Les chroniques | 08|11|2003 |
Israël-Palestine | Imprimer |
Approche personnelle d’un
vieux conflit Celui qui écrit ces lignes a enseigné la langue
biblique pendant longtemps. Il a même, au temps de ses études,
dû (avec bonheur) apprendre la forme moderne de cette langue. Ce
qui suit fait donc place aux langues : c’est bien normal dans
une approche personnelle d’un lecteur, exégète, philologue,
amoureux des textes et d’abord du texte de la Bible. Il faut le dire : la situation actuelle de la Palestine
est d’une inacceptable injustice. Cela doit être dénoncé
par tous ceux qui croient que (citation biblique) : « la
justice élève une nation ». A l’inverse,
l’injustice la détruit. Avant d’être ce qu’il est aujourd’hui,
Israël a été le nom d’une espérance ou
d’un idéal. La réalité actuelle est celle d’un
état oppresseur. La démocratie de la force n’est pas
la force de la démocratie. Et ramener ce jugement à de l’antisémitisme
relève de l’aveuglement ou de la plaisanterie. En ce temps-là, Israël signifiait la résurrection d’un peuple longtemps opprimé. C’était la réponse au terrible holocauste dans lequel avait disparu une grande partie de ce peuple. La renaissance d’un petit peuple courageux pouvait être saluée par beaucoup d’européens. De fait, il n'est exagéré de dire que la fondation d'un État juif a été une des grandes aventures dans l'histoire. Il valait la peine d’apprendre cette langue -celle
de Bible, mais aussi celle d’une immense littérature traditionnelle
(la Michna, le midrache, les histoires des Hassidim…) et d’une
belle littérature en langue moderne (dont l’œuvre de
S. J. Agnon, ce merveilleux conteur, prix Nobel certes, mais souvent ignoré). Pour moi, l’étude de la langue arabe est venue
plus tard, et seulement dans une forme linguistique dite littéraire
ou classique : la langue écrite. Là aussi, une immense
littérature (et une poésie extraordinaire). En même
temps que l’étude de cette langue immense et subtile, venait
aussi la découverte d’une civilisation musulmane qui, pendant
des siècles, a éclairé le monde des penseurs et des
savants dans des domaines aussi divers que l’astronomie, la médecine,
les mathématiques et autres branches du savoir. La décadence de ce monde musulman est concomitante
de la montée en puissance de l’Europe dite chrétienne
; sa renaissance pourrait être contemporaine d’une marginalisation
de cette Europe. Mais c’est là un autre problème…
Pour en rester aux mondes juifs et musulmans, reconnaissons
que les similitudes culturelles et religieuses entre ces deux peuples
sont une évidence. L’arrière-plan sémitique
est une source commune que l’histoire n’a jamais complètement
effacée. Le drame de la situation actuelle n’en est que plus
difficile à supporter. Le sort du peuple palestinien est tragique. Israël
est aujourd’hui l’occupant. On ne s’en tirera pas en
invoquant « la lutte contre le terrorisme ». Les
occupants ont habituellement qualifié de « terroristes »
les résistants à leur occupation. Et nous sommes entrés dans le cycle de la violence :
attentats, représailles, contre-représailles, vengeances…..
La violence engendre la violence. Une génération de jeunes
palestiniens grandit dans la révolte et dans la haine. On n’a
jamais fondé une paix durable sur la haine… Comment en est-on arrivé là ? Comment
deux peuples si proches –après des siècles de vie
souvent commune- ont-ils pu en venir à s’opposer à
ce point ? Et cette
opposition déborde les frontières des pays du proche Orient.
Ne voit-on pas des citoyens de nos pays s’opposer à ce sujet ?
Bien sûr, on peut comprendre l’obsession de
la sécurité, en Israël. Il est vrai que, dès
sa naissance, le petit état d’Israël a dû lutter
durement. Entouré d’ennemis nombreux, il n’a dû
de survivre qu’à sa lutte acharnée. Et ce n’était
certes pas gagné au départ ! En ce temps-là, des dirigeants arabes ont aussi fait
preuve de démesure -voire d’aveuglement. Et depuis cinquante
ans, le peuple palestinien a toujours été la victime des
uns et des autres. Principalement cependant, victime des conséquences
d’une occupation sentie comme de plus en plus lourde. Aujourd’hui, les réalités sont bien
différentes de ce qu’elles étaient jadis. Le petit
David est devenu un Goliath bardé de fer. La défense d’autrefois
comporte aujourd’hui l’occupation, la domination, l’humiliation,
l’expulsion, la force brutale. Le visage de David est changé.
L’image est ternie. Israël y gagnerait, pense-t-on ?
Tel professeur, de mes amis, après avoir étudié
l’hébreu pendant des années, s’est mis à
l’étude de la langue arabe. Pourquoi ? C’est que
l’admiration du petit Israël entouré d’ennemis
s’est, peu à peu, muée en compassion envers un petit
peuple palestinien occupé, écrasé, humilié.
C’est aujourd’hui le cas de beaucoup. Il serait peu sérieux
de mettre cette attitude sur le compte de l’antijudaïsme. C’est
plutôt d’amour déçu qu’il faudrait parler. Certes, pour qui connaît l’histoire, les racines
sont anciennes. C’est la vieille opposition entre Ismaël et
Isaac, entre Jacob et Esaü… Vieux conflits dont la presse actuelle
ne semble pas connaître grand’chose. Mais, dans une perspective
religieuse, les différences ne signifient pas les conflits armés.
Les différences enrichissent plus qu’elles séparent.
Pourvu que le climat soit à la paix… Résumons la situation actuelle : le problème
n’est pas simple ! Nous avons une terre et deux peuples. Toutes
les solutions passeront donc par la même porte étroite :
il faut apprendre à vivre ensemble. Plus ou moins unis ou plus
ou moins séparés. Dans un premier temps, certainement, très
séparés. Dans cinquante ans, peut-être, réapparaîtront
mieux les similitudes. Encore faudrait-il que ce processus commence.
On n’en prend malheureusement pas le chemin. Il y a, bien sûr, des extrémistes dans les
deux camps. Pour les uns, la finalité est de rejeter les juifs
à la mer. Pour les autres, la finalité est la création
d’un grand Israël et, pour cela, de ne pas permettre qu’un
état arabe puisse exister entre le Jourdain et la Méditerranée.
Pour les uns et les autres, la force doit donner la victoire. Quel que
soit le prix de cette « victoire ». Un prix payé
par le peuple, évidemment. Mais les extrémismes sont le fait de minorités,
ici et là. Nombreux
sont ceux qui souhaitent la paix. Nombreux sont ceux qui veulent que leurs
enfants grandissent sans haine et sans crainte. Pour cela, il faudra bien
se parler d’égal à égal. Ce ne sera pas
facile. Les problèmes seront nombreux (des frontières claires,
le sort des israéliens en terre arabe et des arabes en terre israélienne,
le partage de l’eau etc… ). Une paix durable est cependant à ce prix. Non
seulement une paix par absence de guerre (shalom = salâm), mais
une réconciliation (en arabe : SulH ; en hébreu : hashlama, hitpayyesût). Mais il n’est pas de paix véritable sans justice.
Il faut que chacun puisse se développer à l’intérieur
de frontières « sûres et reconnues ».
Il a fallu jadis réclamer de telles frontières pour Israël.
Le temps est venu de réclamer ces frontières pour le peuple
palestinien. Les rencontres viendront en leur temps. Après des
années de vie côte-à-côte, dans le respect de
l’autre –celui que l’on croyait différent et
peut-être hostile. C’est alors que les religions (judaïque,
chrétienne, islamique) montreront leur vrai visage, tourné
vers l’amour du prochain.
Aujourd’hui, cependant, le vocable « terrorisme »
arrange bien des choses. Tout au moins, au niveau d’une propagande
qualifiée parfois d’information (ou d’une information
orientée pour être utilisée). Mais, malgré
la force des images, rien ne peut être construit durablement sur
la violence –quelles que soient les justifications de cette violence. Et c’est une dérision que telle autorité
israélienne qualifie d’antisémitisme toute critique
à sa politique de domination. Ces vieux réflexes militaires
sont, à terme, suicidaires. Gagner la guerre ne signifie pas gagner
la paix. De plus puissants même finissent par le découvrir !
Une même réprobation atteindra tous les puissants. Comment qualifier les soutiens à cette politique fondée sur la force ? Suivisme ?
Alignement ? Antisémitisme ? (les arabes sont aussi des
sémites). Ou bien aveuglement ? (« je suis le plus
fort DONC j’ai raison -d’ailleurs Dieu est avec nous »).
Ou bien : calcul politique -comme si les peuples étaient les
pions d’un jeu dont ils ne connaissent pas les règles ?
Certes, la paix viendra. Mais au prix de combien de souffrances !
Le terme d’intifada est suggestif. Le verbe ‘intafada’ signifie « se secouer »
(de la poussière que l’on portait sur soi, après s’être
battu sur le sol). Le substantif dérivé ‘intifâda désigne le fait de se secouer après s’être
relevé. C’est bien de cela qu’il s’agit :
après le corps à corps dans la poussière du sol (et
comment faire lorsqu’on a ni char, ni avion, ni aucune arme moderne…)
viendra le temps où les adversaires, enfin, se parleront –après
s’être relevés. Mais un ennemi à terre n’entrera
pas en négociation. A moins de s’être soumis, ce que
les palestiniens ne feront jamais. Terrorisme ?
Je suis, certes, européen,
mais non toujours fier de l’être. En l’occurrence :
ne rien faire devant le traitement infligé au peuple palestinien
relèverait de la non-assistance à peuple en danger. Europe :
où est ta solidarité ? Jacques Chopineau |