Europe
« européenne » et démocratique.
Cette Europe-là se voudrait peut-être davantage sociale –et
donc, plus solidaire, plus fraternelle, plus juste… en conformité
avec ce qu’elle porte en elle, idéalement, depuis des siècles.
Bien sûr, un tel projet est un horizon lointain, mais même
si l’horizon était imaginaire, cependant, le pas que nous
ferions vers lui, serait un pas réel. |