« Une
politique de destruction et de chasse à l'homme
sans procès est une forme de suicide. C'est sacrifier
ka raison d'être du peuple juif, la raison même
de notre survie et de notre présence sur la terre.»
- Q. On a le sentiment
que la majeure partie du monde juif religieux soutient l'entreprise
de colonisation.
- D. E. : Pour être honnête, il n'y a pas que les religieux qui
soutiennent cette entreprise ! Mais il est vrai que les religieux en Israël
sont majoritairement irrédentistes (1). Il y a bien quelques exceptions,
mais elles sont très minoritaires, comme le parti Meimad, ou un groupe
qui mérite notre respect pour son courage "Rabbins pour les droits
de l'homme", association qui se préoccupe de la protection des
droits de l'homme dans les Territoires. Dans l'ensemble donc, le monde religieux
soutient majoritairement la colonisation.
- Q. Les arguments
avancés sont-ils plutôt des arguments de principe
ou des arguments sécuritaires?
- D. E. : Il s'agit plutôt d'arguments de principe. On invoque le droit
inaliénable à la Terre. Le terme-clé, c'est "Kedouchat
Haaretz", la sainteté de la Terre. Selon cette conception, on n'a
pas le droit de renoncer à la moindre parcelle.
- Q. Quel est votre
point de vue à ce sujet, en tant que rabbin ?
- D. E. : Pour parler clairement, mon point de vue est qu'il n'y a pas d'autre
sainteté que celle qui culmine dans ma responsabilité à l'égard
du prochain. Tout le reste est secondaire par rapport à cela. Ce point
de vue a été occulté ces dernières années,
et doit être réaffirmé avec force. Telle était d'ailleurs
la conception des maîtres du Talmud, leur ordre de priorité. Tel était également
le point de vue de Maimonide qui n'a jamais parlé de reconquête
comme d'une obligation religieuse, mais qui nous a mis en face de nos responsabilités
humaines.
- Q. Y-a-t-il un
dialogue au sein du monde religieux sur cette question des
colonies et des Territoires ?
- D. E. : Pas vraiment, car des personnalités comme Aviezer Ravitsky
(2) ou Michael Melchior (3), religieux opposés à la colonisation
et à l'occupation, ne sont pas entendues. Elles ne sont pas considérées
comme des autorités. Ceux qui sont vraiment regardés par le monde
juif comme des maîtres spirituels se trouvent à des années-lumière
de ce que je voudrais entendre.
- Q. Comment expliquez-vous
cette évolution du monde juif vers le nationalisme
religieux, déjà évoquée par Leibowitz?
- D. E. : Tout cela a commencé après la guerre des 6 jours. Mais
depuis longtemps, il ne s'agit plus d'un problème de territoire. C'est
désormais une question de fond : le visage de l'Autre, l'acceptation
de l'Autre. L'Autre, en l'occurrence le Palestinien, a-t-il un visage ? Pour
moi c'est le problème-clé. Pour donner un exemple, l'armée
détruit systématiquement les maisons des terroristes. Et il faut
quand même se demander depuis quand la famille d'un terroriste devrait
mener une vie de sans-abri ? quelle logique démentielle doit nous laisser
croire que nous gagnerons notre sécurité en multipliant le nombre
de victimes innocentes ? Une politique de destruction et de chasse à l'homme
sans procès est une forme de suicide, c'est sacrifier la raison d'être
du peuple juif, la raison même de notre survie et de notre présence
sur cette terre.
(1) Irrédentisme
: doctrine politique nationaliste qui revendique l'annexion
des territoires "non encore libérés
de la domination étrangère", ici, palestinienne…
(2) Professeur de pensée juive à l'Université de Jérusalem,
auteur d'un ouvrage très remarqué sur les dangers du messianisme
nationaliste (Haketz Hamegouleh ou Medinat Hayehoudim).
(3) Rabbin, ancien ministre de l'intégration dans le gouvernement Barak…
Site : lapaixmaintenant.org
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