Les chroniques    29|12|2000

Le jour est levé, il faut le vivre  Imprimer


Le jour est levé, il faut le vivre

Ce matin-là, alors que je promenais le chien de ma fille, Rantanplan, en compagnie d'une voisine, celle-ci me demanda :
- "Si tu étais Dieu qu'est-ce que tu ferais, qu'est-ce que tu changerais dans le monde?"

Ma première réaction (silencieuse) fut de me demander si c'était pas Rantanplan qui me posait la question. Problème, il n'avait pas encore appris le français, ni à se promener tout seul. C'était donc bien ma malicieuse voisine qui avait sorti cette bêtise, si tôt le matin. Alors que je suis du soir.

Que lui répondre, sinon la piquer à mon tour :
- "Rien, je ne vois pas. A moins… que toi, peut-être… je te verrais bien grande, svelte, …"

A son rire je devinais que la question était sérieuse. Il me fallait donc me mettre à la place de Dieu, et du "bon dieu" si possible!
- "Impossible, lui dis-je, je n'ai pas assez d'imagination. Puis je crains fort qu'en changeant un petit bout de quelque chose, tout le bastringue ne se mette à vaciller. Tu imagines que Rantanplan se mette en tête de me traîner au bout d'une laisse pour… Non non, je ne changerais rien!"

- "Tu ferais rien contre la souffrance, la peine mort ?"

Voilà qu'elle devenait très sérieuse. Elle commençait à m'énerver! Puis cette parole de Paul Valéry me revint en mémoire : "Le jour est levé, il faut le vivre".
- "Je prierais et je proposerais que tous les hommes prient".

Elle s'arrêta, prit la laisse de Rantanplan, me l'arracha plutôt. Ce nigaud se mit hurler.
- "Tu n'es pas sérieux, Michel, c'est pas toi, tu radotes!". Ma voisine, manifestement, n'avait rien compris. il fallait que je lui fasse un cours de théologie pratique… si tôt le matin. Ma chance, est qu'elle est juive, culturellement j'entends. Pas de pratique, mais une nostalgie latente.

- "Tu connais l'histoire de Jacob ?".
- "Jacob, oui. C'est le petit-fils d'Abraham, le fils d'Isaac".
- "Tu connais sa lutte avec l'ange?".
- "Non, mais qu'est-ce ça a à voir avec ma question ?"
Je lui racontai alors le récit du passage du gué, de sa lutte avec Dieu. Ma voisine m'avait rendu la laisse et Rantanplan était devenu bien sage, il ne tirait plus sur sa laisse comme un fou. A croire qu'il écoutait lui aussi. Après mon récit, un long silence se fit entre nous.

- "Tu vois, adresser sa prière à Dieu, c'est d'abord lutter avec soi-même. Il ne sert à rien de chercher de l'aide à l'extérieur et de vouloir se mettre à la place du Créateur. Celui qui bénit, ne vient pas de l'extérieur, il est là, en nous, dans la lutte de notre vie quotidienne. Le jour se lève chaque jour, il faut le vivre avec notre entourage. La prière c'est un le «start» de l'engagement dans notre vie quotidienne. Et cela fait parfois mal.

- "Comme Jacob qui boitait après sa lutte ?" dit alors ma voisine presque à voix basse.
- "Oui, je pense, la prière c'est comme affronter ce qui angoisse. Nous en sortons blessé, mais debout, comme un autre homme, un homme qui regarde son prochain comme on regarde la face de Dieu."

Silence. C'est parfois long pour que la lumière se fasse.

- "Allez, Michel, rentrons. Le jour s'est levé, il faut le vivre. Tu viens Rantanplan!"

Pierre Bailleux. 29|12|2000